La voix dans tous ses états
La voix dans les nouvelles de Katherine Mansfield : de la polyphonie au silence
Résumé
La littérature moderniste britannique a été le lieu de la remise en question de la voix, que ce soit celle du narrateur ou des personnages, remise en question qui s’inscrit dans la crise épistémologique et ontologique du début du vingtième siècle. Les nouvelles de Katherine Mansfield sont exemplaires de ce point de vue en ce qu’elles brouillent la frontière entre les différentes voix du texte et exercent sur la parole et la voix des personnages une tension qui ne trouve sa résolution que dans un silence paradoxal. S’appuyant sur l’essai de Gilles Deleuze de 1993, « Bégaya-t-il », cet article se propose ainsi d’étudier la complexité des procédés mis en œuvre dans les nouvelles de Mansfield, de voir comment l’effacement de la voix narratoriale introduit une tension entre narration et dialogue, tension qui s’exprime au travers d’une construction polyphonique et d’une violence exercée sur la langue comme sur la « voix » des personnages, notamment par un processus d’hybridation phonétique et graphique.
Abstract
British modernist literature questioned the very notion of voice, a questioning to be linked with the wider epistemological and ontological crisis of the early twentieth century. Katherine Mansfield’s short stories exemplifies this questioning in the sense that they blur the frontier between the different voices of the text and impose a tension on the speeches and on the different voices of the characters, a tension that can be solved only through paradoxical silences. This paper will study the complex writing processes used in the stories so as to see how the erasure of the narratorial voice introduces some tension between narration and dialogues via a polyphonic structure and a violence at work against language as well as against the characters’ voices, mainly through a process of phonetic and graphic hybridization.
Plan
Texte intégral
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1 « Un écrivain n’est pas un ventriloque – il ...
1Lors d’une rencontre organisée par le Centre National du Livre à Paris en juin 2017 entre Russell Banks et Pierre Furlan, son traducteur pour la France, le célèbre romancier américain, interrogé sur la question de la voix et notamment sur la façon dont un écrivain « faisait parler » ses personnages, répondait : « The writer is not a ventriloquist but a listener. He listens to his characters and their voices. »1
2Cette anecdote montre bien à quel point la question de la voix est primordiale dans la littérature contemporaine, primordiale et problématique tant les frontières entre les différentes voix du texte se sont brouillées depuis le début du vingtième siècle, qu’elles soient celle du narrateur ou celle des personnages. La littérature britannique moderniste des années 1920 et 1930 avec ses figures de proue telles que James Joyce, Virginia Woolf ou Katherine Mansfield, nous a en effet proposé ce que l’on pourrait appeler une révolution de la voix en multipliant les confusions entre genres, voix et discours.
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2 « parce que la nouvelle peut être plus conce...
3L’écriture de Katherine Mansfield, figure majeure bien que parfois atypique de ce modernisme anglais, est exemplaire en ce qui concerne la question de la voix. Née en Nouvelle-Zélande en 1888, elle entame dès l’adolescence une carrière d’écrivain en publiant ses premières nouvelles, ce qu’elle ne cessera de faire jusqu’à sa mort prématurée en 1923 en France à Fontainebleau. Lorsqu’en 1916 (elle vit alors en Angleterre), elle s’interroge sur les bouleversements que connaît le monde, elle évoque dans une lettre restée célèbre la nécessité d’un nouveau « mot » : « The time has come for a ‘new word’ but I imagine the new word will not be spoken easily” » (Mansfield 1977, 136). Avec ce nouveau mot se pose la question générique du médium choisi par Mansfield, la nouvelle, genre majeur dans les pays anglo-saxons de nos jours encore, et de ses liens pour Mansfield avec la poésie, et plus précisément avec les Symbolistes du siècle précédent. Elizabeth Bowen, autre grand nom de la nouvelle anglo-saxonne du vingtième siècle évoquait elle aussi en 1959 ce qu’elle appelait « l’avantage de la nouvelle sur le roman et sa plus grande parenté avec la poésie » : « because it must be more concentrated, [it] can be more visionary, and is not weighed down (as the novel is bound to be) by facts, explanation or analysis » (Bowen 128)2. Si j’insiste sur ce lien avec la poésie, c’est bien sûr à cause de la question du sujet lyrique et de la voix : la critique Clare Hanson dit d’ailleurs des textes courts – « short fiction » – de Mansfield comme de Bowen ou de Woolf, qu’ils signent l’émergence de la nouvelle lyrique, « the lyric short story ». Les nouvelles de Mansfield, comme la plupart des œuvres modernistes, réduisent la voix parfois encombrante du narrateur au minimum pour donner le champ libre aux voix des personnages ou même, dans le cas de Mansfield, aux animaux ou choses inanimées dans le cadre d’une prosopopée réinventée. Ce que donne alors le texte à entendre est-il seulement la voix exacerbée de la subjectivité, un soliloque narcissique et désespéré, ou au contraire, comme souvent chez Katherine Mansfield, une voix polyphonique jouant des contrepoints, de l’harmonie ou de la dissonance ? Une fois remise en question la voix prédominante du narrateur, c’est tout l’équilibre ou la frontière justement entre narration et discours qui sont repensés.
