Troublantes Usurpations
Le tour est joué ! Parenté des phénomènes d’imposture entre pratiques artistiques contemporaines et magie de spectacle
Abstract
This article intends to explore the phenomenon of imposture and to understand which place it has in contemporary art practices. We will study two examples: the flashy artistic artworks through mermaid patterns; and those characterized by an absence of visibility where “there is nothing to see.” The resulting forms of reception reflect credulity as much as skepticism. Magic shows that condensate issues of beliefs will constitute the framework of this study, through questioning public adherence to artistic mystifications. Relations between artist, magician and charlatan will be approached from a metadiscursive perspective. The media archaeology methodology will also allow us to see that certain current forms of reception remain stable compared to those of the late 19th and early 20th century. The context of the art game in deceptive artworks will also enable us to question the coherence of the notion of imposture.
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2 En France, le jeu du bonneteau est soumis à ...
1Pour le plaisir des étymologies signifiantes, notons que celle de « hoax » (canular) est un dérivé d’ « hocus pocus » – expression de langue anglaise équivalente au terme d’origine latine « abracadabra ». De l’Antiquité à nos jours, la figure du magicien est caractérisée par l’ambivalence – entre divertissement et escroquerie –, aussi a-t-elle suscité défiance et dépréciation. Ont également été condamnés par l’histoire de l’art, de manière renouvelée, les leurres du trompe-l’œil. La magie de spectacle se trouve être l’un des outils rhétoriques employés à cet effet : ainsi, c’est par leur maîtrise de la « pseudotechnia, l’art de mentir » (Taillefer 116) que l’escamoteur et le peintre sont liés. Au-delà de cet usage métaphorique, plusieurs projets curatoriaux ont été consacrés à cette question, parmi lesquels Con art, présenté en 2002 à la Site Gallery de Sheffied. L’exposition avait le but suivant : « to demonstrate how art and magic share a similar goal of ‘cunning & conning’ » (Varola 8). Le travail de Jonathan Allen, plasticien, magicien et théoricien qui a contribué au commissariat de l’exposition, gravite autour de ces problématiques. La performance Bobby Reader (2007)1, hommage au magicien et historien Bob Read (1940-2005), reprend le tour des gobelets qui a pu par sa forme et son histoire être apparenté au jeu du bonneteau – escroquerie de rue souvent pénalisée par les infrastructures civiles2 :
Read’s collecting specialty was magic’s ‘oldest trick’, the cups-and-balls, often performed on the streets under the sign both of entertainment and nefariousness. […] Bobby Reader’s fast-talking mountebank veers between downright charlatanry and cunning art historical punditry […] (Allen).
2Allen, en prêtant sa gestuelle de magicien à un personnage de charlatan, en conférant à la théorie artistique qu’il propose le bagou des banquistes, réaffirme les liens entre arnaque et art. Établir une parenté entre les phénomènes d’imposture déployés dans l’art contemporain et ceux de la magie de spectacle pourrait prendre bien des formes, dont nous ne ferons pas l’inventaire.
3Nous souhaiterions concentrer notre attention sur deux cas d’étude très distincts dans leurs formes, mais tous deux révélateurs d’un rejet de l’art contemporain lié à la question de l’authenticité. Nous intéressent à la fois des œuvres dont les dispositifs font figure de « poudre aux yeux » – à travers le motif des sirènes – et celles « où il n’y a rien à voir » (Desmet). Ces exemples d’excès et d’absence de contenu sont qualifiés d’impostures et disqualifiés par les publics non-spécialistes sur la base de registres d’évaluations identifiés par la sociologue de l’art Nathalie Heinich dans L’Art contemporain exposé aux rejets (1996). Les différents registres évaluatifs (éthique, esthétique, économique, herméneutique etc.) et leur addition amènent les publics à considérer l’art contemporain comme non fiable, inauthentique (Heinich 1996, 196-197) – et, de fait, à le rejeter.
4Le prisme de lecture de la magie s’appuie sur une méthodologie s’inscrivant dans l’archéologie des médias (Parrika), et l’attention donnée aux manifestations historiques de la magie se justifie par le regard que portent sur elles les artistes contemporains, et par le fait que les anciens jeux de dupes partagent, sans les anticiper, certaines caractéristiques des dispositifs actuels. L’ère de Barnum (1810-1891), pour reprendre la terminologie de James Cook (2001), et la Belle époque (1871-1914) favorisent ces rapprochements temporels car cette période correspond à l’âge d’or de la magie de spectacle, et se trouve grandement marquée par le paradigme de la tromperie. Celle-ci se manifeste dans l’économie de masse, dans la politique, la culture visuelle et les arts. C’est sur ces derniers axes que se concentre l’ouvrage Looking Askance (2004) de Michael Leja. Il note ainsi :
In 1869 a photographer in New York City was brought to criminal court on charges of fraud. […] He was accused of selling photographs that had been doctored, […]. In 1917 an artist in New York perpetrated a hoax. Using a false name, he submitted to an art exhibition a mass-produced commodity he had purchased. […] These two events – the trial of the spirit photographer William Mumler and Marcel Duchamp’s submission of a urinal to an unjuried exhibition in New York […] bracket a period in which producers of visual artifacts, those that qualified as art and those that did not, participated in New York’s growing culture of deception. (Leja 14)
5Il nous importe de soumettre ces questionnements au contexte actuel et d’évaluer la contemporanéité des impostures fomentées dans les pratiques artistiques. Selon une perspective métadiscursive, la magie de spectacle – qui concentre des problématiques liées aux croyances – constituera la trame d’une étude interrogeant l’adhésion du public au « grand bluff de l’art contemporain » (Postel-Vinay 24-42). Nous aspirons ainsi à éclairer différemment la question de l’imposture.
