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Musique et Polar

Raphaëlle Costa de Beauregard

La musique du film noir : La Grande Horloge (John Farrow 1948) et Victor Young entre tradition et modernité

Abstract

This paper attempts to define, through an analysis of Victor Young’s music for The Big Clock (John Farrow 1948), the significant musical features of the film noir. Usually, only the visual features of the noir genre are studied (to the detriment of the musical ones). The methodological approach is inspired by phenomenology and a study of the audio-visual reception by the spectator. First, a study of the main title will show how it causes us to experience beforehand the remarkably dramatic atmosphere that pervades the whole film. Secondly, an exploration of the flashback to the recent events which have led to the present crisis will focus on the use of significant sounds, which contributed to an urban symphony which also expresses the dramatic tension of the main character. Thirdly, when diegetic music echoes the music underscoring major scenes, it depicts with great realism the atmosphere of urban life in the 1940s. It will finally be argued that, surprisingly, the motif of the colour ‘green’ introduces a metaphorical level to the film in black and white.

Texte intégral

Introduction

  • 1 On attribue la première distinction d’un gen...

  • 2 La Grande horloge/The Big Clock (1948) Param...

  • 3 L’éclairage du film est l’œuvre du photograp...

  • 4 Le film est cité dans L’Encyclopédie du Film...

  • 5 Albert Victor Young (1899-1956). Ce musicien...

1Les traits distinctifs du genre appelé film noir américain, qui a gardé en anglais cette appellation film noir1, seraient l’atmosphère nocturne d’un décor urbain moderne et la mise en scène d’un personnage focalisateur en pleine crise morale (Altman 60-61). Ses deux ressorts dramatiques sont : un meurtre central, une lutte entre un détective privé solitaire et une société corrompue (Silver 5). Quant à son esthétique, le cinéma étant un art audio-visuel, la musique y joue un rôle tout aussi essentiel que la lumière (Keating 268-278), car toutes deux s’adressent directement à nos sens (Tagg 2008, 1), et il s’agit d’emporter, dès les premiers accords de l’orchestre lors du générique d’ouverture, notre adhésion immédiate à la fiction de l’image par la musique, de sorte que le sentiment d’angoisse s’empare de nous bien en amont de l’apparition à l’écran d’un personnage. Cependant, à la différence du cinéma d’horreur qui crée une inquiétante étrangeté par les déformations visuelles du décor, voire de certains personnages comme Nosferatu, l’espace-temps où nous pénétrons est non seulement moderne mais rendu de manière réaliste, sans aucunes déformations visuelles. S’il y a une inquiétude permanente, elle vient d’une menace réelle causée par les personnages, laquelle finit par contaminer tous les lieux, pourtant en apparence ordinaires, où ceux-ci se déplacent. Cependant, le générique d’ouverture de la Grande Horloge (1948)2, film auquel cette étude est consacrée, comporte des jeux avec la lumière et l’obscurité3 qui définissent le genre du film4, car ils évoquent le décor nocturne du film noir (Telotte 2), tandis que la musique composée par Victor Young5 aide à fortement anticiper chez le spectateur un drame tragique et l’émotion provoquée par ce suspense.

2Dans la Grande Horloge, il s’agit en effet d’exprimer les émotions du personnage focalisateur qui se trouve dans un état d’alerte permanent, celui-ci étant signalé dès la première séquence par l’écart entre le présent et le retour en arrière qu’il se remémore. Nous étudierons d’abord l’univers ‘noir’ dans lequel nous sommes plongés grâce à la musique symphonique du générique d’ouverture. Puis nous suivrons avec le personnage focalisateur le déroulement du temps chronologique du récit enchâssé qui est aussi un temps irréversible marqué par l’angoisse. Cependant, si nous partageons l’état d’alerte permanent où se trouve le personnage, c’est aussi grâce au bruitage qui exprime la violence de la modernité et prend comme forme une symphonie urbaine. Un troisième point sera ensuite abordé : la manière dont la musique non-diégétique trouve un complément efficace dans les scènes accompagnées de musique diégétique, allant jusqu’à tirer parti de la symbolique singulière d’une musique de ‘couleur verte’ évoquée dans ce film en noir et blanc.

I. Pour une musique ‘noire’ : les trois premières minutes du film [00:01—02:59]

1. Le générique d’ouverture et la mise en place d’une atmosphère [00:01—01:09]

  • 6 Paramount : un pic montagneux et un ciel aur...

3La musique des deux premières minutes de la Grande Horloge débute par un accord fortissimo de l’orchestre marquant le seuil d’un univers inédit, à la manière de l’ouverture d’un opéra romantique, comme par exemple, celle d’Egmont (Beethoven 1810). Deux notes jouées par les trombones, dont l’intervalle paraît diminué, développent cette tension initiale. Cet intervalle est repris en écho par un orchestre divisé où les notes aigües et les basses le font entendre simultanément [00:04]. L’emblème de la Paramount6, un pic montagneux et un ciel auréolé d’étoiles, s’affiche à l’écran, aussitôt suivi, en toile de fond, d’une douzaine de revues jetées pêle-mêle, et filmées en plongée, signifiant l’empire industriel des médias [00:01—00:04] et, en gros caractères, le nom des stars Ray Milland et Charles Laughton.

4Dès cette entrée en matière, certaines modalités expressives s’imposent, qui sont ensuite soulignées et confirmées. On note principalement le jeu sur les émotions du spectateur à travers l’intensité sonore de notes ascendant jusqu’à des fortissimos, et la constante lenteur du tempo qui contribue à cette atmosphère menaçante. Aussitôt, posé sur les revues, un objet indistinct apparaît, et que l’on identifiera plus tard comme un cadran solaire [00:05]. Soudain, résonne quatre fois dans l’orchestre d’une manière très espacée et lente, la seule et unique note d’une cloche lançant un avertissement, et, simultanément, s’affiche en très gros caractères le titre du film The Big Clock [00:11]. Le rythme lent qui se prolonge est souligné en écho par le trombone [00:26]. Dans ce qui suit, deux effets de sens sont convoqués : d’une part, une plainte évoquant une souffrance humaine, et d’autre part, un sentiment d’éloignement dans l’espace [00:29—00:54]. C’est alors que le nom du compositeur, Victor Young, [00:41] s’affiche seul sur l’écran. La plainte est suggérée lorsque la mélodie qui se répète atteint un registre très aigu, et un effet d’éloignement est créé par l’introduction d’un instrument en solo – “lone saxophone soaring into the night” (Butler 2013, 309). L’image du cadran solaire, quant à elle toujours présente, devient plus nette, et la caméra resserre un cadrage qui s'avère maintenant en légère contre-plongée, ce qui permet de distinguer clairement l’ombre portée comptant les heures. Par leur association simultanée, ces trois marqueurs du temps deviennent les acteurs principaux de l’action qui va suivre. L’orchestre reprend lentement la mélodie, apportant une conclusion à cette première partie du générique d’ouverture [01:02—01:09].