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3 Consulter notamment à ce sujet Katherine Man...
4La critique Mansfieldienne s’est souvent interrogée sur cette question de la voix, celle des personnages et celle, souvent ironique, du narrateur : Anne Besnault-Levita, notamment dans son ouvrage Katherine Mansfield ou la Voix du moment (Besnault 1997), étudie ce qu’elle appelle « l’entre-deux et variations sur la voix », et dans son article de 2011 (« ‘– Ah, what is it? – that I heard.’: Voice and Affect in Katherine Mansfield’s Short Fictions ») qui s’appuie sur les travaux de Merleau-Ponty et de Jean-Claude Nancy, elle étudie le rapport entre voix et affect, et montre comment la voix des personnages peine à se faire entendre de l’Autre tout en faisant vibrer chez le lecteur un affect qui vient briser le silence. Plus largement, la critique récente des nouvelles de Mansfield s’est penchée non seulement sur la question de la voix, mais aussi sur son rapport à la langue, à la traduction et aux langues étrangères3. Il est donc nécessaire ici de revenir tout d’abord sur la complexité des procédés mis en œuvre dans les nouvelles de Mansfield en nous appuyant sur les travaux de Deleuze, notamment dans son article « Bégaya-t-il », pour montrer comment la voix chez Mansfield est constamment le lieu de ce déséquilibre et de cette « puissance de bifurcation » dont il parle (Deleuze 137). Nous évoquerons ainsi tout d’abord la question de la polyphonie chez Mansfield et de la tension entre la narration et les discours (ou de façon plus large entre langue « parlée » et langue écrite), avant d’évoquer la question du déséquilibre que l’écriture de Mansfield impose à la voix (celle des personnages et du narrateur mêlées) : il s’agira alors de voir comment le texte fait violence à la langue, en faisant « bégayer » la parole dans cette langue, notamment par l’irruption d’une langue étrangère.
1. Polyphonie
5L’utilisation du terme de voix et de « langue parlée » même si elle s’inscrit dans un champ métaphorique me paraît déborder ce champ, tant l’effet de voix fait entendre au lecteur « quelque chose » qui n’est plus de l’ordre de l’écrit. Le texte donne à voir et à entendre. Voix des personnages (discours direct ou rapporté – que ce soit de leurs paroles ou de leurs pensées), voix du narrateur, voix de l’auteur (ou effet de voix), voix du texte : voici bien les différentes voix que le texte fait entendre et que l’écriture de Mansfield tend à brouiller. Noëlle Batt, dans son article de 1994, « À la recherche de la voix de son texte », revient sur l’acte de parole que représente tout texte, même écrit :
4 Je souligne.
Au commencement était non pas le texte, mais le texte parlé, ou chanté. Le texte bénéficiait donc d’emblée du support de la voix et des suppléments que sa présence occasionne. Le texte a plus tard changé de support. La voix, continuum temporel et vocal s’adressant à l’oreille a cédé le pas à la surface plane et cadrée de la page, s’adressant à l’œil. La voix coule ; les pages se tournent. Le texte se déchiffre au lieu de s’écouter. […] Mais quoi qu’il en soit, supporté par la voix ou par la page, le texte artistique n’en garde pas moins un statut phénoménologique unique4 et des caractéristiques communes. (Batt 12-14)
6Cette oralité ou ce « statut phénoménologique unique » que nous retrouvons chez Mansfield sont d’autant plus grands que le brouillage des voix est important. Lorsque dans Les problèmes de la poétique de Dostoïevski en 1929, Bakhtine étudie la polyphonie ou le dialogisme de l’écrivain russe, il montre comment le discours du narrateur interagit avec ceux des personnages, ou comment un même personnage peut instaurer en lui-même un dialogue, un discours double donc, dont aucun n’aura la préséance sur l’autre. C’est, dit Bahktine, une façon pour « l’auteur », de tenir son propre discours à distance, de ne privilégier aucune voix. Il ajoute que le terme de « polyphonie » qu’il emprunte à la musique n’est à prendre que d’un point de vue métaphorique. Les critiques ont évoqué un certain flottement dans la définition de la polyphonie de Bakhtine : je voudrais toutefois à mon tour reprendre ce terme de polyphonie particulièrement fructueux lorsque l’on évoque la voix dans les nouvelles de Mansfield, mais je ne suis pas sûre, là non plus, de n’y voir qu’une métaphore, et son lien avec la musique me semble primordial (Katherine Mansfield était elle-même une musicienne accomplie5). Lorsque James Joyce renonce à une voix narratoriale autoritaire pour laisser entendre ses personnages, il va développer la technique du courant de conscience (stream of consciousness), et reconnaîtra volontiers que le monologue de Molly Bloom dans Ulysses, publié en 1922, doit beaucoup à la nouvelle d’Édouard Dujardin, « Les Lauriers sont coupés » publiée en 1885. Ce monologue intérieur poussé à l’extrême (on sait que Jane Austen fut dans les années 1810 celle qui « inventa » si l’on peut dire le monologue intérieur classique) tente donc de faire taire le narrateur traditionnel à la troisième personne qui, chez Woolf par exemple, ne trouve souvent comme espace d’expression que les verbes déclaratifs6.