Un mensonge gros comme… une sirène
Des images séduisantes au chant des sirènes
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3 Il partage néanmoins ce goût pour la magie, ...
6Sont magiciens les artistes capables de nous faire prendre le faux pour le vrai. La métaphore est régulièrement employée pour qualifier le travail de « l’illusionniste Joan Fontcuberta » (Oddos), qui s’est directement intéressé à la magie de spectacle dans le cadre du projet Miracles & Cie (2001-2002). Le cas de Damien Hirst, plus polémique, est davantage associé au charlatanisme3. La référence à la magie y est alors arrangeante, ainsi est-elle employée, entre autres exemples, dans un ouvrage aux allures de réquisitoire intitulé Requins, caniches et autres mystificateurs :
Lui aussi profite de la crédulité du public, de sa fascination pour le kitsch, la provocation, le bling-bling, le saugrenu, l’art de l’extrême. Mais il est plus frontal. Il travaille sur écrans, taille XXL. […] sans ne rien laisser ignorer du dessous des cartes et des numéros qu’il exécute depuis trente ans sous le chapiteau du grand magic circus de l’art. (Fredet 356)
7La question de l’imposture apparaît plus globalement dans le travail de Fontcuberta et de Hirst. Il n’est pas inintéressant de voir qu’ils se sont respectivement penchés sur le mythe de la sirène, dans le projet Les Sirènes de Digne (2000) de Fontcuberta et dans le projet Treasures from the Wreck of the Unbelievable (2017) de Hirst4 via l’une des sculptures de la collection d’un navire antique retrouvé en mer par les équipes de l’artiste selon la fiction élaborée. Image sur-identifiée, merveilleuse, excessive, la sirène continue de réapparaitre dans le champ des arts et des médias5 (Baudet 161-172) et ne pouvait qu’être élue par ces artistes désireux de faire croire aux publics le plus gros des mensonges. Quoiqu’elle ait pris des formes et des symboliques diverses selon les époques, la sirène porte en elle l’idée d’une voix et d’une image dont on retient la puissance d’attraction : le traitement sensuel du motif dans l’œuvre de Hirst ne s’écarte nullement de cette représentation. Nous proposons d’étudier des œuvres aux mécaniques différentes par leur contenu et leur contexte de monstration, mais dont l’objectif était d’amener les publics à croire aux images qui leur étaient présentées, ou à les faire douter de la réalité.
Figure 1 : Damien Hirst, Mermaid (2017), extérieur de la Punta della Dogana, Venice. Issue du projet Treasures from the Wreck of the Unbelievable. Bronze, 449.5 × 208 × 234 cm. © Alamy Banque d’Images.
8Plusieurs éléments ont contribué à renforcer l’authenticité de ces projets, à commencer par la mise en scène des sirènes au sein du réel. Chez Hirst, la débauche de moyens, très réels, pour mener à bien cette pêche miraculeuse et l’extraction manifeste des œuvres de l’épave, apportent une consistance certaine au projet. Les fossiles d’« Hydropithèques » (« singes d’eau ») de Fontcuberta, placés dans la réserve naturelle géologique de Haute-Provence et plus ou moins discrets selon l’environnement qui les entoure – bien que faisant partie de la programmation du VIAPAC, Route de l’art contemporain – suscitent davantage le doute que dans une institution muséale identifiée comme telle.
Figure 2 : Joan Fontcuberta, Hydroptanaron (2000), vallée du Bès, près du village de Tanaron, série Sirènes (Hydropithèques), 2000-2013. Tirage numérique sur aluminium, 120 x 120 cm. © Courtesy the artist & Musée Gassendi – ville de Digne-les-Bains.
9Nous pouvons mettre cette œuvre en perspective avec la diffusion d’images de cadavres de sirènes sur les réseaux sociaux en 2011 – avant que ne soit rapportée par des médias-relais leur qualité artistique, en réalité projet de l’artiste-maquilleur Joel Harlow pour le film Pirates of the Caribbean : On Stranger Tides (2011)6. Le réel présenté par ces images virtuelles, en plus de leur esthétique effrayante éloignée du modèle Disney, contribue à faire d’elles des objets au statut suffisamment trouble pour inspirer des commentaires naïfs et être rapprochés d’un ensemble de contenus pseudo-authentiques mis en ligne.