2. La lenteur inquiétante d’un flux temporel au présent [01:09—02:59]

5Commence alors à l’écran le mouvement, élément structurel que le cinéma partage avec la musique. Un très lent panoramique, de gauche à droite, introduisant le lieu de l’action qui se déroule dans un univers nocturne, nous entraîne dans une sorte de voyage. Simultanément, un grand coup frappé dans les sons graves par les percussions se fait entendre annonçant un événement sonore : on entend alors, fortement détachées, les notes ascendantes mélancoliques d’une trompette avec sourdine en solo. Son apparente indépendance des accords de l’orchestre, en fait une figure sonore isolée et sa répétition grave ces quelques notes dans notre mémoire d’une manière distincte. De plus, cet instrument introduit dans l’orchestre un timbre très particulier, connotant une époque, celle du jazz, et un lieu, Broadway [01:03]. Simultanément, l’image que déploie le panoramique horizontal de la caméra se précise, quelques points lumineux scintillent sur les masses noires, et paraissent correspondre aux notes isolées. Les notes sont jouées avec une sorte de vibrato, et sont ensuite reprises par les trombones, puis d’autres instruments à vent, ce qui multiplie l’effet d’écho déjà mis en place.

6Peu à peu, les points lumineux deviennent des fenêtres allumées et les volumes gigantesques, les gratte-ciels de la ville de Manhattan. C’est alors qu’un nouvel instrument (dont les sonorités sont également riches en connotations particulièrement romantiques) se fait entendre en solo : le piano dont les quelques notes détachées isolées les unes des autres, ne suggèrent pas pour autant un intervalle particulier [01:19] avant de développer une phrase mélodique dans le registre grave. Tout comme la trompette avec sourdine, le piano dans le registre grave est un marqueur du film noir, et répond à notre horizon d’attente. Les valeurs déjà identifiées, la plainte humaine et la distance s’incarnent dans ce piano solo pour signifier la solitude d’un personnage, le détective du film noir. On retrouve ici l'intensité des secondes consacrées au défilement du générique à travers la tension des notes ascendantes, ainsi que la lenteur du tempo.

7Le long panoramique horizontal de la caméra [01:46] descend lentement le long d’une façade d’immeuble aux fenêtres allumées, puis se rapproche, cadre les lettres majuscules JANOTH PUBLICATIONS, et se transforme en zoom avant [01:48], nous précipitant visuellement dans un lieu fermé. C’est alors que l’on distingue à l’intérieur [02:02] les couloirs déserts et obscurs d’un sous-sol labyrinthique. En écho aux premiers sons de cloche de la partition musicale [00:15], nous entendons l'horloge sonner l’heure en se détachant de la musique, son qui hantera tout l’immeuble jusqu’à la rétribution finale. La musique d'accompagnement est de ce fait associée au monde sonore narratif : tandis que le motif mélodique joué en solo dans un registre élevé est maintenant repris dans des tonalités de plus en plus graves par le piano, un léger bruit de pas précipités se fait entendre et une silhouette apparaît en contre-jour. Un second pas plus fort, mais d’une grande lenteur cette fois, force le personnage à se cacher aussitôt derrière un pilier, et nous l’entendons pousser un profond soupir. Ainsi la menace contamine tout l’espace tandis que ce son menaçant se surimpose à la musique d’accompagnement.

3. L’expression musicale de l’angoisse ‘noire’

  • 7 L’approche sémiotique de l’analyse musicale ...

8L’expression du thème (Gorbman 26-19) de l’angoisse grâce à la répétition d’un motif musical repris successivement par tous les instruments de l’orchestre crée une ambivalence sémantique : celle-ci pourrait être, soit une basse continue créant un repère spatio-temporel en arrière-plan, soit, au contraire, une présence individuelle dans un espace en profondeur, se détachant dans un espace éloigné (Leeuwen 23)7. Cette double fonction (l’effet de figure musicale distincte de l’harmonie d’ensemble) offre une ambiguïté intéressante entre le monde habité par le personnage et les sentiments de celui-ci, ambiguïté des limites entre objectivité et subjectivité qui restera une caractéristique de l’ensemble du film, l’un renforçant l’autre.

  • 8 Le Triton -Diabolus in Musica- Meludia #18, ...

9Or, on peut préciser ce qui fait l’objet de cette répétition par quelques remarques sur l’intervalle diminué noté plus haut, parfois surnommé ‘Diabolus in musica’8. Dans les intervalles que nous avons entendus depuis le début entre les notes du motif répété par les différents instruments, annonçant en quelque sorte le piano – instrument qui, traditionnellement, depuis la naissance du concerto pour piano romantique, exprime les sentiments d’un personnage — on peut percevoir un intervalle caractéristique de l’angoisse, que l’on retrouve dans les intervalles des accords. Comme le montre Philip Tagg, la sonorité particulière de cet accord de triton exprime déjà la mélancolie dans les œuvres de John Dowland, puis de Purcell (aria de la mort dans Didon et Enée) à l’âge baroque. Elle s’est perpétuée jusqu’à la musique du Tristan et Yseult de Wagner via Bach et Mozart, et appartient donc à un "fond commun" des compositeurs de musique de film. Par exemple Rapée dans son Motion Picture Moods (1924) le fait figurer à la rubrique ‘Horror’ (Tagg 7-9). Or, comme on l’a vu, ce motif initial exprime le thème dominant, à savoir l’angoisse du protagoniste George Stroud, car il accompagne la naissance de la voix hors-champ faisant suite au soupir : « Hugh ! That was close ! » [02:06]. Par sa répétition, il devient un leitmotiv, procédé que la musique hollywoodienne s’est ré-approprié afin de tirer parti de sa richesse musicale et de son effet sur notre mémoire, car il pointe non seulement une émotion mais un personnage en particulier (Gorbman 73).

  • 9 Créé par Humphrey Bogart (Vernet 23) pour le...