7Cet effacement de la voix du narrateur est à mettre en parallèle avec ce que Katherine Mansfield dit de son travail d’écrivain et qui apporte des nuances importantes aux propos de Russell Banks par lesquels j’ai débuté ma réflexion. Une célèbre lettre de Mansfield datée du 11 octobre 1917 et adressée au peintre Dorothy Brett commente le processus d’impersonation que l’on traduit faute de mieux par « imitation » en français (une autre traduction possible, « l’usurpation d’identité » est sans doute plus tentante). Mansfield y évoque ce double mouvement que l’on nomme en anglais impersonality (renoncement à soi) et impersonation, le premier étant indispensable au second ; elle décrit ce qu’elle ressent en observant choses et objets, ou en écrivant à leur sujet : on doit, dit-elle, tenter de devenir ces choses, une pomme ou un canard, avant de pouvoir les faire surgir dans un texte :
When I pass the apple stalls I cannot help stopping and staring until I feel that I, myself, am changing into an apple, too—and that at any moment I may produce an apple, miraculously, out of my own being like the conjurer produces the egg. […] When I write about ducks I swear that I am a white duck with a round eye, […] I don’t see how art is going to make that divine spring into the bounding outlines of things if it hasn’t passed through the process of trying to become these things before recreating them. (Mansfield 1985, 84)
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7 « Ah-Aah! sounded the sleepy sea. » « At the...
8La citation peut faire sourire – et c’est sans doute aussi l’effet recherché malgré sa totale honnêteté –, mais c’est une façon pour Mansfield de renouveler l’art de la mimesis jusqu’à la prosopopée. Elle fait ainsi parler les animaux et les objets, soupirer la mer7 et gémir une vieille étole de fourrure dans « Miss Brill », à chaque fois non pour exprimer quelque pathetic fallacy dénoncée par Ruskin, mais bien parce qu’elle entend aussi bien les choses que les êtres dans une construction polyphonique.
9La polyphonie de ses nouvelles est ainsi proprement musicale : une « combinaison de plusieurs voix simultanées, gardant une certaine indépendance mélodique » (Histoire de la musique occidentale 92). La polyphonie qui apparaît au IXème siècle est un premier geste contrapuntique et c’est bien aussi sous la figure du contrepoint que l’on peut étudier les voix chez Mansfield. Le contrepoint consistant en la superposition de lignes mélodiques, nous nous heurtons bien sûr à la question de l’horizontalité unique de la phrase qui ne trace qu’un seul vecteur sur la page quand le contrepoint musical permet la superposition de plusieurs lignes mélodiques simultanément. Cette simultanéité est en fait retranscrite dans l’écriture par la combinaison, dans un même segment syntaxique ou dans une même phrase, de plusieurs voix. Il est presque impossible de reconnaître à la première lecture la succession des voix, son inscription dans un déroulé syntaxique. Le brouillage des voix qu’instaure Mansfield est en effet presque imperceptible tout d’abord, composant un ensemble où chaque voix, à peine identifiable, déborde sur les autres.
10On trouve un exemple particulièrement frappant de cette polyphonie dans la nouvelle de Mansfield publiée en 1922, « The Doll’s House », et qui débute par l’énoncé suivant : « When dear old Mrs Hay went back to town after staying with the Burnells she sent the children a doll’s house »8 (383). Cet incipit in medias res, comme souvent chez l’auteure, donne tout d’abord l’illusion de faire entendre la seule voix d’un narrateur à la troisième personne avant que d’autres voix ne s’en dégagent pour agir comme un contrepoint. « Dear old Mrs Hay » et « the children » sont en effet chargés d’un affect et d’une subjectivité qui ne peuvent appartenir au narrateur ici. Le premier segment est difficilement identifiable mais peut toutefois être associé à une voix collective, celle d’une communauté pour qui elle reste « Mrs Hay » mais qui s’estime capable de juger de la bonté du personnage et accole donc à son nom des épithètes presque homériques (« Dear old »). Un second segment – « the children » – contient lui aussi de l’affect et fait sans doute entendre la voix de la grand-mère mentionnée dans le début de phrase. La suite du texte poursuit cette polyphonie en faisant entendre une parole enfantine anonyme : « It was so big the carter and Pat carried it into the courtyard ». C’est dans le choix de « so big » et dans la référence à « Pat » (l’homme à tout faire) qu’à la voix du narrateur se mêle celle des petites Burnell indifférenciées ici9. L’affect qui envahit ce début de nouvelle prend tout son sens puisque l’arrivée de la maison de poupée dans le quartier va susciter tout un spectre émotionnel chez les enfants du quartier. Cela crée dans la phrase un mouvement de balancier où chaque voix déborde sur l’autre, au sein d’un véritable « colloque » au sens étymologique. C’est d’ailleurs le terme qu’emploie Vladimir Jankélévitch pour décrire le contrepoint dans Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien :
10 Je souligne.
Le contrepoint lui-même a une âme, en ceci que le parallélisme de ses voix a été expressément réglé note pour note par une volonté musicienne qui fait chanter ensemble ou converser plusieurs parties mélodiques également expressives, et pourtant l’une sur l’autre brodées dans le colloque vivant de la polyphonie10. (Jankélévitch 175)
11Si le narrateur se fait peu entendre dans les nouvelles, il reste toutefois une dimension dialogique où cette voix instaure une distance ironique qui vient contredire la ligne mélodique principale du personnage : lorsque dans « Marriage à la Mode », le personnage d’Isabel se repend de son attitude cruelle vis-à-vis de son mari, elle jure de lui écrire :
‘I must make up my mind’. Of course, she would stay here and write. Oh, but how could there be any question? Of course she would stay here and write. […] No, it was too difficult. ‘I’ll –I’ll go with them, and write to William later. Some other time. Later. Not now. But I shall certainly write’ thought Isabel hurriedly. (Mansfield 1987, 321)
12Cet exemple est tout à fait caractéristique de l’écriture moderniste de Mansfield : les deux voix du personnage, elles-mêmes dans une relation dialogique (voix haute et pensées intimes) sont juxtaposées et rendues à la fois par le discours direct marqué par les guillemets (« I must make up my mind »), puis par le courant de conscience souligné par l’utilisation du passé, marqueur du discours direct libre (« Of course she would stay ») ; la frontière entre les deux reste toutefois très ténue. De plus, l’utilisation des italiques dans « I shall certainly write », italiques censés reproduire le ton assuré du personnage, permet aussi l’intervention contrapuntique du narrateur qui, par la mise en relief du mot, vient bien sûr en contredire aussitôt le sens et détruire ainsi tout le discours hypocrite du personnage. Ce discours se perd dans la répétition (« later »), le bégaiement (« ‘I’ll go–I’ll go with them’ »), et se résume bientôt à des embryons de phrases adverbiales d’où disparaît tout sujet « I » et tout verbe d’action, exprimant la paralysie tout à la fois verbale et morale du personnage. On note d’ailleurs ici comment Mansfield « fait » ce qu’elle « dit » : l’adverbe « hurriedly » accolé au verbe déclaratif est traduit par ces phrases embryonnaires, comme écrites à la hâte.
13Dans « Bégaya-t-il », Deleuze revient justement sur les indicatifs de dialogue qui marquent les intonations, et notamment sur celui dont il fait le titre de son article :
[…] il semble que l’écrivain face à ces intonations n’ait que deux possibilités : ou bien le faire (ainsi Balzac faisait effectivement bégayer le père Grandet […]). Ou bien le dire sans le faire, se contenter d’une simple indication […]. Il semble pourtant qu’il y ait une troisième possibilité : quand dire, c’est faire… […]. Ce n’est plus le personnage qui est bègue de parole, c’est l’écrivain qui devient bègue de la langue en tant que telle. Un langage affectif, intensif et non plus une affection de celui qui parle. (Deleuze 135)
14Dans l’extrait de « Marriage à la Mode » cité plus haut, Mansfield utilise le premier des procédés isolés par Deleuze : elle fait parler son personnage de façon précipitée dans le discours direct, puis imprime cette cadence aux pensées du personnage et au texte même.
15Dans « Bliss », autre nouvelle emblématique publiée en 1920, le personnage de Bertha Young éprouve pour la première fois de sa vie un sentiment étrange que l’on identifiera ensuite au désir sexuel. La polyphonie mise en place dès le début de la nouvelle joue sur le discours direct et le courant de conscience dans un entrelacs de voix, qui appartiennent pour l’essentiel à Bertha mais traduisent différents niveaux de conscience :
What can you do if you are thirty and, turning the corner of your own street, you are overcome, suddenly, by a feeling of bliss—absolute bliss!—as though you’d suddenly swallowed a bright piece of that late afternoon sun and it burned in your bosom, sending out a little shower of sparks into every particle, into every finger and toe? . . .
Oh, is there no way you can express it without being “drunk and disorderly”? How idiotic civilization is! Why be given a body if you have to keep it shut up in a case like a rare, rare fiddle?
11 Je souligne à chaque fois.
“No, that about the fiddle is not quite what I mean,” she thought, running up the steps and feeling in her bag for the key—she’d forgotten it, as usual—and rattling the letter-box. “It’s not what I mean, because—Thank you, Mary”—she went into the hall. “Is nurse back?”11
“Yes, M’m.”
“And has the fruit come?”
“Yes, M’m. Everything’s come.” (Mansfield 91-92)
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12 On peut noter que, dans ce passage, le dial...