10Par ailleurs, les sirènes se voient certifiées par les sources scientifiques et historiques qui les encadrent. Chez Hirst, le documentaire (Hobkinson 2017) diffusé dans les espaces d’expositions de la Pinault Collection et sur la plateforme Netflix, et les témoignages et archives rassemblés (Schama), font figures de preuves. Il en est de même pour les articles scientifiques et reportages accompagnant les Sirènes de Digne (Fontcuberta 2000, 21-47), ainsi que l’inscription de personnalités authentiques, comme Albert de Lapparent, dans des échanges épistolaires et photographies d’archives. Or « on sait que la photographie, et quasi dès son apparition, a été apparentée au régime de l’indice et de la trace, qu’elle est elle-même assimilée à ce que ce régime suppose de vérité et de véracité » (Bailly 9). De même, « l’archéologie et l’anthropologie sont des disciplines qui, comme la photographie, demandent d’avoir la foi » (Leydier 25). L’inscription dans une histoire antique faisant autorité, en plus d’équilibrer la valeur non scientifique du mythe, soutient la falsification de très grande ampleur proposée par Hirst et Fontcuberta.
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7 L’artiste prend néanmoins sous son vrai nom ...
11L’effacement de l’auctorialité de l’artiste contribue également à l’imposture. Le procédé est investi par Fontcuberta – qui s’efface derrière le pseudonyme de Jean Fontana, paléontologue français à l’origine de la découverte de sirènes dans les années 19507 –, et par Harlow qui ne semble pas être à l’initiative de la diffusion des images de sirènes – ce qui écarte l’éventuel objectif publicitaire fait au film. Le projet de Hirst reste bien évidemment associé à son nom, mais le rôle pris par l’artiste de l’archéologue-amateur d’une collection disparue – dans un effet miroir avec Cif Amotan II – ledit propriétaire du navire échoué – déplace en partie sa posture.
12Enfin, c’est le caractère extraordinaire et la médiatisation de ces projets qui donne l’envie au public d’y croire. Dans l’actuelle économie de l’attention où l’intérêt pour un contenu est proportionnel à sa puissance de séduction, les sirènes – icônes de l’imaginaire populaire – font événement. Fontcuberta rappelle que
la réalité est un spectacle qui réclame une innovation constante afin de ne pas ennuyer. […] [C]e qui importe dans l’industrie du divertissement, ce n’est pas la vérité mais l’audience (Fontcuberta 2000, 100-101).
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8 L’œuvre Ida (2018) de l’artiste Olivia Erlan...
13La démesure des projets, l’abondance des preuves apportées aux différentes impostures autant que la photogénie des sirènes8 hameçonnent fort bien le public.
La sirène comme attraction foraine et boniment de charlatan
En prestidigitation, la parole prend le nom de boniment. Le boniment, c’est la fable, le discours, le speech, le débit de paroles, le boniment, enfin, dont on habille un tour d’escamotage pour lui donner une apparence de réalité. (Robert-Houdin 479-480)
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9 Sirenomena de l’artiste Dgino Cantin.
14L’image de la sirène a fait partie du répertoire proposé par les magiciens et entrepreneurs de spectacle du xviiie au premier xxe siècle. Il nous semble important de porter un regard sur ces anciennes manifestations car en elles les artistes ont pu trouver un intérêt – ainsi Fontcuberta a participé à l’exposition en tournée Humanorium, l’étrange fête foraine (2014-) organisée par EXMURO. Y étaient retravaillées les principales attractions des foires d’antan – dont celle d’une sirène, proposée par un autre artiste9. Dans ces anciens dispositifs se retrouvent certains des enjeux contemporains relatifs à l’imposture. Alors qu’un grand nombre des phénomènes présentés sont fabriqués par des trucages illusionnistes, certains magiciens comme Guy Jarrett (1881-1972), dédoublent l’imposture en partant des attentes du public – leur connaissance de l’usage de miroirs – pour mieux les faire douter. Pour présenter une sirène, il donne le conseil suivant à ses pairs : « Also get a good looking girl without legs » (Steinmeyer 2001, 174). Le handicap, qui constitue une ressource indéniable pour les entrepreneurs de freak shows, contribue ici à renforcer le sentiment d’illusion, et par conséquent, l’imposture.
15D’autre part, la communication qui entoure l’attraction participe, voire construit, la tromperie. Les affiches et discours qui témoignent de ces événements assurent de manière quasi systématique l’authenticité du phénomène présenté et rendent caduques les critiques des sceptiques (Steinmeyer 2001, 174). Dans sa thèse consacrée au boniment, Agnès Curel rappelle le lien entre cet acte discursif et la magie de spectacle :
Dans ce jeu de dissimulation, le discours du bonimenteur permet de guider le regard du spectateur. Il s’apparente alors au discours du magicien-prestidigitateur, qui détourne l’attention du public par d’habiles histoires pour réaliser ses tours. (Curel 597)
16À l’entrée de l’attraction, le discours mensonger se fait réclame, et les bonimenteurs mettent en place toutes les stratégies publicitaires pour attirer le passant, comme l’énonce un article du Pathé-Journal de 1916 :
Avec le bonisseur, [le directeur de salle] a – il peut avoir – les oisifs, les hésitants, les badauds qui vont sans but déterminé et qui se laissent prendre – permettez ce lyrisme – à la voix insinuante, persuasive, prenant, éloquente, tentatrice de ces sirènes à moustaches, véritables avocats du spectacle, chargés du soin de faire cette publicité « parlée ». (Curel 411)
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10 L’article traite d’une imposture politique ...
