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Reconfigurations imaginaires : la guerre entre émotions collectives et traumatismes individuels

Barbara Kowalczuk

Poof… Pow… La guerre du Vietnam, entre images-vestiges et images-écrans : Going After Cacciato (1978) de Tim O’Brien

Abstract

In Tim O’Brien’s Going After Cacciato (1978), the Vietnam War is represented in a metafictional and non-chronological narrative which recalls the death of some of Paul Berlin’s brothers in arms. Despite the imaginary manhunt the soldier conjures up from his observation post to escape from the reality of war, traumatic events haunt his memory through persistent images (images-vestiges). In this article, I will first examine how the lost ones reappear and assail Berlin. Then, after presenting how colors symbolically emphasize the traumatic recurrences, I will consider the limits of imagination and show that comforting memories and the effort to cling to screen-images (images-écrans) fail to protect Berlin from the brutality of war and the effects of traumatization.

Texte intégral

1« What about Cacciato? » (333), s’interroge Paul Berlin dans Going After Cacciato (1978). En écho à l’épilogue de Northern Lights (1975), dans lequel résonnait le désespoir d’un vétéran de la guerre du Vietnam, le deuxième roman de Tim O’Brien s’ouvre sur l’énumération de noms de combattants morts dans la jungle vietnamienne. Situant le lecteur in medias res, l’incipit suggère une accumulation d’effractions traumatiques et annonce le retour d’images sidérantes. Vestiges de l’extrême violence guerrière qui hante Berlin, ces images contrastent avec l’amnésie partielle bloquant le souvenir de ce qu’il est advenu de l’un des frères d’armes, Cacciato. Travaillé par le trou noir et le retour intempestif d’images-vestiges, Berlin se réfugie dans l’imaginaire pour inventer, du haut de son poste d’observation, une course-poursuite vers Paris. Toutefois, l’imagination s’avère impuissante face à la réalité militaire : de minuit à l’aube, du Vietnam à la Ville Lumière, la chasse à l’homme n’aura de cesse de refléter l’horreur de la guerre et l’issue manifestement tragique de la désertion du « vrai » Cacciato.

  • 1 Les analepses non chronologiques relatant la...

  • 2 Dans le film de Ken McMullen, Ghost Dance (1...

2L’entrelacement des trois niveaux narratifs1 et les temporisations (ou effets de décalage temporel dans la narration) qu’il génère favorisent une « fantômachie »2 dont les modalités seront examinées dans un premier temps. Après avoir mis en lumière le déploiement et le pouvoir de sidération des images-vestiges, l’analyse portera sur la fonction du chromatisme contrasté. Reflet du psychotraumatisme de guerre, le traumachrome mis en œuvre par le narrateur éclaire aussi les limites et les défaillances de l’imagination, lesquelles seront étudiées dans un troisième temps. Il apparaîtra que les réminiscences apaisantes et le recours à ce que l’on appellera des images-écrans destinées à voiler les hantises macabres n’atténuent que ponctuellement la souffrance post-traumatique. Au terme de l’échappée nocturne, toujours assailli par les disparus et les questionnements sans réponses, Berlin demeure dans l’impossibilité de se souvenir de cette catastrophe dont sa mémoire n’a gardé que de vagues traces : « Cacciato Day, October something in the year 1968, the Year of the Pig. » (25)

Poof… : Images mortuaires

  • 3 Le récit de l’assaut contre la colline où le...

3Vietnam, 3 juin 1968 : Paul Berlin atterrit à la base américaine de Chu Lai. Après une semaine passée au camp d’entraînement, il part rejoindre sa section dans la compagnie Alpha. Évoquée dans le premier chapitre, la désertion du soldat Cacciato et le début de la poursuite dirigée par le vieux lieutenant Corson sont vaguement datés et situés environ quatre mois après l’arrivée au Vietnam3. Depuis le poste d’observation, Berlin s’évertue à rétablir la chronologie des événements :

Arrived June 3. And now it was… What was it? November 20, or 25. Somewhere in there. It was hard to fix exactly. But it was November, he was sure of that. Late November. Not like the old-time Novembers along the Des Moines River, no lingering foliage. No sense of change or transition. Here there was no autumn. No leaves to turn with the turning of seasons, no seasons, no crispness in the air, no Thanksgiving and no football, nothing to gauge passage by. [...] November-the-what? Oscar’s birthday had been in July. In August, Billy Boy Watkins had died of fright – no, June. That was in June. June, the first day at the war. […] Keeping track wasn’t easy. The order of things – chronologies – that was the hard part. Long stretches of silence, dullness, long nights and endless days on the march, and sometimes the truly bad times: Pederson, Buff, Frenchie Tucker, Bernie Lynn. But what was the order? How did the pieces fit, and into which months? And what was it now – November-the-what? (47)

4L’approximation des dates, soulignée par le morcèlement syntaxique, contraste avec les images rassurantes des cycles saisonniers durant l’enfance passée dans l’Iowa. La veille du départ au Vietnam, le père de Berlin, lucide, avait averti son fils des choses terribles qu’il verrait au combat, tout en l’encourageant à se concentrer autant que possible sur les bonnes choses (« the good things […] They’ll be there if you look. So watch for them » 63). Mais le conseil pèse peu face au poids des « mauvais moments » (« bad times »), selon l’euphémisme repris à l’envi par Berlin lorsque resurgit le souvenir des événements funestes. Dès l’incipit, l’euphémisation est de rigueur, bien qu’elle soit aussitôt neutralisée par l’exposition itérative à la mort :

It was a bad time. Billy Boy Watkins was dead, and so was Frenchie Tucker. Billy Boy had died of fright, scared to death on the field of battle, and Frenchie Tucker had been shot through the nose. Bernie Lynn and Lieutenant Sydney Martin had died in tunnels. Pederson was dead and Rudy Chassler was dead. Buff was dead. Ready Mix was dead. They were all among the dead. (1)

  • 4 Une fois rétablie, la chronologie des dispar...