16Les frontières entre les différents discours sont brouillées comme si le texte, d’une certaine façon, reproduisait « l’hystérie » soudaine du personnage (elle dit elle-même un peu plus tard : « I’m getting hysterical » 93). Les pensées de Bertha sont reproduites selon deux modalités différentes : le courant de conscience qui tente de reproduire sans filtre narratorial les pensées qui affluent dans son esprit, et le discours direct plus traditionnel. Dans les deux cas, ce sont bien les pensées de Bertha qui sont reproduites, sa voix intérieure. Il est alors nécessaire de s’interroger sur la hiérarchisation opérée entre deux niveaux de pensée (puisqu’il ne fait nul doute que dans les deux cas, ce sont ses pensées que l’on « entend »). Les deux modes traduisent en fait deux niveaux de conscience : les deux premiers paragraphes de la citation se libèrent non seulement de la voix du narrateur mais aussi du contrôle du personnage lui-même qui tente de mettre des mots sur ce qui secoue tout son être. Surgit ainsi dans le discours la métaphore du corps devenu violon précieux enfermé dans son étui, déguisant à peine la signification sexuelle. Aussitôt exprimé, ce sentiment est refoulé par Bertha dont la voix « civilisée » reprend le contrôle sur une voix qui serait « drunk and disorderly » (expression dont le sens est bien sûr renforcé par l’allitération). Cette reprise de contrôle est symbolisée par le cadre formel des guillemets sur un mode dialogique : « “No, that about the fiddle is not quite what I mean.” » C’est également une façon pour Mansfield d’exprimer une certaine faillite du langage à dire les choses. La suite du passage joue encore des voix : «“It’s not what I mean, because—Thank you, Mary”—she went into the hall. “Is nurse back?” » Alors que les guillemets en début de phrase semblent donner le signal d’un discours direct identifié, ils viennent toutefois encadrer deux voix différentes à nouveau : une voix interne qui n’a pour interlocuteur que Bertha elle-même (« It’s not what I mean, because ») et une « voix haute » qui s’adresse à la servante (« Thank you, Mary »), comme si la frontière entre monde intérieur et extérieur devenait poreuse, comme si ces deux mondes englobés dans la même énonciation ou le même discours étaient reliés, plus que séparés, par le tiret long entre les deux phrases. Comme le souligne Anne Besnault dans son article « The Dramaturgy of Voice in Five Modernist Short Fictions », l’écriture de Mansfield oscille ainsi sans cesse entre expression d’un moi lyrique et dialogisme théâtral12.
17Dans les différents exemples étudiés ici, nous voyons également combien, à la multiplicité des voix s’ajoute la voix ironique du narrateur qui, par le contrepoint, vient « commenter » ou instaurer de la distance avec les voix de ses personnages.
2. « Faire violence à la langue » : « Alors mettre la langue en état de boom, proche du krach ? »
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13 Dans « Mr Reginald Peacock’s Day », la vacu...
18Les brouillages auxquels il a été fait allusion jusqu’ici ne sont pas qu’une remise en question formelle de modes narratifs : ils sont pour Mansfield, comme pour Woolf ou Joyce, l’expression d’une fragmentation de l’être qui, au lendemain des révolutions épistémologiques ou psychanalytiques au lendemain de la guerre, est désormais privé de cohérence13. La voix des personnages est brouillée et sans cesse remise en question dans son intégrité. La tension entre dialogues, narration et monologues intérieurs se retrouve également dans une utilisation très particulière que Mansfield fait de la langue étrangère dans ses nouvelles.
19Je voudrais ainsi revenir sur les propos de Deleuze dans « Bégaya-t-il » et notamment sur ce qu’il dit de la parole poétique, langue étrangère au sens métaphorique : « Si la langue se confond avec la parole, c’est seulement avec une parole très spéciale, parole poétique qui effectue toute la puissance de bifurcation et de variation d’hétérogénèse et de modulation propre à la langue » (Deleuze 136-137). Les grands écrivains, dit Deleuze, font vaciller la langue, la « font trembler de tous ses membres » pour créer une langue en mode mineur comme en musique, c’est-à-dire, pour reprendre ses termes, dans des « combinaisons dynamiques en perpétuel déséquilibre » (137). Les autres métaphores pour désigner l’irruption de cette langue sont frappantes : « mettre la langue en état de boom, proche du krach » (Ibid.). Même si Deleuze utilise le terme de langue étrangère de façon métaphorique comme le faisait Proust dans son « Contre Sainte-Beuve », on ne peut s’empêcher de noter qu’il utilise bien deux mots étrangers, l’un anglais (« boom »), l’autre allemand (« krach ») pour exprimer cette vibration de la langue dans la parole poétique et créer ainsi l’effet désiré chez son lecteur.
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14 Dans « The Man Without A Temperament », don...