10Il s’agit donc de la mise en scène d’un personnage par la musique, son émotion étant exprimée à la fois par l’intensité de la musique d’accompagnement et par le contraste entre un rythme lent et menaçant et un rythme accéléré. Le personnage gravit dans l’obscurité les marches d’un escalier en spirale [02:16] tout en restant aux aguets, puis il examine avec un soin particulier la forme circulaire de l’horloge qui l’enferme. Le journaliste est donc dans la posture du détective dit ‘américain’9, personnage focalisateur typique du roman noir, que l’on a pu qualifier d’existentialiste (Vernet 16-17), à ceci près qu’il mène ici une enquête l’impliquant personnellement. Nous entendons son monologue intérieur en voix-off le désigner par la deuxième personne : « You ». Il évoque son passé : « I was a decent, respectable, law abiding citizen, wife and child, big job ». Il mène donc une vie normale dans un univers ordonné, bénéficiant d’une sécurité absolue et d’une promesse de prospérité et de bonheur. C’est le rêve américain symbolisé par la ville de Manhattan, et dont il découvre à cet instant que la réalité est pourtant autrement noire. Puis s’installe le lexique de détective avec les questions : « How? What? When? » annonçant que sa nouvelle tâche sera désormais la quête de la vérité.

4. Le retour en arrière : une contrainte musicale

  • 10 Le documentaire que Joshuah Waletsky consac...

  • 11 Les caractéristiques formelles d’une telle ...

  • 12 Maureen Turim consacre plusieurs pages au r...

11Nous nous trouvons soudain dans un hall d’accueil où se dresse une tour surmontée d’une horloge universelle [02:59]. Brutalement, l’harmonie des accords de l’orchestre paraît exploser car la musique évoque une chute en cascade par des notes égrenées sur un instrument étranger que nous n'avions pas encore entendu, un triangle, suggérant une sorte d’effondrement de l’espace-temps, celui d’un retour en arrière dans le temps (Turim 143-186). Cet événement sonore est traduit de façon d’autant plus inquiétante par la brutale intrusion d’accords dissonants de tout l’orchestre, frappés de manière répétitive10. Tout ceci conforte l’utilisation du motif par la musique moderne (André 95), introduisant une variation de l’expression de l’angoisse par la musique classique lors de la séquence d’ouverture11. Un gouffre de trente-six heures entre présent et passé est indiqué : la date, Thursday April 24, 10:48 AM, se superpose en toutes lettres sur l’écran de l’horloge à la première, celle du présent vécu par le personnage, Friday April 25, 11:23 PM. Nous assistons au début d’un récit enchâssé12 riche en péripéties comme en suspense, au fil de trente-six heures – et pour le spectateur, 90 minutes des 93 minutes du film.

II. Une symphonie urbaine

1. Un univers ordinaire qui devient inquiétant pour le personnage

12Ce monde est aussitôt introduit par une musique d’ambiance légère, gaie et dynamique qui accompagne la voix d’un guide expliquant à des visiteurs le mécanisme de l’horloge dans le hall indiquant l’heure de chaque fuseau horaire. La scène est filmée en plongée et en plan éloigné, ce qui souligne la dimension monumentale de l’architecture intérieure imitant celle de la rue. Puis le hall est cadré à hauteur d’homme et devient un repère spatio-temporel d’où l’atmosphère inquiétante du film noir a disparu. Nous voyons en effet Stroud entrer dans ce hall avec l’assurance d’un patron pour qui cet endroit est familier.

13Cependant, une fois dans l’ascenseur, la musique d’accompagnement nous fait entendre le motif initial prémonitoire de la catastrophe qui va se produire, et qui permettra d’identifier à la fois le personnage et la menace du monde qui l’entoure : sa répétition contamine tout l’orchestre car il est repris par une variété d’instruments et l’accompagne jusqu’au moment où celui-ci sort de l’ascenseur à Crimeways [05:50], étage où il dirige la publication d’enquêtes criminelles. Dès lors, les répétitions entendues dans la musique, et qui définissent pour nous le monde du film, ne vont pas quitter notre représentation de Stroud, d’abord heureux puis angoissé une fois qu’il est rappelé par Janoth [42:53].

  • 13 Le documentaire Manhatta (Paul Strand et Ch...

  • 14 Marc Vernet fait remarquer que dans le film...

14Quel est cet univers où il a vécu ces heures passées ? C’est l’univers moderne de la civilisation industrielle et la violence qu’elle impose à l’individu. La théorisation du rythme de la vie urbaine est caractéristique de l’esthétique des années 1920 (Hagener 48), et de la porosité entre ces rythmes modernes et le monde de la musique. Ruttman déclare en 1919 : « le tempo de notre temps : le téléphone, la sténographie […] entraînent une rapidité jusque-là inconnue […] un étrange désarroi faces aux choses de l’art […] auquel le cinéma répond en créant un art pour l’œil qui se déroule dans le temps comme la musique » (Banda 406). On trouve cet univers moderne essentiellement urbain dans Manhatta (1921)13, qui offre au film noir les formes nécessaires à la représentation audio-visuelle d’un univers dominé par l’incertitude et l’angoisse d’un personnage. La Grande Horloge déplace donc dans un immeuble et ses souterrains, couloirs et autres ascenseurs, l’espace en extérieur de la rue devenu un piège14.

15La cohabitation de la musique avec l’espace-temps acoustique se voit dès lors confier la tâche d’expliciter le déroulement du temps chronologique : le rythme des différentes ponctuations sonores sera également musical (Chion 43-52). Or, dans la Grande Horloge, la répétition, observée avec l’usage d’un leitmotiv associé à Stroud, caractérise de telles ponctuations. Nous en retiendrons deux d’origine mécanique : celles des sonneries régulières de l’horloge ; celles, aléatoires, des appels téléphoniques ; et une troisième, d’origine humaine, la répétition des bruits de pas. Ces éléments acoustiques fournissent en quelque sorte une basse continue en arrière-plan puisqu’ils accompagnent le continuum audio-visuel. Par leur présence lancinante, ils finissent par créer une angoisse indéfinissable caractéristique du genre ‘noir’. Ils constituent également un rappel de la présence insistante d’un monde d’objets à forte charge symbolique constituant des motifs visuels (André 94-97) au même titre que le leitmotiv musical.

16Avec le plan de Stroud sortant de l’ascenseur [05:50], la musique cède pour la première fois la place à l’univers acoustique du monde du travail où il s’engouffre. L’impression générale est celle d’un chaos où l’on entend simultanément des appels de différentes sources : voix, sonneries de téléphone, bruits de pas précipités, le tout ponctué par les efforts répétés de Cordette, son adjoint, pour capter son attention et lui rappeler l’urgence d’être à l’heure à la réunion de travail avec Janoth [07:52]. Puis nous nous retrouvons plongés dans le profond silence de la salle de réunion, lorsque soudain résonnent les onze coups d’une horloge cadrée de face. Un zoom avant en gros plan lui donne une sorte de dynamique autonome, en guise d’introduction à la mise en scène du pouvoir absolu de la devise du capitalisme : « le temps c’est de l’argent ». Il est 11 heures, la porte d’un ascenseur sous l’horloge s’ouvre au même instant, et le patron, Janoth [08:23] entre en scène. La régularité de la sonnerie sur un silence diégétique est mimée par le comportement du personnage qui se déplace à pas lents autour de la table de réunion à la manière des aiguilles d’une montre, affichant son rôle de maître du temps et du travail.