5L’une des singularités de l’euphémisme est de faire « rôder l’innommable comme un fantôme » (Godin 147). Composé comme un thrène (O’Brien in McCaffery 144), l’incipit se distingue non seulement par l’allitération qui sous-tend la cadence élégiaque (bad, dead, died, death) mais aussi, comme le souligne Mark A. Heberle dans A Trauma Artist (2001), par l’ambivalence de « they ». En effet, parce qu’il peut désigner à la fois les disparus et les survivants hantés par ces derniers (Heberle 115), le pronom génère une ambiguïté qui souligne les liens irréversibles unissant les vivants et les morts. Les dix chapitres « Observation Post » contiennent pareilles énumérations de patronymes, tous associés à des images-vestiges. Ainsi, le nom de Jim Pederson provoque un brutal déplacement mental qui renvoie Berlin au milieu d’une rizière, là où Pederson a été abattu par les siens en novembre 1968 (« Fire in the Hole », chapitre 11). D’autres patronymes attisent la mémoire traumatique : celui de Buff, qui braque le regard intérieur vers un corps prostré, retrouvé dans un fossé (« Hunched up like a praying Arab in Mecca » 281), ou encore ceux de Frenchie Tucker et de Bernie Lynn, indissociables de la panique et du sentiment de culpabilité ressentis par Berlin devant les cadavres de ces deux soldats tués l’un après l’autre dans un tunnel, au mois de septembre4.

  • 5 Ganteau précise que « [c]e n’est jamais dire...

6Le nom de Billy Boy Watkins transporte Berlin vers la chaleur torride de son premier jour de combat, le 11 juin 1968, durant lequel il a reçu la première frappe traumatogène. Le sort de Billy Boy, gravement blessé au pied puis mort de peur, constitue pour lui le « summum » de l’histoire de guerre (« the ultimate war story » 207). Pourtant, la représentation de l’événement est retardée. Ainsi, jusqu’au trente-et-unième chapitre (« Night March »), les allusions et les temporisations entretiennent un blanc narratif, soumettant le lecteur à un rien dont on peut dire, à la suite de Jean-Michel Ganteau (2012), qu’il est ce quelque chose propre à la fiction du trauma5. Seulement quelques heures après la mort de Billy Boy, Berlin, à nouveau saisi par la violence de la catastrophe, est psychiquement transporté sur la scène de l’avoir-lieu traumatisant :

Giggling and remembering the hot afternoon, and poor Billy, […] and how a little while later Billy tripped the mine, and how it made a tiny little sound, unimportant, poof, that was all, just poof, and how Billy Boy stood there with his mouth open and grinning, sort of embarrassed and dumb-looking, how he just stood and stood there, looking down at where his foot had been, and then how he finally sat down, still grinning, not saying a word, his boot lying there with his foot still in it, just poof, nothing big or dramatic, and how hot and fine and clear the day had been. (216)

  • 6 « And so Billy died of fright, his face goin...

7Le phrasé répétitif, haché par les polysyndètes et l’onomatopée régressive et euphémisante, « poof », reflète l’intensité de l’effraction traumatique. La répétition de « poof » traduit la sidération et l’impossible verbalisation, après-coup, de l’effroi ressenti durant l’agonie de Billy Boy. La souffrance et la terreur de ce dernier, ainsi que son impréparation à ce qui lui arrive6, sont textuellement accentuées par la focalisation sur la bouche ouverte, le large sourire, la luminosité de l’après-midi et la botte contenant le pied arraché. « Poof » signifie la traumatisation et la force de frappe des images-vestiges qui, comme la réitération du nom du soldat mort, font violemment retour et s’imposent au souvenir. La brièveté du mot révèle l’impuissance face au stockage traumatique, cette « chose qui se rappelle elle-même, et apparaît comme une intrusion persécutrice » (Barrois 201). Si elle est effectivement persécutrice, c’est parce qu’elle reste incontrôlable, et ce, malgré la stratégie d’évitement de Berlin et son acharnement à oublier : « but he tried hard not to think of this, and instead he thought about not thinking. » (209)

  • 7 Le fragging n’épargnait personne, comme le r...

  • 8 « It was there, high in Lake Country, that O...

8Les tentatives de répression ne résistent cependant pas à l’accumulation des fêlures. Le premier jour de la guerre, Berlin croit avoir déjà tout vu (217), pourtant, d’autres morts, d’autres lieux vont provoquer des répliques post-traumatiques. Toponyme hanté qui n’apparaît pas sur les cartes de l’état-major américain, Lake Country fait partie de ces lieux qui portent l’empreinte de l’inhumain. Comme dit Ishmael dans Moby-Dick (1851) : « It is not down in any map; true places never are. » (Melville 150) Là, un événement traumatisant a eu lieu, et comme tant d’autres, il est mentalement euphémisé (« the bad time in Lake Country » 125). Les retours traumatiques imposent la vision de cadavres carbonisés entassés les uns sur les autres. Emplies du silence qui suit le combat, de la puanteur des flancs montagneux couverts de corps boursouflés, les images rappellent l’effroi le plus absolu mais aussi la honte et la culpabilité. Le souvenir douloureux de Lake Country replace Berlin face à un miroir intérieur qui reflète sa lâcheté au cours d’un combat. Sous le coup des images-vestiges, le corps saisi de convulsions se replie sur lui-même et redevient une coquille ancrée au fond d’un petit cratère (177). À l’origine de la fixation traumatique se trouve la transgression de l’interdit de tuer ayant mené à l’assassinat par grenade à fragmentation (fragging) du lieutenant Sydney Martin7. Le sous-entendu8, tout comme l’euphémisation (« the sad thing that happened to Sydney Martin » 174), constitue un remède inefficace qui ne dissimule qu’imparfaitement le poids du complot meurtrier organisé par la patrouille et souligné par l’image rémanente d’une grenade transmise de main en main par tous les soldats, excepté Berlin.