20Mansfield fait elle aussi vaciller la langue, comme nous l’avons vu, dans les tensions entre les différentes voix du texte, mais elle utilise également la langue étrangère pour trouer ce texte et faire trembler la voix de ses personnages. Ainsi, dans plusieurs nouvelles se déroulant en Allemagne, en Italie et surtout en France, les langues étrangères viennent bousculer les dialogues et faire vibrer la voix des personnages sur un mode dissonant. Le sentiment de déterritorialisation des Britanniques à l’étranger est rendu de façon mimétique ou phonétique dans les dialogues qui deviennent le lieu de la distorsion : « Allez vite » devient ainsi « Allie, veet » dans « The Young Girl » (300), ou « Allay » dans « Honeymoon » (392). La difficulté des anglophones à prononcer le « u » ([y]) est également souligné dans « The Man Without a Temperament » : « Vous avez voo ça » (135). La distorsion phonétique opérée par la voix des personnages dans le discours direct provoque bien, via le français, un craquement de la langue majeure du texte (l’anglais) et ébranle tout aussi bien le lecteur anglophone que francophone qui se retrouve confronté à un ensemble de vibrations sonores et à une indétermination sémantique14. Même ébranlement de l’anglais cette fois dans « Honeymoon » lorsque le serveur français fait subir à l’anglais une déformation phonétique finalement assez identifiable car elle rejoint les clichés habituels : «“Dis way, sir. Dis way. I have a very nice little table,” he gasped. “Just the little table for you, sir, over in de corner. Dis way. ” […] “You will not ‘ave toasts to start with? We ‘ave very nice toasts, sir.” » (394) Dans « The Little Governess », tout le dialogue entre un vieux monsieur allemand et la jeune gouvernante anglaise rencontrée dans le train se déroule bien sûr en allemand au niveau diégétique et est, si l’on peut dire, directement « traduit » en anglais par le narrateur à l’exception d’une phrase, prononcée en anglais dans la diégèse et où le vieux monsieur démontre ses faiblesses linguistiques : « “Ow-do-you-do. Please vich is ze vay to Leicestaire Square.” She laughed too. » (181) On s’aperçoit que c’est justement parce que c’est un dialogue reproduit à l’écrit que l’écart, l’entre-deux entre les deux langues, semble le plus grand, majoré par le passage à l’écrit. La lecture silencieuse vient buter sur ces combinaisons de morphèmes hybrides, la ralentit et oblige le lecteur, au moins mentalement, à entendre les sons reproduits sur la page pour retrouver, sous la graphie, non seulement ce que ces sons peuvent « donner » à l’oral, mais également pour retrouver la langue originale, avant sa distorsion phonétique dans la diégèse, distorsion redoublée par une distorsion graphique dans le texte.
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15 Le [y] et le [e] fermé en français ; le [ð]...
21Dans l’une ou l’autre transformation (de l’anglais par un francophone ou un germanophone, ou du français par un anglophone), c’est l’altérité même des langues qui est soulignée. L’incapacité physique des personnages à faire entendre des sons qui n’appartiennent pas à leur langue maternelle15 creuse leur discours, révèle un handicap qui va souvent bien au-delà d’une question linguistique ou phonétique, et s’inscrit dans un processus de déterritorialisation.
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16 Sur la question de l’agrammaticalité voir l...
22Une des premières nouvelles de Mansfield, « The Journey to Bruges », pousse l’hybridité encore plus loin en jouant sur l’agrammaticalité16. La nouvelle décrit la perte de repère des passagers britanniques sur un bateau les emmenant à Bruges : le bateau est bien le lieu du passage par excellence, de l’entre-deux, du mouvement et de la dépossession (d’une terre et d’un territoire) : « In the act of crossing the gangway, we renounced England » (526). Le narrateur ajoute : « The most blatant British female produced her mite of French: we ‘s’il vous plaît’d’ one another on the deck, ‘Merci’d’ one another on the stairs, and ‘Pardon’d’ to our heart’s content in the saloon » (Ibid.). La lecture de ces agrammaticalités où le français se fraie un chemin à travers l’anglais au sein d’une voix narratoriale ironique, recrée exactement le tangage ou le roulis du navire, ce qui donne un écho particulièrement saisissant à ce que Deleuze ajoute dans « Bégaya-t-il » : « C’est comme si la langue toute entière se mettait à rouler, à droite, à gauche, en arrière, en avant : les deux bégaiements » (Deleuze 139).
23Dans les exemples cités précédemment, Mansfield utilise les clichés culturels et linguistiques qui permettent de faire entendre deux langues et deux voix conflictuelles et dissonantes dans la même énonciation. Au-delà de l’effet humoristique (elle reproduit aussi parfois l’accent américain), c’est une violence linguistique qui est à l’œuvre lorsque le discours mimétique laisse entendre une voix qui déforme la langue étrangère, scelle le divorce du mot et de la chose, de la voix et du mot, et échappe à celui qui la prononce parce qu’elle est signe de l’altérité. C’est bien alors par la voix que se font entendre non seulement le monolinguisme de l’Autre de Derrida, mais également une dissonance par rapport à son être même (un reflet « sonore » effrayant, écho du reflet dans le miroir dans le « Das Unheimlich » de Freud). Le discours du serveur dans « Honeymoon » ne fait que renforcer la xénophobie du client anglais qui, sûr de sa supériorité nationale et linguistique, refuse tout dialogue (« “These foreign fellows bore me stiff. The only way to get rid of them is to shut up17 as you saw I did” », 395), tandis que dans « The Governess » le charmant vieux monsieur allemand en qui la jeune anglaise voit un grand-père de substitution tente d’abuser d’elle. Dans « The Doves’ Nest », les deux servantes françaises se moquent du français de leur maîtresse et en font « a dreadful imitation » (444), leur supériorité linguistique leur assurant une revanche sociale éphémère18.