2. Un univers dominé par les rythmes de la symphonie urbaine

  • 15 On est en effet très loin de l’expressionni...

17Le rythme de l’univers acoustique où baigne Stroud est tout d’abord chaotique, puis régulier, mais tout aussi violent par sa nature purement mécanique. Il reprend donc la tâche de l’accompagnement musical où se répète le motif initial de l’angoisse du personnage. Nous verrons en effet que des rythmes purement acoustiques prennent la relève de la partition orchestrale pour dépeindre un monde moderne où dominent des forces qui sont à l’origine de la transformation de l’individu en prisonnier de la vie urbaine. Cette grande richesse des sonorités du film contribue à lui donner une teinte ‘noire’ alors qu’il y a très peu d’éclairages contrastés ou d’autres procédés expressionnistes15 en vue de lui donner cette couleur analysée par Krutnik – à l'exception du générique d’ouverture et les scènes se déroulant à l‘intérieur de l’horloge (Butler 2013, 304).

Des rythmes mécaniques et impitoyables pour l’individu

18Le premier rythme, évoquant la régularité qu’un métronome, est celui des sonneries de l’horloge auxquelles sont soumises les activités de tous les personnages travaillant dans les bureaux de JANOTH PUBLICATIONS. La musique d’accompagnement doit perdre en intensité lors des dialogues, comme si elle n’était pas destinée à être écoutée alors même qu’elle est essentielle au continuum filmique, (Chion 65-71) tandis que les sonneries de l’horloge ponctuant ce continuum, sont au contraire diégétiques et destinées à entretenir un sentiment d’extrême tension, voire de frayeur, chez les personnages. On entend l’horloge lors de l’entrée en scène de Janoth [08:23], puis lorsque Stroud exerce ses tâches de reporter d’enquêtes criminelles. Cependant, il faut attendre le retour dans le présent à la fin du film [01:22:45], pour que l’horloge joue à nouveau un rôle de premier plan par sa présence sonore, car Stroud l’arrête sans le vouloir [01:25:01], et lorsqu’il la remet en marche, celle-ci trahit sa présence à l’intérieur : Janoth ordonne alors à Bill d’enquêter, l’arme au poing [01:25:40]. Au cours du combat qui s’engage entre eux, c’est le téléphone qu’on entend sonner, et qui attire Bill vers l’ascenseur où il se fait prendre au piège [01:28:05] car Stroud en bloque le mécanisme. Horloge et téléphone rythment le temps qui s’écoule tout en exprimant l’angoisse du personnage, et stimulant notre empathie.

19Les nombreuses sonneries de téléphone qui interrompent d’une manière aussi brutale qu’inattendue le continuum sonore, dont la fluidité est assurée par la musique du film, produisent un second rythme qui martèle également le déroulement de l’action, en particulier lorsque l’enquête se précipite [50:57] et lors de la course-poursuite finale [01:20:44]. Les fortes tensions qui sont ainsi créées viennent de leur caractère aléatoire. Certes, elles ont été programmées, et sont donc attendues, pour la conduite de deux enquêtes parallèles : celle de Janoth et Hagen s’efforçant d’obtenir des témoignages au sujet d’un inconnu qu’ils ont baptisé Randolph ; et celle de George Stroud, chargé d’identifier le dit Randolph. Ces sonneries sont donc à la fois insérées dans une attente et s'avèrent cependant toujours surprenantes, causant à la fois l’espoir et la peur, ainsi que notre empathie avec le personnage de Stroud.

20Tandis que l’horloge est généralement cadrée au moment où elle sonne, le téléphone ne l’est pas, de sorte que sa sonnerie reste hors-champ, et de ce fait, mystérieuse. L’angoisse de la première vient du rétrécissement du laps de temps imparti au personnage, et celle de la seconde vient de l’expectative auquel il est soumis, mais tous les autres personnages sont également influencés par cet univers sonore, et par conséquent soumis à une accélération du tempo. En termes sonores, il s’agit de la zone intermédiaire notée par Michel Chion comme un ensemble de « zones acousmatiques », (Chion 66), et surtout, de frontières, soit perceptibles lorsque la source du son-in est à l’écran, soit ambiguës lorsque la source du son est hors-champ.

La menace d’un rythme d’origine humaine

  • 16 La pensée de Laslo Moholy-Nagy commentant s...

21Quant au troisième rythme, celui des bruits de pas des personnages, il produit également une régularité semblable à celle de l’horloge, mais son tempo évolue car ce bruit est humain et non mécanique. Depuis son retour forcé et le début de ses efforts pour éviter d’être identifié au mystérieux Randolph, Stroud a soigneusement veillé à inscrire ses déplacements dans le rythme général, ce que met en évidence le travelling de la caméra qui le suit d’une pièce à l’autre. Le rôle du rythme des pas évoque la conception de l’esthétique du rythme urbain qui force le sujet « à produire de nouveaux schémas et mécanismes pour s’adapter à son environnement » (Hagener 48)16. Or, une fois prononcé, le « Now ! » qui initie une temporalité nouvelle et caractérisée par la précipitation, tous les employés accélèrent le pas en examinant une pièce après l’autre, imprimant leur rythme à Stroud qui est au milieu d’eux [01:20:44]. Ce rythme acoustique se propage visuellement car il contamine le montage par une rapide alternance entre, d’une part, les ombres et l’obscurité environnante, elle-même trouée par le bref éclairage ponctuel sur la poignée qui commande l’horloge ; et, d’autre part, la vive lumière du bureau de Janoth.

III. Musique non-diégétique et ponctuation de l’action : le montage

22L’étude de ces différents emprunts au discours musical par les bruits diégétiques a montré comment la structure audio-visuelle du film noir, en ayant recours à certains éléments d’une symphonie urbaine, utilise cette interface pour créer l’effet de réel d’un univers imaginaire dominé par un sentiment de danger causant chez le personnage focalisateur un état d’alerte permanent. Ainsi, lors de la course-poursuite et du décalage entre poursuivant et poursuivi, le son des pas exprime l’isolement de Stroud, sentiment initié par le saxophone et le piano au début du film. Or, le montage produit le rythme de la projection (Eisenstein 95-96), la musique d’accompagnement doit s’accommoder des ponctuations du défilé des images. Par exemple, la musique souligne l’humeur noire de Hagen cherchant des indices chez Pauline sur une musique de la radio [37:20 — 38:30] puis se raccorde à celle, plus légère, qui accompagne Stroud en route pour ses vacances [38:30 — 38:59]. Ici, le montage alterné des deux musiques nous indique deux humeurs fort différentes.