Boom… : Traumachrome

  • 9 Le terme est inspiré du film Kodachrome, cél...

9La survivance post-traumatique est rythmée par les réapparitions des spectres de la guerre. La gamme chromatique de l’imagerie guerrière constitue un traumachrome9 au rendu contrasté, mêlant des déclinaisons de noirs et de blancs et des couleurs vives. Dans « Fire in the Hole » (chapitre 11), le village carbonisé que Berlin contemple est recouvert par la blancheur du phosphore et la noirceur de la cendre et des fumées :

The village went white. The hedges swayed. A vacuum sucked in quiet and a wind was made. Hon Ai glowed. Trees powered. There was a crackling, scalding sound. Sitting on their rucksacks, the men watched black smoke open in white smoke. Splinters of straw and wood sprinkled down, and there was light in the village like flashbulbs exploding in sequence, and then there was a melting, and then heat. (78)

10L’intensité du contraste rappelle le baptême du feu, notamment la coloration charbonnée et cramoisie du paysage aux traits expressionnistes que Berlin observe, la peur au ventre, depuis l’hélicoptère.

11Omniprésents, le rouge et le vert soulignent la flamboyance de la guerre ainsi que les odeurs de vase et de moisi de la végétation envahissante et suffocante (« zoo country » 247). Dans « Getting Shot », qui revient sur la mort du soldat Buff, Berlin s’imagine baignant dans une immense piscine verte. L’image-écran, symptomatique du désir de purification et d’oubli absolu vise à refouler la nausée provoquée par l’odeur de la pêche et du poulet que Cacciato mange non loin du cadavre (280, 282). Une fois les yeux fermés, le point jaune du fruit s’estompe dans l’eau chlorée, laissant place à une combinaison d’images-vestiges du corps sans tête de Buff : « fuzzy green images swimming in his head […] all that blood and flesh. » (280) La sortie du bassin imaginaire, devenu réservoir mortuaire, est suivie du saisissement causé par la vision d’un saule recouvert d’une fine poudre blanchâtre et dégageant la puanteur sulfureuse du phosphore blanc qui détruit la végétation et les habitations. Le cramoisi et le vert des images flottant dans le psychisme reflètent les éclairs barrant le ciel orageux dans le prologue, où les fusées rouges et la traînée d’un ton « blanc sale » de l’explosif déclenché par Berlin, suivie d’un rayonnement vert, annonçaient l’assaut imminent pour capturer le déserteur Cacciato. La flamboyance des traces tricolores laissées par les fusées, l’embrasement du ciel et le coup de tonnerre évoquent à la fois le chaos guerrier et l’imminence d’un événement traumatogène dont Berlin ne va garder aucun souvenir précis, si ce n’est cette image qui surgit brusquement dans sa mémoire de manière inopinée :

Paul Berlin was suddenly struck between the eyes by a vision of murder. Butchery, no less: Cacciato’s right temple caving inward, silence, then an enormous explosion of outward-going brains. It scared him. He sat up, searched for cigarettes. He wondered where the image had come from. Cacciato’s skull exploding like a bag of helium: boom. (14-15)

  • 10 « Traumatic memories come back as emotional...

12L’effet d’étrangeté de l’image du crâne explosé est soutenu par l’impossible localisation spatio-temporelle ainsi que par la syntaxe averbale et l’isotopie de l’explosion : « boom », comme « poof », est pénétré de la force de frappe du traumatisme10. What about Cacciato? Qu’est-il effectivement advenu de Cacciato, dont le sort est recouvert par un immense trou noir ? À la fin du dernier « Observation Post », la disparition du déserteur est ainsi évoquée :

They went after Cacciato, they chased him into the mountains, they tried hard. They cornered him on a small grassy hill. They surrounded the hill. They waited through the night. And at dawn they shot the sky full of flares and then they moved in. « Go, » Paul Berlin said. He shouted it – « Go ! »
That was the end of it.
The last known fact. (323)

  • 11 Derrida note le paradoxe de la chasse : « o...

  • 12 D’origine indéterminée (« Part Chinese, par...

13L’injonction répétée et la présence de l’espace typographique soulignent le fardeau délétère de la hantise. « Dès qu’il y a du spectre, l’hospitalité et l’exclusion vont de pair », rappelle Jacques Derrida dans Spectres de Marx (1993) : « [o]n n’est occupé par les fantômes qu’en étant occupé à les exorciser, à les mettre à la porte. » (Derrida 223) La « chasse » entreprise par Berlin s’entend aux deux sens antinomiques du terme (la poursuite et l’exclusion11), dans la mesure où il tente en vain de traquer les souvenirs bloqués par l’amnésie traumatique et de repousser la spectralité des morts. Mais le visage rond comme la lune de Cacciato imprègne la rêverie nocturne, comme s’il était magnétisé par l’arc de l’astre. La couleur jaune souligne la terreur, la perte de contrôle et la honte lorsque Berlin, frappé par l’effroi, se retrouve souillé par sa propre urine. Paradoxalement, le jaune est aussi le pigment de l’espoir et de la rédemption, symbolisés par le bijou doré d’une fillette vietnamienne blessée que Berlin s’imagine revoir à son retour au Vietnam, des années après la guerre (264). La brillance dorée hante sa poursuite imaginaire, comme en témoigne la fixation sur les boucles d’oreille portées par Sarkin Aung Wan, la jeune réfugiée et future compagne de route des poursuivants, qui apparaît dans « Detours on the Road to Paris » (chapitre 6), après que l’un des « personnages » de Berlin a abattu l’un des buffles qui tiraient sa charrette12.