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19 Je souligne.
24Dans sa lettre à Lady Ottoline Morrell, Mansfield évoquait bien la résistance du langage à dire un nouveau monde (« the new word will not be spoken19 easily ») ; son écriture joue sur la tension entre cette résistance du mot et la violence faite à la langue dans ses nouvelles, sur un impossible dire. La voix chez Mansfield est ainsi rarement une projection du sujet vers l’autre, mais plutôt l’expression d’une radicale altérité, d’une solitude qui ne peut finalement que tendre vers le silence. Dans « Carnation », M. Hugo, le professeur de français, aime lire la poésie à voix haute à ses jeunes élèves anglaises, et sa voix vibre, s’élève triomphalement avant de s’éteindre et de mourir : « it ebbed, it grew soft and warm and calm and died down into nothingness » (655). Ses élèves ont du mal alors à retenir leurs ricanements : » because it made you feel unconfortable, queer, silly » (655). De même, dans l’une des nouvelles les plus connues de Mansfield, « Je ne Parle pas Français », la jeune Anglaise abandonnée en plein Paris par son amant retourné vivre chez sa mère en Angleterre, ne sait que répéter l’énoncé paradoxal, « Je ne parle pas français », seule phrase qu’elle peut prononcer en français et qui perd tout sens à force d’être répété, « bégayé » par la jeune fille. Pour le narrateur cynique qui se repaît de son chagrin et l’abandonne lui aussi à son sort, ces mots deviennent son « chant du cygne » : « That was her swan song to me » (90).
25La polyphonie chez Mansfield se fait dissonante et ne trouve souvent de résolution que dans le silence, celui des personnages ou celui des textes qui multiplient les ellipses, les phrases interrompues. Nombre de nouvelles commencent également in médias res, sur un silence de la narration20 et se terminent de la même façon par des fins ouvertes, des questions restées sans réponse. Dans « Bliss » la question désespérée de Bertha (« Oh, what is going to happen now? »), ne rencontre qu’une réponse muette et indifférente : « But the pear tree was as lovely as ever and as full of flowers and as still »21 (105). C’est souvent dans les silences, les interstices du texte que le sens se construit chez Mansfield, notamment pour mettre en avant la faillite du langage et des relations intersubjectives. Si certains de ses narrateurs à la première personne font entendre une parole prolixe, envahissante et apparemment sans retenue (Raoul Duquette dans « Je ne Parle pas Français » ou le narrateur anonyme de « A Married Man’s Story »), leur voix devient l’expression d’un narcissisme cruel et cynique que l’ironie silencieuse du texte mansfieldien remet sans cesse en question.
26Si l’on peut dire que Mansfield, contrairement à ce qu’affirme Russell Banks au sujet de lui-même, est bien ventriloque, alors ce qu’elle écoute le plus chez ses personnages, ce n’est pas seulement leur voix, leur monologue intérieur ou leur discours exhibitionniste, mais aussi leurs silences, ce silence qui fait bégayer Laura à la fin de « The Garden Party » et qui devient, enfin, l’expression d’une épiphanie douloureuse :
22 Je souligne.
‘Isn’t life, she stammered22, isn’t life–’ But what life was she could not explain. No matter. He quite understood.
Isn’t it darling’, said Laurie.
Bibliographie
BATT, Noëlle. « À la recherche de la voix de son texte ». Effets de voix. Dir. Pierre Gault. Tours : Presses Universitaires François-Rabelais, 1994. URL : http://www.openedition.org/6540) Consulté le 30 août 2017.
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BESNAULT-LEVITA, Anne. “The dramaturgy of voice in five modernist short fictions: Katherine Mansfield’s ‘The Canary’, ‘The Lady’s Maid’ and ‘Late at Night’, Elizabeth Bowen’s ‘Oh! Madam…’ and Virginia Woolf’s ‘The Evening Party’”. Journal of the Short Story in English 51 | Autumn 2008, mis en ligne le 01 décembre 2011. URL : http://jsse.revues.org/909. Consulté le 01 septembre 2017.
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JANKELEVITCH, Vladimir. Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien. Paris : PUF, 1957.
LAMY-VIALLE, Elisabeth. “Foreign Languages and Mother Tongues: From Exoticism to Cannibalism in Katherine Mansfield’s Short Stories”. Katherine Mansfield and Translation. Eds. Claire Davison, Gerri Kimber, W. Todd Martin. Edinburgh: Edinburgh University Press, 2015. 106-118.
LECERCLE, Jean-Jacques. « La stylistique deleuzienne et les petites agrammaticalités ». Bulletin de la société de stylistique anglaise 30 (2008) : 273-286.
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MANSFIELD, Katherine. The Letters and Journals of Katherine Mansfield: A Selection (1977), 4th ed. Ed. C.K. Stead. London: Penguin Books, 1985.
MASSIN Jean et Brigitte, dirs. Histoire de la musique occidentale. Paris : Fayard, 1985.