23La musique de la course-poursuite apporte des accents martelés avec force lors des moments critiques : par exemple, un témoin téléphone à Cordette pour lui annoncer avoir un indice clef de l’enquête [01:14:40]. Un insert, accompagné de musique, cadre aussitôt Hagen retiré dans son bureau examinant l’indice [01:15:29], le mouchoir de Randolph qu’il a subtilisé impunément et caché dans sa boîte à cigares. Le montage alterné est donc souligné à nouveau par la musique qui soutient le flux tendu du continuum narratif : la musique se fait entendre puis disparaît avant de réapparaître, renforçant ainsi notre partage audio-visuel de l’anxiété du poursuivi. Plus tard, lorsque Stroud cherche à faire taire l’antiquaire, une musique de fond accompagne la scène [01:16:50], mais la caméra raccorde sur deux scènes où le timbre des voix remplace la musique : celle de Patterson, très aigue et toujours ponctuée d’un rire, puis celle, criarde, de l’antiquaire terrifié. Une deuxième rencontre avec Georgette se produit sur une musique en arrière-plan [01:20:44], mais Stroud descend ensuite au rez-de-chaussée et c’est la musique du générique d’ouverture qui revient. À nouveau, les voix remplacent la musique lorsque Stroud revient à son bureau et la vérité des faits est révélée. Une fois Janoth tombé dans la cage d’ascenseur, et Patterson s’étant écrié « My husband ! » en se jetant au cou du faux policier, tout l’orchestre entame la dernière partition sur des larges accords reprenant la musique du générique, d’où les solos ont toutefois disparu.

24La musique non-diégétique s’adresse donc à nous de deux manières : elle soutient le flux narratif, alimentant ainsi notre empathie de manière subliminale (Gorbman 56-69) lors de la course-poursuite que nous venons de suivre, et elle est spéculative lorsqu’elle attire notre attention sur le thème de l’angoisse quand la caméra se recentre sur Stroud, surtout dans les séquences à l’intérieur de l’horloge. La musique diégétique du film noir s’adresse également à nous, mais d’une manière imitative s’apparentant à la symphonie urbaine citée plus haut.

IV. Musique diégétique et introduction de sonorités nouvelles

25Notre empathie est en effet éveillée de manière différente, lorsque nous entendons la radio chez Pauline, un orchestre au restaurant, et une musique ‘verte’ chez Burtt.

1. La radio

26La scène du meurtre se déroule sur une musique diégétique qui crée un écart entre les sentiments des personnages et nos émotions. Pauline allume la radio à l’arrivée de Janoth, et le provoque en refusant de l’éteindre [34:04]. Cette musique à la radio souligne le rôle des pulsions et du désir qui définissent le film noir américain (Naremore 17-18) à travers la violence qu’elle éveille. Elle se fait entendre sous leurs hurlements, puis sous leur silence mutuel lors du meurtre [35:20], mais sans jamais contribuer « à l’émotion de la scène, en revêtant le rythme, le ton, le phrasé adaptés […] en fonction de codes culturels » comme le ferait une musique diégétique empathique (Chion 11). Nous entendons à nouveau la radio qui n’aurait pas été éteinte, dans les scènes avec Hagen [37:20] et Stroud [58:14] menant leur enquête privée avant l’arrivée de la police. Une telle continuité ne s’adresse donc qu’à nous, notre attention étant d’abord éveillée parce qu’elle est l’occasion de la querelle. Aucun des deux n'exprime émotion, surprise ou horreur lorsque l'on découvre le corps de la victime, que la musique aurait pu commenter. Elle paraît alors ironique, voire indécente. Au contraire, en tant que spectateurs, nous sommes émus par le souvenir de la scène de l'assassinat commis sur fond de radio, lequel contribue à notre émotion. Cette musique à la radio serait donc ‘anempathique’, car elle affiche « une indifférence ostensible à la situation, en se déroulant de manière égale, impavide et inéluctable […] ce qui a pour effet non de geler l’émotion mais au contraire de la redoubler » (Chion 11-12). Le rôle anempathique de la radio offre une expérience directe du sentiment d’aliénation que le genre du noir donne au spectateur.

2. L’orchestre du bar-restaurant Van Barth

27Grâce à la musique diégétique, l’investissement du spectateur est aussi fortement développé lors de deux épisodes au bar restaurant van Barth. La caméra cadre un orchestre de musiciens de jazz dont on distingue une contrebasse, un saxophone et une clarinette, lorsque le spectateur découvre le restaurant où Stroud a donné rendez-vous à sa femme Georgette en vue de leurs vacances [15:17]. Tandis qu’il l’attend au bar, il est accosté par une inconnue [16:12], Pauline, la maîtresse de Janoth. Le son et le rythme du jazz swing crée l’ambiance d’un lieu de divertissement en marge de celui des bureaux. La musique diégétique se poursuit hors-champ dans la salle du restaurant, assourdie par l’éloignement mais clairement perceptible, devenant ainsi une musique d’accompagnement pour leurs projets d’évasion : vacances pour lui, mais aussi soupçons d’une évasion de la famille pour elle.

28Au cours d’une deuxième scène au Van Barth [23:21] entre Stroud et Pauline, nous retrouvons l’orchestre et sa musique, d’abord cadré par la caméra, puis hors-champ. Tout comme dans la première scène, on note ici un exemple d'ambiguïté entre la musique diégétique et la musique non-diégétique (Ness 52-54) courante dans le film noir, ce qui est également vrai des voix hors-champ des appels téléphoniques, à la fois son-in et son-off (Chion 59-71).

  • 17 Le film peut être envisagé comme la lutte d...

  • 18 On pense à l’image du destin, les dés verts...

29Il s’agit de dépeindre, à travers cette musique, les clichés d’une société affluente où la boisson circule librement et la peur qu’inspire la présence de Janoth à ses employés [19:13 et 19:54]17 est mise entre parenthèses. Dans ce moment de liberté et d’oubli, Stroud commande par fantaisie de la ‘menthe verte’ dans son cocktail [24:04]. Mais soudain son humeur change : il demande l’heure au barman, et tente sans succès de joindre sa femme au téléphone [25:00]. À son retour, il commande un nouveau cocktail à la menthe verte, mais cette fois-ci pour lancer un défi aux deux mots répétés par Janoth, ‘clock’ et ‘time’, qu’il imite en leur opposant celui de ‘vert’. Dès lors, cet adjectif devient une qualité essentielle d’objets signifiants sa liberté. Lorsque le verre de Pauline est renversé par le barman [26:19], il lui donne son mouchoir qu’elle glisse dans son sac, fait la promesse de ‘lancer des horloges sur Janoth’ [26:37], et part hanter les rues dans la nuit avec elle [27:17]. Un fondu au noir s’ouvre sur un panoramique [27:08] d’une vitrine au son des bruits de la rue. Tout en chantonnant, il se lance à la poursuite d’un objet imaginaire, une ‘horloge verte’18.