14La cristallisation des images-vestiges est associée à la lumière de la lune, laquelle, selon l’anthropologue Gilbert Durand, est la « grande épiphanie dramatique du temps […] un astre qui croît, décroît, disparaît, un astre capricieux qui semble soumis à la temporalité et à la mort. » (Durand 111) D’abord lumineuse, protectrice, elle finit par s’éclipser derrière le safran de l’aurore qui annonce le dénouement de la course-poursuite. Chez les alchimistes médiévaux, le jaunissement (citrinitas) correspondait à une étape de transition « venant après que le chaos et le désespoir du commencement (le noir) eurent cédé le pas à la conscience réflective et au calme (le blanc) » (Ronnberg 644). Mais alors que pointe le jour et que s’opère la transition entre l’obscurité et la lumière, le jaune lunaire s’estompe et laisse place à une blancheur évoquant tout autant la désincarnation et la lividité des cadavres que la mémoire trouée par la sidération.

  • 13 Selon l’expression de Heberle : « the riot ...

15« The Road to Paris » (chapitre 3) marque, à l’insu du lecteur, le début de la poursuite imaginaire dans un « déchaînement de verdure »13 . Le relent de la putréfaction et le sentiment de resserrement provoqué par l’excès de chlorophylle et la chaleur asphyxiante dominent et perdurent jusqu’à Paris. Au moment de l’assaut de l’appartement imaginaire de Cacciato, les poursuivants doivent franchir une porte verte. La détonation des fumigènes rouges et la perte de contrôle des fluides corporels laissent entrevoir les limites de l’imagination. La fin de la rêverie nocturne est anticipée par le flot jaunâtre maculant Berlin et accentuée par le schème de la combustion : « A smoldering smell. Burning. Holes opened like magic in the walls. The plaster turned crisp and black. » (330)

16Participe passé du verbe italien cacciare, « cacciato » désigne ce qui est « chassé ». Or celui-là même qui est traqué au cœur de l’imagination se trouve être par ailleurs un spectre tenace, ancré à la mémoire traumatique. Figure symptomatique du traumatisme psychique, le déserteur Cacciato évoque un Pierrot lunaire, à la fois poursuivi et poursuiveur, mais surtout conforme aux critères de la spectralité du disparu, ainsi définie par Derrida :

Le disparu paraît toujours là, et son apparition n’est pas rien. Elle ne fait pas rien. […] on sait mieux que jamais aujourd’hui qu’un mort doit pouvoir travailler. […] On ne parle que de lui. Mais que faire d’autre, puisqu’il n’est pas là, ce fantôme, comme tout fantôme digne de ce nom ? Et même quand il est là, c’est-à-dire là sans être là, on sent que le spectre regarde, certes à travers le heaume ; il guette, observe, fixe les spectateurs et les voyants aveugles, mais on ne le voit pas voir, il reste invulnérable sous son armure à visière. Alors on ne parle que de lui mais pour le chasser, l’exclure, l’exorciser. (159, 164)

  • 14 C’est ainsi que le surnomme Stink Harris (9...

  • 15 « Dumb as a month-old oyster fart, said Har...

  • 16 Dans Le Réel, traité de l’idiotie (1977), l...

17Ce regard invisible s’avère contagieux : l’omniprésence de l’absent obsède Berlin et nourrit une fixation post-traumatique. Du soldat Cacciato, Berlin a gardé en mémoire la silhouette d’un « gremlin »14, un être presque surnaturel dont la hantise impose des résonances ainsi que des fragments mémoriels pour la plupart flous : un sifflotement, une voix de génie (212) un sourire béat, le constant mâchouillement d’un chewing-gum, une lenteur et une bêtise invitant les uns et les autres à puiser dans l’imagerie animale. Cacciato est comparé à une oie, un âne, une huître, un oiseau écervelé15 ; il est ce marginal qui semble se contenter de l’« isolement d’idiot » (Senges 134), isolement qui a l’art de singulariser l’être frappé d’idiotie16, comme en témoigne cet instant inaugural dans le prologue, où le pourchassé apparaît pour la première fois à travers le prisme des jumelles de Berlin. Il se présente dans le champ visuel comme une marionnette souriante à la tête énorme. Ses battements de bras semblent déclencher le tonnerre et alors même que l’un des soldats, Stink Harris, ne voit dans le fugitif qu’un volatile poussant des cris perçants (« A squawking chicken, you see that? A chicken ! » 12), Berlin, lui, imagine le déserteur s’élever dans le ciel tel un oiseau entouré d’une étrange aura.