17Les entrepreneurs forains, premiers à avoir développé une stratégie de publicité de masse (Leja 164), sont les archétypes de ces « sirènes à moustache ». Phineas T. Barnum, dont la renommée s’est d’ailleurs en partie forgée sur l’imposture de la sirène des îles Fidji (Cook 73-118), est ainsi représenté pourvu d’une queue de poisson dans un article du quotidien Le Charivari datant de 186710.
18C’est donc à la fois l’image de la sirène et le dispositif communicationnel de la sirène comme boniment qui nous intéressent dans les œuvres contemporaines. Alors que Fontcuberta raconte des « histoires abracadabrantes à l’aide d’images et de textes » (Leydier 32), et que Hirst déclare que « l’art qui ne ment pas n’est pas vraiment une grande œuvre d’art »11 (Popescu), leurs mensonges poursuivent des objectifs variés. Réflexifs, ils interrogent les médias et les fake news. Le chant des sirènes devient alors cri d’alarme, signal sonore visant au « déclenchement d’une désillusion critique […] » (Fontcuberta 2019) chez les publics. Sans doute moins louables sont les enjeux lucratifs – dans la lignée de ceux des attractions foraines tout en étant autrement conjoncturels – liés au marché de l’art, dont Hirst est l’un des premiers bénéficiaires. Un grand nombre d’œuvres de Treasures from the Wreck of the Unbelievable comprend des copies identiques dans un matériau différent, quoique toujours précieux (or, cristal, argent, …) : de quoi satisfaire les envies des collectionneurs. Le registre évaluatif économique dont Heinich mentionne l’« omniprésence » dans les rejets de l’art contemporain (Heinich 1996, 199) nous intéresse particulièrement lorsqu’il est associé au registre réputationnel : « Est-il [l’artiste] motivé par la recherche du profit ? Alors il est inauthentique par manque de désintéressement » (197). Le sentiment d’imposture induit par le critère financier impacte la considération – le crédit – de l’artiste. Ces divers éléments sont néanmoins savamment incorporés dans les discours des artistes, qui savent fictionnaliser leur image publique. Fontcuberta s’est créé celle d’un « pirate [qui] navigue sur la mer de la communication visuelle et [qui] fronde l’establishment » (Jurzak 99) comme il l’exprime dans un entretien de 2005 ; Hirst, celle du « gars au requin »12 et du « requin de l’art » (Benhamou-Huet). La construction identitaire permet aux artistes de s’arroger une aura, une « magie » sociale comme le développent Ernst Kris et Otto Kurz dans leur ouvrage La Légende de l’artiste (1934). De charlatan, le magicien se fait héros et nous permet de relire l’imposture comme posture artistique.
« Il n’y a rien à voir » : impostures par soustraction et insincérité artistique
Retour et mauvais tours des œuvres et expositions vides
19Dans l’ouvrage Portes closes et œuvres invisibles (2019), Denys Riout clôt son essai en énonçant que « l’invisible, pourvu qu’il laisse des traces, est l’une des voies d’accès au mythe » (Riout 301). Aussi les propositions caractérisées par une absence ou une réduction de la visibilité peuvent-elles être élues par un certain nombre de jeunes artistes, comme Maurizio Cattelan qui, en 1989, pour l’une de ses premières expositions personnelles à la Galerie Neon à Bologne, ne laisse qu’un panneau « Je reviens de suite » sur la porte fermée d’une galerie vide. Le commentaire de Riout à propos de Cattelan, « S’absenter pour commencer sa carrière, quelle belle manière de faire un pas de côté ! » (Riout 28), confirme le statut artistique de l’imposture. De la même manière, quelques décennies plus tard, les critiques remarquent l’audace « sans faux pas » de Lenka Clayton et de l’exposition au titre éloquent – Object Temporalily Removed (2017) – qui présente un nombre réduit de ses œuvres : « It’s not often that a young artist – or even an older one – can command two museum floors and leave viewers wishing for more » (Newhall). Par la maîtrise du sujet, l’artiste semble montrer patte blanche au réseau artistique institutionnel et critique. Ne rien exposer, ou peu, peut donc être considéré comme un exercice de style, à la fois prouesse et classique du genre, de l’art contemporain. L’importance historique et esthétique de ce choix – comme l’attention portée au contexte (architectural, lumineux, social) ; le pas radical fait du côté de l’abstraction et du conceptuel ; le regard critique sur les institutions et sur les normes artistiques – n’exclut cependant pas la prise en compte de la problématique de l’imposture.