  • 19 Le vert a des connotations particulières da...

3. Une musique ‘verte’19 chez Burtt

  • 20 Stroud d’une voix pâteuse présente ses rôle...

30Il entre tout d’abord chez un antiquaire, et il achète impulsivement une peinture signée Patterson guignée par l’artiste elle-même. Une musique entraînante envahit l’écran lorsque nous pénétrons avec lui dans l’univers de Burtt’s Place. Le barman et collectionneur Burtt, version grotesque du premier antiquaire, prétend détenir un exemplaire de tous les objets du monde. Puis, une chanson s’élève sur une rapide musique de jazz, tandis qu’un client se présente à Pauline comme un acteur ambulant, endossant plusieurs identités 20. Après avoir proposé à Stroud un cadran solaire en guise d’horloge, le barman collectionneur entre dans son jeu en lui ajoutant un ruban vert [29:27]. Les objets, chez l’antiquaire, puis chez le chiffonnier tenancier de bar, constituent un rappel de leurs fortes charges symboliques (André 94-97). En faisant l’acquisition de ces deux objets (le tableau, puis un cadran solaire ‘vert’), Stroud cède aux pulsions du désir mais devient, sans le savoir, le Randolph imaginé par le tueur. Il demande alors sans transition une ‘musique verte’ [31:05]. Un concert commence alors immédiatement. Deux personnages jouent sur le piano droit du bar un morceau de musique populaire typique des westerns, Stroud lançant des ‘hey-ho’ attendus [31:17 — 31:41]. Ils donnent l’impression de jouer sans suivre de partition, malgré les nombreuses partitions qui jonchent le meuble. On entend donc une sorte d’improvisation d’accords frappés en cadence, répondant ainsi à la libre improvisation de l’horloge ‘verte’ par Burtt, le barman collectionneur.

4. Une musique imitative onirique

  • 21 On pense au Liebestod de Tristan et Yseult ...

31Les pianistes et leur musique ‘verte’ disparaissent comme par magie dans une surimpression de la grande horloge tournoyant sur elle-même tandis que l’écran lui-même chavire, et nous plonge dans un délire d’ivresse [31:41 – 32:36]. Un rapide charivari d’images – cliché hollywoodien pour représenter un état de rêve alcoolisé – associe différentes émotions de Stroud le rêveur sur le sofa de Pauline : sa liberté (boissons et enseignes lumineuses des bars), son exclusion (Crimeways), et sa culpabilité (Georgette à la gare). Son délire est accompagné par des bribes de musiques illustrant les images : après la musique de western, on entend trois orchestres de jazz différents, et, pour le mélodrame de Georgette,21 une mélodie empruntée à une symphonie romantique [31:38 – 31:40], avant de revenir à une musique de jazz pour accompagner une image du tableau de Patterson [31:46]. Ce pot-pourri de styles différents, entre musique populaire de western, jazz typique de Manhattan, musique romantique classique, crée une symphonie urbaine qui accompagne la nuit de vagabondage dans les rues de Manhattan, contrepartie musicale de cette même symphonie urbaine. Ici, la musique imitative est présentée dans les limites du rêve, soulignant une différence essentielle au genre, à savoir que la musique du film noir est aussi spéculative : à travers le thème de l’angoisse, elle est la représentation de la vie intérieure du personnage focalisateur, et de son monologue intérieur, parfois audible en voix-off.

V. La Grande Horloge : un film à clef ?

32La musique spéculative du générique d’ouverture, comme le thème de l’angoisse du personnage principal, prennent le relais lorsqu’il se réveille, et que Pauline, observant Janoth dans la rue par la fenêtre, se débarrasse de lui en hâte [32:44]. En partant, Stroud emporte le tableau de Patterson, mais lui laisse le cadran solaire ‘en souvenir’.

  • 22 Les plus anciens indicateurs solaires connu...

  • 23 Rappelons le paradoxe de la flèche de Zénon...

33Ce cadran solaire est un objet essentiel à la dimension ‘existentialiste’ du film (Vernet 16-17), ajoutant un niveau réflexif à la parodie du détective dans le film noir américain – Stroud contre Janoth (Copjec 171-2). En effet, le cadran solaire est présent dès les cinq premières secondes du générique d’ouverture en surimpression sur une première image montrant une douzaine de revues jetées pêle-mêle. Cet objet inséparable de son ombre portée22 à l’écran, accompagné par le son d’une cloche dans l’orchestre et par l’affichage simultané du titre du film, annonce l’action irréversible du temps. Or, l’icône du cadran solaire est remarquable pour plusieurs raisons : tout d’abord, parce qu’il reste sur l’écran pendant toute la durée du générique, et parce qu’il devient de plus en plus visible, surtout lorsque la caméra le cadre en gros plan, et en légère contre-plongée à partir de l’affichage du nom du réalisateur (John Farrow) [01:02]. De plus, l’augmentation sensible de la définition de l’ombre pointe le fait qu’il s’agit bien de désigner le passage des heures. Cependant, l’objet est surmonté d’une flèche du temps, ce qui est tout à fait incongru pour un cadran solaire23, et profondément ironique, puisque cette flèche signifie le temps suspendu dans l’instant. Cette flèche du temps rappelle visuellement le ‘vert’ tout aussi incongru du ruban ajouté par Burtt, toute couleur restant invisible dans un film en noir et blanc.

34Il devient dès lors possible de voir dans ce cadran solaire ‘vert’ une figure du diable, image qui apparaît comme dominante dès le générique d’ouverture, c’est-à-dire au moment même où le ‘diabolus in musica’ du triton analysé plus haut s’impose dans la partition. Le film comporterait dès lors une clef secrète ouvrant sur la réalité ‘diabolique’ de la marche du temps, comme le rappellent plus tard dans le film la ‘musique verte’ et le rythme accéléré d’une musique improvisée à quatre mains [31:05].