18Pourtant, à en juger par le portrait qui suit, Cacciato ne faisait pas grande impression avant sa désertion :

There was something curiously unfinished about Cacciato. Open-faced and naïve and plump, Cacciato lacked the fine detail, the refinements and final touches, that maturity ordinarily marks on a boy of seventeen years. The result was blurred and uncolored and bland. You could look at him then look away and not remember what you’d seen. (8)

19Paradoxalement, alors que l’être de chair et d’os est vu puis aussitôt oublié, le Cacciato photographié possède une consistance remarquable et impressionnante. Berlin feuillette mentalement l’album de guerre déchiré ayant appartenu à Cacciato et contemple la centaine d’images que le déserteur, de manière rigoureuse, a organisées chronologiquement :

Cacciato with his head shaved white, Cacciato in fatigues, Cacciato home on leave, Cacciato and Vaught posing with machine guns, Cacciato and Billy Boy, Cacciato and Oscar, Cacciato squatting beside the corpse of a shot-dead VC in green pajamas, Cacciato holding up the dead boy’s head by a shock of brilliant black hair, Cacciato smiling. (119-120)

20Mise en miroir antithétique de la structure narrative, l’album comprend des images dans lesquelles la présence de Cacciato est plus tangible que son ombre suivie par Berlin juste après l’agonie de Billy Boy Watkins (209). Lorsque le futur déserteur évoque au présent Billy Boy, mort quelques heures auparavant (« an’ Billy… Billy, he’s got two of ’em. Two watches, you believe that? […] A heart attack on the field of battle […] Can you imagine that? » 213-215), ses paroles suscitent un retour d’images post-traumatiques souligné par l’apparition soudaine de la lune : brillante et mobile, celle-ci éclaire le corps de Berlin agité par des gloussements incontrôlés que Cacciato tente de calmer. La mort de Billy Boy Watkins donne lieu aux premiers d’une longue série d’arrêts sur image qui pétrifient Berlin : en boucle, reviendront la botte du soldat blessé, la tête coupée de Buff, le corps de Pederson criblé de balles par les tirailleurs du Chinook de la compagnie – « a mess » (77) –, des cadavres enveloppés dans des sacs en plastique, des visages à moitié oubliés. Ces vestiges de la guerre résistent aux images-écrans, qui, bien que conçues comme des boucliers protecteurs, ne peuvent que temporairement apaiser Berlin.

Pow… : Images-écrans, texte-miroir

  • 17 « Paul Berlin, the dreamer » (292).

  • 18 Ce « paradoxe ontologique » offrant au rêve...

  • 19 Christine Buci-Glucksmann remarque dans La ...

21« Soldiers are dreamers » : l’épigraphe extraite du poème « Dreamers » (1919) de Siegfried Sassoon, survivant de la Grande Guerre, a une fonction spéculaire. Elle anticipe les rêveries nocturnes et diurnes de Berlin. Dans « Le roman familial des névrosés » (1909), Sigmund Freud note que de telles rêveries servent en premier lieu à « accomplir des désirs » et à « corriger l’existence telle qu’elle est » (158). Paul le rêveur17 déserte mentalement le front et tente de détourner la hantise post-traumatique en pratiquant un nomadisme imaginaire qui le transporte vers des destinations lointaines, les Samoa, une île du Pacifique Sud, Hawaï ou mieux encore, la maison de ses parents. L’imagination est un refuge, un espace mental où il pense pouvoir échapper à la fantômachie de la mémoire traumatique et maîtriser, pour une fois, le cours de l’histoire (« Controlling things, directing things. And always the endings were happy » 226). Toutefois, sa rêverie18, qui relève de l’allégorie19 reflète un sentiment de culpabilité suscité par son propre désir de désertion et témoigne également de la portée du traumatisme psychique.

22Initialement, Berlin visualise le poste d’observation comme un cocon protecteur et indestructible, une enclave hermétique (« a natural barrier against storms […] high and strong and fortified » 27). Mais l’endroit est d’une extrême instabilité, qu’éclaire la métaphore du jeu du Meccano : « It wasn’t much of a tower. From down below, a sapper’s-eye view, it looked rickety and fragile and tottering […] A Tinker Toy in Quang Ngai. […] A teetering old tower by the sea. » (63) Si le soldat rêveur a le pouvoir d’exclure de sa fiction les personnages insoumis, d’esquiver certains écueils ou de mettre fin aux mésaventures, il transmet néanmoins son angoisse à son double imaginaire. Au fil de la composition, trois activités, « pretending », « imagining » et « dreaming », sont mises en concurrence par le soldat. « Pretending. It wasn’t dreaming, it wasn’t craziness. Just a way of passing time, which seemed never to pass. » (46) ; alors que le temps de la guerre semble suspendu, celui de la rêverie s’écoule trop vite, laissant les deux Berlin, le créateur et son double imaginaire, incapables d’échapper sereinement aux spectres du Vietnam ancrés à l’imagination et la mémoire. Tous deux demeurent prisonniers de la guerre et les chimères de Berlin, les images-écrans projetées mentalement dans la nuit, seront bientôt chassées par l’aurore qui marquera la fin de l’échappée et le ramènera brutalement au pied de la colline.

  • 20 Selon la typologie bachelardienne (Bachelar...

  • 21 « Suddenly he wished it would all end. Ever...

23Le symbolisme de la chute, accentué par le motif du labyrinthe, traduit l’appréhension ressentie à l’entrée des tunnels et l’horreur éprouvée devant les corps agonisants et les cadavres. Plus Berlin et ses compagnons imaginaires approchent de Paris, plus l’ironie de l’épigraphe devient évidente. Du rêveur initial, annoncé par l’épigraphe, il ne reste plus qu’un être traumatisé, psychiquement blessé, réécrivant ses histoires de guerre depuis un coin qui, parce qu’il aimante les images-vestiges, s’avère bel et bien le « plus sordide des refuges »20. À Paris, traqué par les gendarmes, Berlin, ou plutôt sa projection imaginaire, aspire soudain à être transposé hors de sa propre échappée cauchemardesque. Fermant les yeux, fatigué de ne créer qu’un divertissement dysfonctionnel, il fait défiler des images-écrans parfaitement agencées, montrant la maison de l’enfance, son lit, sa famille21. Au terme de l’aventure parisienne, alors qu’il se tient devant la porte de l’appartement de Cacciato, prêt pour l’assaut, la panique le pétrifie. Recroquevillé et souillé par l’urine, il se retrouve brusquement de retour au pied de la colline, avec pour seule aspiration un endormissement réparateur qui effacerait les souvenirs de la guerre. Quand le sommeil arrive enfin, les images oniriques sont absentes.