Notes
1 « Un écrivain n’est pas un ventriloque – il écoute. Il écoute ses personnages et leur voix ». Ma traduction.
2 « parce que la nouvelle peut être plus concentrée, plus visionnaire, et n’est pas encombrée – comme l’est inévitablement le roman – par les faits, les explications ou l’analyse ».
3 Consulter notamment à ce sujet Katherine Mansfield and Translation. Eds. Davison, Kimber and Martin (2015).
4 Je souligne.
5 Au sujet de sa nouvelle « Miss Brill », elle écrit dans une lettre adressée à Richard Murry, le frère de son mari John Middleton Murry : « I chose the rise and fall of every paragraph to fit her, and to fit her on that day at that moment. » (« J’ai choisi l’attaque et la chute de chaque paragraphe pour les accorder avec elle, et avec elle en ce jour précis, à ce moment précis »). Dans la nouvelle, la musique de l’orchestre des Jardins Publiques (sic.), est elle aussi « accordée » aux sentiments qui agitent le personnage, de la gaieté au désespoir (17 janvier 1921, Mansfield 1977, 213).
6 La narration à la première personne de « Je ne Parle pas Français » de Mansfield offre un exemple de narration à la première personne où le discours du personnage, Raoul Duquette, est un monologue théâtralisé et exhibitionniste.
7 « Ah-Aah! sounded the sleepy sea. » « At the Bay » (Mansfield 1987, 205). Toutes les citations des nouvelles seront tirées de cette édition).
8 « Quand cette chère vieille Mrs Hay revint en ville après son séjour chez les Burnell, elle envoya aux enfants une maison de poupée » (ma traduction).
9 La question de la polyphonie se double souvent chez Mansfield, comme chez Woolf, de la question de la voix collective. Les textes font souvent entendre des voix qui ne peuvent être attribuées à un seul personnage : il peut s’agir d’une voix collective anonyme (la foule admirant les arabesques d’un avion dans Mrs Dalloway de Virginia Woolf), ou d’une seule voix anonyme encore réunissant deux personnages ou plus (les amis parasites dans « Marriage à la Mode » ou les deux sœurs de « The Daughters of the Late Colonel » de Katherine Mansfield).
10 Je souligne.
11 Je souligne à chaque fois.
12 On peut noter que, dans ce passage, le dialogisme, ou la polyphonie, ne fait entendre que la voix – même plurielle – de Bertha. La voix de la servante, pourtant partie intégrante du dialogue au discours direct, est à peine audible et s’exprime dans la répétition et la quasi onomatopée (« Yes, M’m »).
13 Dans « Mr Reginald Peacock’s Day », la vacuité du personnage se fait entendre dans la répétition d’une formule de politesse peu à peu vidée de son sens (« Dear lady, I should be only so charmed–so charmed »).
14 Dans « The Man Without A Temperament », dont le récit se déroule sur la French Riviera, le chat des deux vieilles dames anglaises résidentes dans l’hôtel se nomme « Klaymongso », nom exotique pour tout lecteur anglophone ou francophone, jusqu’à ce que, peut-être, l’envie de le lire à voix haute ne fasse surgir le nom de Clémenceau, et ainsi le « Tigre » sous le pelage du chat. La graphie fait bien sûr écran mais rend le jeu sur le mot d’autant plus savoureux une fois qu’il est décrypté par un nécessaire passage à la lecture « à voix haute »…
15 Le [y] et le [e] fermé en français ; le [ð], le [θ], le « h » aspiré [h] et le [w] en anglais.
16 Sur la question de l’agrammaticalité voir l’article de Jean-Jacques Lecercle sur des auteurs gallois, « La stylistique deleuzienne et les petites agrammaticalités » (273-286).
17 Je souligne.
18 Cette question de la langue étrangère, et plus particulièrement, de la langue française, dans les nouvelles de Mansfield, a été traitée dans l’article « Foreign Languages and Mother Tongues : From Exoticism to Cannibalism in Katherine Mansfield’s Short Stories » (Lamy-Vialle 2015, 106-118).
19 Je souligne.
20 Mansfield commence ainsi plusieurs de ses nouvelles par l’utilisation de la coordination « and » qui relie le texte à un avant-texte silencieux qui ne cesse pourtant ensuite de « parler » dans la nouvelle : « And then, after six years, she saw him again » (« A Dill Pickle » 167) ; « And after all the weather was ideal » (« The Garden-Party » 245).
21 Je souligne.
22 Je souligne.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Élisabeth Lamy-Vialle
Élisabeth Vialle est Maître de conférences à l’université de Paris-Est Créteil en littérature britannique. Elle est spécialiste du modernisme britannique et notamment des œuvres de Katherine Mansfield et de Virginia Woolf. Ses derniers travaux ont porté sur la question de la langue et notamment de la confrontation entre langue maternelle et langue étrangère dans les écrits de Katherine Mansfield, ainsi que sur la question de la réécriture dans la littérature anglo-saxonne, deux questions qui posent elles aussi la question de la voix en littérature.