Conclusion

35La musique du film noir fait donc corps avec des univers sonores non musicaux que l’on peut analyser avec des critères musicaux tels que le rythme et le tempo, l’harmonie et la dissonance, et enfin, la répétition, soit en basse continue, soit en leitmotiv. Dans le film noir, la musique de film, partie intégrante de notre expérience audio-visuelle, devient spéculative lorsqu’elle contribue à la représentation de la vie intérieure envahie par l'angoisse du personnage central, tandis que la réalité d’un monde industriel à la fois violent et inexorable est rendue par les bruits d’une symphonie urbaine et une musique imitative dans les scènes de divertissements. La musique contribue plus que tout à la cadence soutenue du montage, en particulier lors de l’accélération causée par l’inévitable course-poursuite. Cependant, la musique de Victor Young pour ce film a ceci de particulier qu’elle rend également compte d’espaces dominés par un rythme de plus en plus soutenu, de nombreuses interruptions, en utilisant les bruits comme des éléments sonores dans sa composition. Le caractère inhumain de l’univers du film noir est exprimé par une musique an-empathique dans les scènes utilisant la radio, et par une ambiguïté entre musique d’accompagnement et musique diégétique hors-champ qui participe au sentiment d’aliénation que le spectateur partage avec le personnage focalisateur. Enfin et surtout, cette composition musicale réussit l’expression d’une dimension symbolique en complétant une partition à dominante ‘noire’ par une partition rendue encore plus inquiétante lorsqu’elle est re-baptisée ‘verte’, c’est-à-dire démoniaque. Le parallèle observé dans le générique d’ouverture de la Grande Horloge entre ‘diabolus in musica’ et ‘horloge verte’, c'est-à-dire le cadran solaire, donnent une force particulière à l’image du mal absolu traditionnelle du film noir. Tout se passe comme si comme si, étrangement, ce film noir possédait un envers vert.

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Notes

1 On attribue la première distinction d’un genre dit film noir américain à la critique française, Jean-Pierre Chartier, « Les Américains aussi font des films ‘noirs’ », Revue du cinéma 2 (Novembre 1946): 67-70.

2 La Grande horloge/The Big Clock (1948) Paramount, n&b. 93 mn., Réal. John Farrow d’après le roman éponyme de Kenneth Fearing, The Big Clock, (London: Orion House, 1947). Inter. Stroud (Ray Milland), Earl Janoth (Charles Laughton), Georgette (Maureen O’Sullivan), Pauline (Rita Johnson), Louise Patterson (Elsa Lanchester). Earl Janoth et son proche conseiller Steve Hagen dirigent un empire de la presse, Janoth Publications, qui comporte plusieurs journaux parmi lesquels celui de George Stroud, Crimeways. Au moment d’un départ en vacances avec sa femme Georgette, Stroud manque son rendez-vous à la gare et passe la soirée en compagnie de Pauline York, la maîtresse d’Earl Janoth. En sortant de chez elle, il croise Janoth sur le palier mais ce dernier ne le reconnaît pas. Janoth a une violente dispute avec Pauline et, l’ayant tuée, il met au point avec Hagen une recherche du visiteur aperçu afin de l’accuser du meurtre. L’inconnu est baptisé Randolph, mais c’est Stroud qui est chargé de diriger les opérations de recherche. Celui-ci comprend qu’il risque d’être accusé. Il élabore son propre plan pour prouver la culpabilité de Janoth mais le temps presse. Des témoins qui l’ont vu au cours de sa soirée avec Pauline sont retrouvés et pénètrent dans l’immeuble. Stroud se cache dans la tour de l’Horloge, puis finit par accuser Hagen du meurtre. Janoth tue Hagen d’un coup de pistolet, mais se tue en tombant dans la cage de l’ascenseur dont Stroud a bloqué la porte.

3 L’éclairage du film est l’œuvre du photographe chef opérateur John F. Seitz, qui avait débuté sa carrière à Hollywood dès 1911, et possédait donc une grande expérience pour le tournage de La Grande horloge. Il utilise peu les effets d’éclairages du clair-obscur, en faveur d’un éclairage naturel, contribuant ainsi à la modernisation du film noir des années 30, aux éclairages ‘expressionnistes’, pour un film de 1948 (Vernet 10).

4 Le film est cité dans L’Encyclopédie du Film Noir, car le générique d’ouverture compte « de nombreux éléments noirs traditionnels : un plan panoramique sur la ville sombre qui se resserre sur un couloir obscur puis sur une silhouette furtive […] en voix-off quelqu’un se lamente sur son sort puis survient un flashback explicatif » (Silver 194).

5 Albert Victor Young (1899-1956). Ce musicien américain est né à Chicago, et il a exercé les métiers de violoniste, de chef d’orchestre, et de compositeur de musique de film. Après des études musicales en Pologne, il revient aux Etats-Unis en 1920, où il est engagé par l’orchestre du Théâtre Grauman Million Dollar à Los Angeles. C’est vers 1935 qu’il se consacre à la musique de film à Hollywood, contribuant à la partition devenue légendaire de Magicien d’Oz (1939), film qui est aussi le premier long métrage en Technicolor. Il est ensuite nominé pour la meilleure composition originale de nombreux films avant et après The Big Clock (1948), comme par exemple For Whom the Bell Tolls (1944), My Foolish Heart (1950), The Quiet Man (1953), ou Written on the Wind (1957).

6 Paramount : un pic montagneux et un ciel auréolé d’étoiles

7 L’approche sémiotique de l’analyse musicale proposée par Theo van Leeuwen a fait l’objet de recherches françaises parmi lesquelles Marcello Castellana (Dir.), Sémiotique musicale, Actes Sémiotiques, VI, 28, 1983, E. Tarasti, De l’interprétation musicale, Actes Sémiotiques V, 42, 1983, et M.A.K. Halliday, Intonation et rythme, Actes Sémiotiques VII, 61, 1985, A. J. Greimas (Dir.), Besançon et Paris : Institut National de la Langue Française.

8 Le Triton -Diabolus in Musica- Meludia #18, youtube-Meludia-14 mai 2020. Intervalle de quarte augmentée, ou encore de quinte diminuée. Ce nom est dû au fait que cet intervalle fait exactement trois tons, soit une demi-octave. Nous reviendrons sur cette appellation plus loin, car dans ce film, le scénario accordant par ailleurs une place particulière à la couleur verte, il sera possible d’y voir un symbolisme très particulier, comme si le noir du film noir possédait un envers vert.

9 Créé par Humphrey Bogart (Vernet 23) pour le remake par John Huston en 1940 de la première version par Roy Del Ruth du Faucon Maltais/The Maltese Falcon (1931).