24La chasse à l’homme s’inscrit dans un récit métafictionnel. « Pickup Games », le seizième chapitre, évoque les matchs de basketball organisés dans les villages aux mois de juillet et d’août. La stratégie de jeu, élaborée par le médecin de la compagnie, Doc Peret, est ainsi présentée :

“The real trick,” Doc Peret was saying softly to Eddie, “is deception. It’s true in all your sports – con the other side into thinking one thing, expecting one thing, then, pow, you zap ’em with just the opposite. Basic psychology. […] “They’ll be looking for you or me to take the shot. That’s what they’ll be expecting. So we take advantage of that – make ’em overcommit, then, pow, you shovel the ball off to ol’ Cacciato.” Doc giggled at this. “See what I mean? Who’d expect Cacciato?” (101)

  • 22 « Curiouser and curiouser! » (Carroll 58).

25Qui s’attendrait en effet à l’idiot Cacciato ? Mais de quel « Cacciato » est-il question ? Du soldat ou, de manière plus large, de cette œuvre fictionnelle inclassable et « transgenre » ? Roman de guerre, fantaisie étrange et merveilleuse, Going After Cacciato est ponctué de chutes inattendues et extraordinaires22 qui évoquent les péripéties retracées dans Alice’s Adventures in Wonderland (1865). La ruse proposée par Doc Peret trompe des joueurs à l’image du lecteur, lui aussi un temps déconcerté par la tournure des événements et les manœuvres métafictionnelles qui jalonnent le texte, comme cette focalisation sur une image-écran, remède imparfait au traumatisme : « A fine idea. […] Yes, he thought, a fine idea. Cacciato leading them west through peaceful country, deep country perfumed by lilacs and burning hemp, a boy coaxing them step by step through rich and fertile country toward Paris. It was a splendid idea. » (26) Dans un premier temps, l’iconographie pastorale est exploitée sans que le lecteur puisse appréhender le caractère imaginaire des événements, et ce, malgré les interrogations de Berlin. Devenu « écrivain/critique », le soldat est à l’image du producteur/récepteur, figure dialectique et paradigmatique de l’écriture métafictionnelle et du discours « limite » que celle-ci engendre (« a borderline discourse », Currie 2-3). De fait, la poursuite n’apaise pas le sentiment de culpabilité qui sous-tend le désir de désertion. En route vers Paris, le double imaginaire pressent que ce monde inventé est au bord de la dissolution : « A sense that someday soon he would be called on to explain things. Why had they left the war? What was the purpose of it? He imagined a courtroom. A judge in a powdered white wig, his own father, all the Fort Dodge townsfolk sitting in solemn-faced rows. » (172)

  • 23 Dans « Flights of Imagination » (chapitre 3...

  • 24 « The village was a hole. » (79)

26À l’instar des culbutes endurées sur la route de Paris, le tribunal imaginaire et la désintégration épisodique de l’aventure parisienne font écho à la désorganisation chronologique, la discontinuité narrative et les blancs, autant de procédés réflexifs symbolisant les désordres physiques et psychiques. Cacciato laisse derrière lui des bouts de cartes brûlées tirés de son atlas23 : le premier, qui apparaît dans le prologue, constitue une mise en abyme qui annonce la structure morcelée du roman. À moitié brûlé et en lambeaux, le papier laisse entrevoir une ligne de petits points rouges qui s’interrompt brusquement, son prolongement se trouvant vraisemblablement sur une autre carte. Les messages et les dessins crayonnés par le déserteur suscitent l’incompréhension du vieux lieutenant Corson, qui adresse à un arbre ces interrogations : « Why the clues? Why don’t he just leave the trail? Lose us, leave us behind? Tell me why » (17). D’un point de vue textuel, les cartes déchirées et les indices énigmatiques sont à mettre en parallèle avec les blancs narratifs et les détours narratifs. Ces éléments soulignent également l’essence métafictionnelle tout en anticipant certaines images-vestiges, comme celle d’Hoi Na, le village calciné par les jets de phosphore blanc et transformé en trou24, que Cacciato semble avoir voulu indiquer sur l’une de ses cartes : « Within the circle, in red, were two smaller circles, between them an even smaller circle, and beneath them a big banana smile. A round happy face. Underneath it, in printed block letters, was a warning: LOOK OUT, THERE’S A HOLE IN THE ROAD. » (73)

27Dans le sous-sol imaginaire du Vietnam, visité après une chute vertigineuse, Berlin et ses compagnons de route rencontrent le major Li Van Hgoc, prisonnier de guerre depuis dix ans (la durée approximative de l’engagement militaire des Américains au Vietnam). Il signifie l’impasse dans laquelle le créateur Berlin s’est engagé :

“Don’t you see? Don’t you see that’s the whole point? No way out. That is the puzzle. We are prisoners, all of us. POWs.” […] A prison with no exit. A maze, tunnels leading to more tunnels, passages emptying in passages, dead ends and byways and forks and twists and turns, darkness everywhere. Buried in the vast stinking… How do I tell it? (96)