20Ce sentiment, lié à la neutralité du blanc constitutif du dispositif d’exposition du White Cube, a pu être éprouvé notamment par des publics néophytes :
La confusion est souvent entretenue entre l’absence de visualité et de visibilité de l’œuvre et l’absence de contenu, le vide de sens, le n’importe quoi : « ça ne veut rien dire », « c’est vide », « je voudrais qu’on m’explique le sens. » (Desmet)
21C’est cette confusion que la radio canadienne CBC a exploité en diffusant en 2014 un canular issu de l’émission satirique This is That : une exposition invisible proposée par l’artiste Lana Newstrom, elle-même inventée. Le canular a été vivement reçu et partagé par les contempteurs de l’art contemporain, qui y ont vu l’occasion de raviver les critiques, notamment financières (Jones), sur le sujet, puisque ce type d’exposition n’était pas sans précédents. Ainsi, l’œuvre Work No.227 : The Lights Going On and Off (2000)13 de Martin Creed, exposée à la Tate Britain en 2001, crée une importante controverse. Cette salle vide, quoiqu’occupée par un travail de lumière qui transforme l’espace, ne justifie pas selon ses détracteurs le Turner Prize remporté par l’artiste l’année suivante. Les expériences artistiques soustraites à la vue restent des propositions difficiles voire violentes pour les visiteurs venus « voir des choses ». Brian O’Doherty parle « d’agressivité » pour qualifier « la privation des repères perceptifs » (O’Doherty 104) des espaces d’exposition. Deux comptes rendus de l’exposition de l’œuvre de Creed à l’Art Gallery d’Hamilton, édités par le journal The Globe and Mail, relèvent ainsi les réactions sceptiques des visiteurs. La notion d’imposture colore le propos du premier article ouvertement dépréciatif (Smith). Le second article, écrit par Sarah Milroy, reconnait plus finement que le dispositif lumineux transmet une sensation de vibration qui change la spatialité a priori statique.
22Nous intéresse principalement le fait que la critique d’art place cette expérience sous le signe d’un étonnement contrecarrant les présupposés qu’elle énonce avoir eus : « So what is it like to experience the lights going on and off ? No real surprises at first, but then your mind does start to play tricks on you » (Milroy). L’à-propos du titre de l’article « Now you see it, now you don’t » par rapport au fractionnement du dispositif lumineux semblant « jouer des tours », ne doit d’ailleurs pas écarter le référentiel illusionniste de cette expression. Dans un article au titre identique sur le cinéma des attractions, Tom Gunning rappelle :
As one perceptive reader of an earlier draft of this essay pointed out, the title of this essay, a familiar phrase from midway ballyhoo and magic shows, implies precisely that discontinuous succession of instants: now you see it, now you don’t. (Gunning 49)
23Nancy Princenthal a également apposé l’expression au livre d’art The Magic Magic Book (1994) dans lequel « les images semblent apparaître et disparaître au gré du manipulateur »14 (Princethal 184). Peut-être faut-il alors comprendre les propositions artistiques caractérisées par une absence de visibilité comme des œuvres qu’on a retirées du visible, qui en ont été soustraites : comme des tours de disparition. Les propositions de Clayton prennent ainsi tout leur sens quand elles sont mises en lien avec l’intérêt de l’artiste pour la magie de spectacle. Un certain nombre d’œuvres de la série au long cours intitulée Typewriter Drawings (2012-) – qui décline un format comprenant titre, date et dessin tapé à la machine – ne comportent plus que les informations subsidiaires, le reste étant laissé vide. Parmi ces dessins-vides15 flirtant avec l’imposture, l’on y retrouve une assistante de magicien après disparition (06/17/2018).
Figure 3 : Lenka Clayton, The Vanished Magician’s Assistant (06/17/2018) in the series "Typewriter Drawings," 2018. Typewriter paper and ink, rendered with a portable 1957 Smith-Corona Skyriter typewriter, 11 x 8 1/2 inches unframed. © Courtesy of the artist and Catharine Clark Gallery, San Francisco.
24Remarquons que les termes « disparition » (Chabaud) et « invisible » (Rugoff), quoique régulièrement utilisés dans le discours théorique pour ce type d’œuvres, ne sont pas rapprochés – presque de manière contre-intuitive – de la magie de spectacle par leurs auteurs.
25« Si l’expérience magique est la surprise de ne pas trouver ce qu’on attendait […] » (Rioult 57), l’invisible des propositions artistiques déconcerte et irrite le regard en lui échappant. Le voir se rapproche alors davantage de la perte que de l’avoir, comme l’énonce Georges Didi-Huberman à propos des œuvres minimalistes, dans son essai Ce que nous voyons, ce qui nous regarde (Didi-Huberman 178).
Dits et contredits : le double discours des artistes
26Pour se rapprocher de ce qui lui échappe, le visiteur se tourne vers les indices de présence et de contenu que sont les cartels et feuilles de salles. Or, à la lecture de ceux-ci, le sentiment d’imposture peut être redoublé car la présentation qui correspond normalement à une description prend dans certains cas la forme d’une disjonction, d’un décalage entre le titre et l’image. Ce décalage est considéré comme un désaveu, et le visiteur peut en venir à faire « l’hypothèse du canular » qui
jette un doute non sur l’authenticité de l’objet lui-même (car sa prétention au statut d’œuvre d’art est d’emblée identifiée), mais sur l’authenticité des intentions de son auteur, présumées non respectueuses des valeurs artistiques, voire hostiles au public. (Heinich 1999, 130)
27Dès le tournant du xxe siècle, Alphonse Allais présentait dans son Album primo-avrilesque (1897) un monochrome blanc intitulé Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige qui démontre « qu’en dépit d’intitulés aguicheurs, de telles représentations ne donnent strictement rien à voir » (Grojnowski 450). Dans la même logique, le titre de l’exposition d’Yves Klein de 1958 La Spécialisation de la sensibilité à l’état de matière première en sensibilité picturale stabilisée semble faire mentir la réalité de l’espace d’exposition, qui a d’ailleurs été rebaptisée par la presse, sceptique, « Exposition du Vide » (451). À l’opposé d’une énonciation tautologique difficilement réfutable, la disjonction titre-image s’apparente à l’insincérité d’un artiste qui se dédouanerait de n’avoir « rien fait ». C’est ce que semble indiquer Clayton dans un dessin-vide intitulé P.T.O. En utilisant un acronyme qui signifie qu’elle se trouve en congés (Paid Times Off), l’artiste exprime avec humour qu’elle ne créera rien ce jour.