10 Le documentaire que Joshuah Waletsky consacre à Bernard Herrmann comporte un commentaire d’Elmer Bernstein qui illustre cet effet : « çà se grave dans votre esprit » [14 :12], suivi de celui de Royal S. Brown faisant allusion à la 5e symphonie de Beethoven à propos des séries d’accords parallèles utilisées par le compositeur : « il utilise des cellules très brèves de signification musicale dont il peut jouer à volonté » [17 :20]. Joshuah Waletsky, Bernard Herrmann, Music for the Movies, 140 min. (1992), DVD édité par Les Films d’ici/Alternative current, 1995.

11 Les caractéristiques formelles d’une telle musique seraient en effet, parmi d’autres, l’utilisation de fragments musicaux et une mise à distance des formes classiques de la musique Hollywoodienne (Butler, 2013, 303).

12 Maureen Turim consacre plusieurs pages au retour en arrière, d’abord dans le cinéma français des années 30, Le Crime de M. Lange (Jean Renoir 1935) et Le Jour se lève (Marcel Carné 1939), dialogues de Jacques Prévert, et à l’atmosphère de ces films comme élément structurant du psychisme des personnages (Turim 144-148), puis dans The Locket (John Bram 1946). Elle souligne l’utilisation de répétitions, en particulier d’objets qui structurent ce retour en arrière.

13 Le documentaire Manhatta (Paul Strand et Charles Wheeler 1921) sur un poème de Walt Whitman est le meilleur exemple de ce contexte de vie urbaine. Une étude de l’œuvre du photographe Weegee et de la peinture de Hopper par Tom Ryall montre cette représentation de la ville moderne américaine, remettant en cause les commentaires attribuant à l’expressionnisme allemand la seule source du film noir américain (Ryall 163-165).

14 Marc Vernet fait remarquer que dans le film noir des années 50, il y a une réduction de l’espace due au tournage en studio, ainsi qu’une valorisation du noir et blanc au regard de la naissance du film en couleur, et du détective empêché par la société corrompue qui contribuent à un style dont la critique française s’est emparée (Vernet 20-22).

15 On est en effet très loin de l’expressionnisme outrancier utilisé dans Stranger on the Third Floor (1940) considéré aujourd’hui comme le premier film noir pour l’importance de la voix du narrateur autant pour son interrogation sur la justice que pour le sentiment d’angoisse qui domine. C’est également la partition de Roy Webb qui retient l’attention de David Butler (Butler 2016, 177).

16 La pensée de Laslo Moholy-Nagy commentant ses photos des gratte-ciels comme une dynamique exprimée par l’axe vertical et la répétition, c’est-à-dire « an aesthetic experience as perceptual extensions of the human system […] the city-dweller is forced to constantly produce new schemata and mechanisms to cope with the environment » (Hagener 47, fig. 1.1.). L’emploi du terme ‘symphonie’ constitue une trace de l’intermédialité musique-sons urbains qui se met en place dans l’esthétique caractéristique du mouvement moderniste. Voir la musique de Erik Satie pour Entr’Acte (Marks 167-185).

17 Le film peut être envisagé comme la lutte de l’Américain en guerre contre le pouvoir des banques et de la règle : ‘le temps c’est de l’argent’ incarnée par Janoth (MacCannell 284-286).

18 On pense à l’image du destin, les dés verts sur un tapis vert : « Green dice rolled across the green table, stuck the rim together, and bounced back », première phrase de The Glass Key (1931), roman ‘noir’ de Dashiell Hammett (Hammett 575).

19 Le vert a des connotations particulières dans la culture occidentale : pour les peintres en miniature, c’est la couleur instable, elle n’a pas de nom en langue celte, et, complémentaire du rouge (bleu+jaune) elle est la couleur du diable. Cf. en français ‘vert de rage’, en anglais ‘green with envy’, et la légende arthurienne Sir Gawain and the Green Knight.

20 Stroud d’une voix pâteuse présente ses rôles où il parodie la société : le Président McKinley/l’autorité, puis le confédéré Jefferson Randolph/l’armée, et l’inspecteur Regan/la police criminelle. Ces différents rôles permettent au personnage de réapparaître au fil des épisodes : le nom de Randolph, puis le nom de McKinley chez Burtt, et enfin l’inspecteur Regan, entraînant la mort de Hagen, puis la chute mortelle de Janoth.

21 On pense au Liebestod de Tristan et Yseult de Wagner et sa réécriture par Bernard Hermann pour le Love Theme bouleversant de Vertigo. www.musiqxxe.fr/musique-vertigo-herrmann, « Album- Bande originale de Vertigo (Bernard Herrmann), véritable osmose musicalo-scénaristique ». Consulté 15 mars 2021.

22 Les plus anciens indicateurs solaires connus ont été trouvés en Égypte, mais les premiers véritables cadrans solaires projetant leur ombre sur une circonférence d’un jour sont supposés avoir été introduits par Bérose en Grèce (ive siècle av.J.C.). Il ne comporte jamais de flèche du temps.

23 Rappelons le paradoxe de la flèche de Zénon, nous imaginons une flèche en vol. À chaque instant, la flèche se trouve à une position précise. Si le temps est une succession d'instants, la flèche est donc toujours immobile à chaque instant et ne peut pas se déplacer : le mouvement est donc impossible.

Pour citer ce document

Raphaëlle Costa de Beauregard, «La musique du film noir : La Grande Horloge (John Farrow 1948) et Victor Young entre tradition et modernité», TIES [En ligne], TIES, Musique et Polar, mis à jour le : 03/05/2022, URL : http://revueties.org/document/992-la-musique-du-film-noir-la-grande-horloge-john-farrow-1948-et-victor-young-entre-tradition-et-modernite.

Quelques mots à propos de :  Raphaëlle Costa de  Beauregard

Raphaëlle Costa de Beauregard, est Professeur Émérite à l’Université Toulouse Jean Jaurès. Ses domaines de spécialité sont pluridisciplinaires. Elle s'intéresse plus principalement à la littérature et aux arts anglophones. Après une thèse d’état soutenue à la Sorbonne en 1986 sur les miniatures de Nicholas Hilliard (thèse publiée en 1992), elle a fondé en 1990 la SERCIA (Société d’Études et de Recherche sur le Cinéma Anglophone) qui organise un colloque par an dont les actes sont régulièrement publiés. Parmi ses articles publiés récemment, on pourra consulter en ligne « Medieval and Modern Conceptions of the Colours of Light in Early Modern England and Isaac Oliver’s Portrait Miniatures », E-rea

[En ligne],

12.2 | 2015-URL : http://erea.revues.org/4348 et, concernant le cinéma et la musique : « Lettre d’une inconnue (Max Ophuls, 1948) ou la musique entre le mal et le bien », N. Vincent-Arnaud et F. Sounac (dirs.), La musique et le mal : figures, lectures, représentations. Revue Musicorum 18 (2017) 121-132. [En ligne].