28L’isotopie de la claustration, du labyrinthe et de la prison sans issue, ainsi que l’interrogation métanarrative – « How do I tell it? » – devancent l’échec de l’imagination et l’impasse à laquelle celle-ci mène, comme le suggère « POWs », marqueur de l’impossible échappée hors du contexte guerrier. À travers le périscope du major, Berlin aperçoit la silhouette floue d’hommes rassemblés autour de l’entrée d’un tunnel (« “Look closer. Concentrate” » 87). La vision prend sa pleine signification dans le chapitre suivant, centré autour de la mort violente, dans un tunnel, de Frenchie Tucker et de Bernie Lynn. Le discours de Li Van Hgoc renvoie implicitement à la structure rhizomatique du roman mais il attise aussi le mal de l’irréparable, nourri par le souvenir d’une autre lâcheté que Berlin ne se pardonne pas : avoir détourné le regard et refusé de se porter volontaire pour aller chercher le corps de Frenchie Tucker. De même que le major imaginaire le confronte à son sentiment de culpabilité, à Téhéran, l’un des poursuivants force son « créateur » à regarder la décapitation qu’il ne veut pas voir :

“Watch this,” Doc said. […] “Your fine expedition to Paris, all the spectacular spectacles along the way. Civilization. You watch this shit. […] I want you to watch this. Pay attention, look for all the pretty details.” […] Paul Berlin tried hard to be calm. Concentration, that was the answer—remember the details, store them up for future understanding. (186-187)

29Le stockage des détails, version post-traumatique des conseils paternels, confirme le trop-plein de blessures psychotraumatiques, une saturation qui tient en échec l’imagination et les images-écrans.

30En guise de conclusion, il est essentiel d’évoquer une séquence emblématique de l’impasse annoncée par Li Van Hgoc. Située peu de temps avant la fin de la poursuite, dans l’avant-dernier chapitre, « The End of the Road to Paris », elle présente Berlin et Sarkin Aung Wan, désormais adversaires, attablés à une table de négociations recouverte de feutrine verte et bordée de chrome, en écho à la verdure de la jungle et le métal des armes. Le narrateur sollicite explicitement l’imagination du lecteur : « Imagine it. The Majestic Hotel is darkened like a theater stage. In the Salle des Fêtes, the hotel’s old conference room, there is the sound of an audience that isn’t there. Feet shuffling, a cough, the murmur of voices. […] An invisible line divides the table into two precise halves. » (316) Courant sur plusieurs pages, la scène se déroule dans un lieu pareil à une scène de théâtre hantée par un public fantôme plongé peu à peu dans l’obscurité :

Spotlight expands: Imagine marble floors and marble pillars […] Spotlight contracts: a narrow beam focusing on the green circular table […] Spotlight shifts: across the green-topped table, a narrowing of the beam […] Full spotlight: Sarkin Aung Wan and Paul Berlin stand […] Spotlight dims: An electric hum fills the Salle des Fêtes. The amplification system buzzes indifferently. Spotlight off. Imagine it. (317-321)

31Évoquant la conférence de Paris de mai 1968 à l’Hôtel Majestic, l’affrontement verbal entre les deux anciens amoureux illumine les faillites de l’imagination et l’impuissance des images-écrans : « [F]or, even in imagination, obligation cannot be outrun. Imagination, like reality, has its limits. » (320-321) Loin d’être des boucliers protecteurs, les images-écrans opèrent de manière inverse : plutôt que de supplanter les images-vestiges et de contenir leur rayonnement traumatique, elles en sont le reflet déformé, faisant de l’imagination une alliée désarmée et dysfonctionnelle. Partiellement décrite dans l’épilogue, l’attaque contre l’appartement parisien de Cacciato demeurera, elle aussi, un trou noir abyssal. Replié sur lui-même, Berlin reste sous l’emprise d’une mémoire paradoxale, à la fois saturée et lacunaire. Son imagination, pareille à ces vieux « meubles d’une demeure au crépuscule » qui font « lever les fantômes » (Didi-Huberman 95) porte l’empreinte des morts et revivifie les spectres indomptables et résistants qui adhèrent à la mémoire.

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Notes

1 Les analepses non chronologiques relatant la mort violente des soldats disparus (quinze chapitres) alternent avec la course-poursuite imaginaire (dix-neuf chapitres) et les six heures de garde nocturne, développées à travers le prisme de la focalisation interne dans les dix chapitres « The Observation Post ».

2 Dans le film de Ken McMullen, Ghost Dance (1983), Jacques Derrida applique ce néologisme au cinéma, lequel a l’« art de laisser revenir les fantômes » (Ramond 33).

3 Le récit de l’assaut contre la colline où le déserteur s’est caché est suspendu à la fin du premier chapitre. Il n’est repris que trois cents pages plus loin, dans l’épilogue.

4 Une fois rétablie, la chronologie des disparitions se présente dans l’ordre suivant : Billy Boy (« Night March », chapiter 31) ; Rudy Chassler (« Pickup Games », chapiter 16) ; Frenchie Tucker (« How Bernie Lynn Died After Frenchie Tucker », chapitre 2 ; « Upon Almost Winning the Silver Star », chapiter 4) ; Bernie Lynn (« How Bernie Lynn Died After Frenchie Tucker », chapitre 2) ; Ready Mix (« Who They Were, or Claimed to Be », chapiter 22) ; Buff (« Getting Shot », chapiter 41) ; Pederson (« Landing Zone Bravo », chapiter 20). Berlin ne parvient qu’une seule fois à reconstituer la chronologie, ainsi remémorée dans le septième « Observation Post », juste avant la scène décrivant l’agonie de Billy Boy Watkins : « He tried again to order the known facts. Billy Boy was first. And then… then who? Then a long blank time along the Song Tra Bong, yes, and then Rudy Chassler, who broke the quiet. And then later Frenchie Tucker, followed in minutes by Bernie Lynn. Then lake country. World’s greatest Lake Country, where Ready Mix died on a charge toward the mountains. And then Sydney Martin. Then Buff. Then Pederson. Then Cacciato. » (206)

5 Ganteau précise que « [c]e n’est jamais directement que le moment d’effraction traumatique est évoqué, pas plus que le contenu inassimilé du traumatisme, mais seuls les effets qui en découlent, comme si le rien défiait toute évocation, comme si ne pouvaient être imités que les symptômes et la douleur. […] La zone vide du traumatisme, celle où le rien est peut-être convertible en quelque chose, ne peut être abordée que par son sillage, en conformité avec cette règle essentielle du trauma caractérisé par la rupture de la possibilité même de se désigner, à plus forte raison de se représenter, comme s’il était possible de présenter qu’il y a du rien sans jamais présenter le rien » (n.p., par. 10).