28Tandis que la dénomination permet normalement de « refermer commodément l’un sur l’autre » la parole et l’objet, « comme s’ils étaient adéquats » (Foucault 25), l’inadéquation du titre et des œuvres empêche de les voir comme un signe visuel unique composé de données plastiques et iconiques différentes. Non seulement elle sépare le signifié du signifiant, mais elle influe sur la manière de les considérer. Tzvetan Todorov, dans un article intitulé « Le Discours de la magie » énonce que
lorsqu’on évite d’appeler la chose par son nom mais qu’on lui applique un autre nom, plus bénéfique, on essaye d’agir sur le délocutaire (le référent) par un discours : or nous avons vu que c’était là la définition même du discours magique. (Todorov 59)
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16 Motti y a réellement projeté de l’encre inv...
29Désigner les choses par leurs noms ou remplacer les termes par d’autres affecte différemment le public. L’œuvre Magic Ink (1989) de Gianni Motti que constitue une feuille blanche, dans cette logique d’énonciation performative, invite le public à croire sur parole le cartel et à imaginer qu’une encre – dont l’on déduit qu’elle est invisible – s’y trouve16.
Figure 4 : Gianni Motti, Magic Ink / Encre magique, 1989. Encre sur papier, 29.7 x 21 cm. © Courtesy the artist & Perrotin.
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17 Magicien nommé Mister RG, lors du projet Th...
30Néanmoins, le public peut avoir des difficultés à accepter le titre s’il considère que Motti fait de l’imposture un matériau de création, qu’il a travaillé avec un magicien17 et que la question de la magie traverse son travail (Wahler 234-235). L’artiste reconnaît d’ailleurs au public le droit de dénier, de refuser de croire en ce qui lui est présenté, comme l’indique le titre de l’exposition-rétrospective Plausible Deniability (24 janvier-21 mars 2004)18 présentée au Migros Museum de Zurich. L’espace y était vide, et l’artiste avait investi les médiateurs du rôle de narrateurs, afin qu’ils diffusent des informations plus ou moins fiables aux visiteurs.
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19 L’auteur commente l’entretien mené par Bruc...
31Il semble que la sincérité des discours artistiques ne soit envisageable que par l’adéquation du titre et de l’image. « Car toute mise en relation, si simple soit-elle, sera déjà double et duplice, constituant par là-même une atteinte à cette simplicité de l’œuvre (singleness, mot qui signifie aussi la probité) […] » (Didi-Huberman 30)19. Le « What you see is what you see » de Frank Stella rassure, et c’est en ce sens que Jean Frémon, dans son commentaire des œuvres de Robert Ryman – que l’on pourrait sobrement décrire comme des carrés blancs – estime qu’elles sont « [d]’honnêtes peintures, calmes et sûres d’elles-mêmes. » (Frémon 49). C’est que l’artiste, « qui a toujours pris soin que les titres qu’il donne à ses tableaux ne soient pas porteurs d’un programme mais tout à fait neutres, dénués d’intention ou de message, non métaphoriques, […] » (9), indique aux publics que ses œuvres ne signifient que ce que leur forme présente.
32Bien que la question de la sincérité appliquée à l’appréciation d’une œuvre d’art soit paradoxale, les enjeux esthétiques sont déplacés vers des enjeux moraux par le discours critique, et la problématique est investie par les artistes. Le public, potentiellement éprouvé par les propositions, peut avoir tendance à répondre en « homme de la tautologie », qui « voudra ne rien voir d’autre au-delà de ce qu’il voit présentement. » (Didi-Huberman 27). C’est par un regard sceptique sur les œuvres et les institutions les accueillant que les publics composent avec le discours qui leur est présenté – un discours double rejoignant l’une des règles de magie qui consiste à « ne pas faire ce qu’on dit, ne pas dire ce qu’on fait » (David 73).
Du jeu : le pacte de magie étendu à l’art contemporain
L'échec du mythe des sirènes ou la réception compromise
33Les récits non fiables ont un succès non garanti, et l’on retrouve cet échec dans les propositions de Hirst et Fontcuberta dont les mensonges ne convainquent les publics que pour un temps. Le mythe des sirènes, qui représente les attraits de la fiction autant que ses écueils, – on note d’ailleurs qu’il peut être étudié comme « mythe de l’échec » (Spina) – est éclairant : l’on n’y succombe pas totalement.