6 « And so Billy died of fright, his face going pale and the veins in his arms and neck popping out, the crazy look in his eyes. » (211-212)

7 Le fragging n’épargnait personne, comme le rappelle l’écrivain et vétéran de la guerre du Vietnam Larry Heinemann : « The boy scouts, the wannabe heroes, the John Waynes, the guys who buy the bullshit, the control freaks who really think they’re in charge, the guys who want their purple hearts and their little medals, I mean they really want it—the clowns who simply will not leave you alone—these were the guys who got fragged. Shithead lifers, the NCOs who were just assholes. Racist black sergeants, racist white officers » (Heinemann in Jacobsen 150).

8 « It was there, high in Lake Country, that Oscar Johnson began talking seriously about solutions. » (178)

9 Le terme est inspiré du film Kodachrome, célèbre pour son rendu contrasté dû à la saturation des couleurs.

10 « Traumatic memories come back as emotional and sensory states with little verbal representation. This failure to process information on a symbolic level, which is essential for proper categorization and integration with other experience, is at the very core of the pathology of PTSD » (Kolk 296).

11 Derrida note le paradoxe de la chasse : « on se met à la poursuite de quelqu’un pour le faire fuir, mais on le fait fuir, on l’éloigne, on l’expulse pour le chercher encore et rester à sa poursuite. On chasse quelqu’un, on le met à la porte, on l’exclut et on le refoule. » (222-223)

12 D’origine indéterminée (« Part Chinese, part unknown » 53), Sarkin Aung Wan est orpheline : son père a été exécuté pour avoir prétendument volé des poulets et sa mère est morte de chagrin.

13 Selon l’expression de Heberle : « the riot of greenery » (130).

14 C’est ainsi que le surnomme Stink Harris (90). Inventée par les pilotes de chasse de la Royal Air Force, la légende du gremlin, petit personnage facétieux et responsable d’incidents et de pannes mécaniques, remonte à l’époque de la seconde guerre mondiale.

15 « Dumb as a month-old oyster fart, said Harold Murphy » (2) ; « A wild goose, the wrong donkey for the pinning of final responsibility » (136) ; « It’s the Mongol influence. See how the eyes slant? Pigeon toes, domed head? My theory is that the guy missed Mongolian idiocy by the breadth of a genetic hair. Could’ve gone either way. » (8)

16 Dans Le Réel, traité de l’idiotie (1977), le philosophe Clément Rosset revient sur le sens étymologique : « Idiotès, idiot, signifie simple, particulier, unique » (42).

17 « Paul Berlin, the dreamer » (292).

18 Ce « paradoxe ontologique » offrant au rêveur la possibilité d’être « encore lui-même, le double de lui-même » (Bachelard 1960, 68).

19 Christine Buci-Glucksmann remarque dans La Raison baroque (1984) que « l’allégoria […] joue de l’allos […], l’autre. Lien d’origine puisque l’allégorie consiste précisément à dire autre chose que ce que l’on veut dire, ou encore à dire une chose pour en faire comprendre une autre par des procédures obliques. Mais ce discours par l’autre est aussi discours de l’Autre, mise en voix et en scène d’une Altérité qui échappe au discours direct et se donne comme un ailleurs » (82).

20 Selon la typologie bachelardienne (Bachelard 1957, 131).

21 « Suddenly he wished it would all end. Everything: the cold and the running and the war. He wanted to go home. » (308-309)

22 « Curiouser and curiouser! » (Carroll 58).

23 Dans « Flights of Imagination » (chapitre 36), le double imaginaire de Berlin dort (« dreaming of miracles » 242), tandis que le soldat, depuis son poste, tente de trouver une issue : « A miracle, he thought. An act of high imagination—daring and lurid and impossible. Yes, a cartoon of the mind […] A miracle, he kept dreaming. » (242)

24 « The village was a hole. » (79)

Pour citer ce document

Barbara Kowalczuk, «Poof… Pow… La guerre du Vietnam, entre images-vestiges et images-écrans : Going After Cacciato (1978) de Tim O’Brien», TIES [En ligne], TIES, Pouvoirs de l'image, affects et émotions, Reconfigurations imaginaires : la guerre entre émotions collectives et traumatismes individuels, mis à jour le : 15/01/2022, URL : http://revueties.org/document/912-poof-pow-la-guerre-du-vietnam-entre-images-vestiges-et-images-ecrans-going-after-cacciato-1978-de-tim-o-brien.

Quelques mots à propos de :  Barbara  Kowalczuk

Barbara Kowalczuk enseigne à l’Université de Bordeaux. Elle est l’auteur d’une thèse sur Tim O’Brien, écrivain et vétéran de la guerre du Vietnam (Tim O’Brien. L’Écriture de la hantise). Sa recherche en littérature et arts visuels américains porte sur la représentation, l’imaginaire, l’esthétique et l’anthropologie de la violence guerrière, de la blessure morale et du traumatisme psychique (xixe-xxie siècles). Ses travaux et publications sont centrés, entre autres, sur l’écriture fictionnelle/non-fictionnelle et les témoignages des vétérans, l’éthique de la guerre, les Perpetrator Studies et la cyberpsychologie.