34D’un storytelling trop beau pour être vrai émergent le désenchantement et le sentiment d’imposture, qui peut s’ancrer chez les publics dans une attitude proche de la mauvaise foi. Car, quoiqu’enracinées dans des récits solides et un contexte faisant autorité, les réactions clamant l’imposture témoignent d’une posture de défi face à un contenu dans tous les cas douteux. Parce que nous ne croyons pas en l’idée d’un visiteur naïf, l’imposture nous semble également être le fait de publics mauvais joueurs délaissant les indices, plus ou moins évidents, qui sont disséminés. Dans l’œuvre de Hirst, notons que le nom du collectionneur Cif Amotan II correspond à l’anagramme « I am a fiction », mais surtout que le traitement inégal des sculptures comme l’anachronisme des motifs – à l’instar du personnage de Mickey Mouse – trahissent aisément leur qualité fictionnelle. Dans celle de Fontcuberta, la référence à l’Homme de Piltdown – imposture scientifique du début du xxe siècle dévoilée dans les années 1950 – au sein des échanges épistolaires fictionnels entre les paléontologues, est un indicateur significatif. L’artiste fait ainsi parler Lapparent dans une lettre destinée à son confrère à l’origine de la découverte des sirènes :
Cet événement est une honte pour la science tout entière et nous devrons nous entourer de toutes les précautions imaginables quant aux excavations de Digne. La première chose à faire sera soumettre l’hydropithèque à l’épreuve du carbone 14 le plus rapidement possible, aussi bien pour certifier son authenticité que pour déterminer de façon plus fine son ancienneté. (Fontcuberta 17)
35Par cette mise en abyme de l’imposture, Fontcuberta engage le public accoutumé aux fake news à lire entre les lignes et à prendre de la distance avec l’archive. Comme l’énonce Maxime Decout par rapport à la mauvaise foi en littérature, « le ressort de ces textes est de plonger le lecteur dans une situation intenable où il est le plus grand coupable de tous : le coupable par interprétation » (Decout 160). En ignorant les signes existants et en s’abandonnant à une lecture crédule, le visiteur refuse de considérer le jeu inhérent au « cadre artistique ».
36Les enjeux de ce cadre sont développés par Jean-Marie Schaeffer dans son ouvrage Pourquoi la fiction ? (1999). Il caractérise le rapport du public au mensonge de « feintise ludique partagée », dès lors que ce dernier entre dans « le cadre pragmatique de l’univers fictionnel » (Schaeffer 234) que peut être le lieu d’exposition. Conscient du jeu de dupes qui y est à l’œuvre, le public accepte tacitement d’être trompé et de faire « comme-si », de consentir à croire en l’histoire présentée. Notons que ce cadre fictionnel n’entrave nullement l’effectivité de l’imposture artistique, qui est elle-même à considérer sur un plan qui lui est propre (124). Cette prédisposition du public à l’égard des propositions artistiques est exacerbée face à la magie de spectacle. Rémi David qualifie de « pacte de magie » la relation implicite du public et du magicien :
On est […], de manière générale en magie, dans une situation assez unique en son genre où l’individu, de son plein gré, en venant assister à un spectacle, demande volontairement à ce qu’on le trompe, qu’on lui fasse prendre le faux pour le vrai […]. (David 48)
37De même, l’exhibition d’une « sirène mythologique » à l’Aquarium de Brighton en 1885-1886 enthousiasme la critique – voici la description qu’en fait l’Era, le 24 avril 1886 –, et ce en toute connaissance de son caractère trompeur :
Nous recommandons tout spécialement à l’attention des habitués du Palace la Sirène vivante présentée par M. Harry Phillips. Dans ce cas, il n’y a aucun doute, le montreur, […], nous annonce carrément qu’il s’agit d’une illusion. Nous refusons absolument d’ajouter foi à ses dires car nous préférons croire le contraire. (Fechner 322)
38Le public accueille bien volontiers l’imposture et prend plaisir à « suspendre son incrédulité » – selon la formule de Coleridge d’ailleurs reprise dans l’un des textes du catalogue d’exposition Treasures from the Wreck of the Unbelievable de Hirst (Bethenod 7). Le nom de l’épave – L’Incroyable – peut alors s’entendre comme une invitation à se faire mener en bateau.
La puce à l’oreille : l’éventualité du visible derrière l’invisible ?
39Avoir « la puce à l’oreille » c’est à la fois être sur ses gardes, être défiant et méfiant ; et être attentif, à l’affût de, à l’écoute. C’est douter et soupçonner qu’il y a peut-être là quelque chose d’autre. Face aux expositions et œuvres se manifestant par une absence de visibilité, et quoique le sentiment d’imposture teinte leur perception, demeure l’hypothèse qu’il y aurait quelque chose à voir et à comprendre. Denys Riout précise dès l’introduction de son étude que les œuvres où l’invisible ne l’est qu’à l’œil nu ne le retiendront pas « parce que l’invisibilité qui les a frappées reste extrinsèque. Circonstancielle, elle ne caractérise en rien leur nature spécifique, leur mode d’existence » (Riout 23). Au contraire, nous voyons dans cette invisibilité relative aux circonstances un intérêt pour ce qu’elle dit de l’attention aux œuvres, dont la plupart proposent des indices minuscules. Un regard rapide peut aisément les manquer, et de fait les rendre invisibles. Quelques-uns des Typewriter Drawings de Clayton vont à l’encontre de ce mode de perception en présentant d’infimes caractères – pattes de mouche de la machine – sur les feuilles blanches. L’une d’elle, intitulée Possible Fleas on the Bed (21/11/13), laisse planer le doute sur ce qui est vu : par la mention « possible » dans le titre, elle ajoute du soupçon au caractère microscopique des insectes.
Figure 5 : Lenka Clayton, Possible Fleas on the Bed (21/11/13) in the series "Typewriter Drawings," 2013. Typewriter paper and ink, rendered with a portable 1957 Smith-Corona Skyriter typewriter, 11 x 8 1/2 inches unframed. © Courtesy of the artist and Catharine Clark Gallery, San Francisco.
40Compte tenu de l’intérêt de l’artiste pour le mode du canular, il est envisageable de penser que l’œuvre qui signale – faute d’une vue perçante – une représentation potentiellement fausse, soit en elle-même une tromperie, et qu’il n’y ait pas de puces.
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20 Certaines affiches signalent que des instru...
41L’histoire de la foire est en ce sens éclairante car étaient présentés par des magiciens et des entrepreneurs forains au xixe siècle et jusqu’à la moitié du xxe siècle des « cirques de puces ». Les affiches de ces propositions extrêmes en termes de visibilité attestent de l’incompréhension du public, comme dans une photographie de la baraque du magicien français Sténégry : « Puces !! Puces !? ». Le public pouvait y voir, en plissant les yeux ou à la loupe20, des puces réaliser des numéros de voltige ou un combat armé (Jay 35). Ce spectacle populaire s’inscrivait dans le vif intérêt du public du xixe siècle pour les « frontières de l’invisible » (Hopkins), repoussées par les techniques modernes de la microbiologie et de la radiographie et stimulées par le courant spirite et les recherches sur l’inconscient. Or, ce goût du public pour les limites de la visibilité a fait l’objet d’impostures par la présentation de cirques de puces sans puces :
Although the flea circus has become part of American culture, it inspires skepticism in a wide segment of the populace [...]. Their disbelief has been encouraged by specific deceptions: showmen have been known to exhibit preserved fleas cleverly affixed to apparatus or, indeed, to present shows with no fleas at all. (Jay 35)
42Ces spectacles ont pu trouver leur public, car comme l’énonce Ricky Jay : « there is something deliciously deceptive about a flea circus with no fleas » (Jay 36). L’absurdité de la proposition amuse plutôt qu’elle n’irrite, et le fait de n’avoir rien à voir, mais de désirer néanmoins y assister, prend l’allure d’une blague partagée. Un saut (de puce) dans le temps du côté de Clayton nous permet de remarquer que l’un des dessins-vides semble donner la mesure à l’ensemble de la série Typewriter Drawings. L’œuvre intitulée Excellent Joke I Just Remembered from Childhood. P.T.O (29/04/2015)21 qui – avec ce titre – met a priori le public à l’écart d’une blague, l’invite au contraire à rire avec l’artiste. La complicité des visiteurs est nécessaire pour appréhender le travail de Clayton et profiter de son ironie, de la même manière qu’elle l’était pour les cirques de puces sans puces.
43Peut-être faut-il envisager l’envie de croyance des publics devant des œuvres faisant la part belle à l’invisible. Dans les cirques de puces sans puces, le public est invité à suivre la proposition du magicien qui donne l’illusion de la présence des parasites par des accessoires truqués et sa gestuelle. Joe Nickell nous donne une idée de ces spectacles :
The first mock flea circus of this type that I recall witnessing « live » took place in Toronto in 1974 and was exhibited by Detroit magician-clown Daren Dundee. […] The show was an elaborate put-on. For example, Daren, would place an imaginary flea on a tiny trapeze, which began to swing; then, on command, the « artist » would « jump », starting a second trapeze swinging. […] Such effects were accomplished by trick mechanisms, legerdemain, and invisible thread. (Nickell 318-319)
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22 Ce paradoxe constitutif du travail de Rober...
44Les gestes magiques qui suffisent d’ordinaire à matérialiser l’invisible se voient ici déplacés, explicités, justifiés par les mouvements de puces pourtant absentes. Le spectateur en revient à scruter l’éventualité du visible (les puces) dans l’invisible (cirque de puces sans puces). Dans ces spectacles se déploie donc une poétique du visible et de l’invisible – poétique que nous pensons retrouver dans les expositions vides et les œuvres blanches. Pour peu que le public s’y intéresse, il recherche alors tous les indices indiquant qu’il y a là quelque chose à voir. Frémon rappelle le paradoxe22 des œuvres de Ryman23 où « il n’y a plus d’image et soudain tout compte, tout est pris en charge, l’épaisseur du châssis, le grain de la toile […] » (Frémon 36). Pour l’auteur,
La peinture de Ryman n’est pas une impasse parce qu’elle est totalement ce que toute peinture doit être, un questionnement intense, jour après jour réitéré, […] parce que finalement, la sincérité d’une interrogation, même dans le blanc d’un carré, cela ne passe pas inaperçu. (Frémon 62)
45La puce à l’oreille, l’attention consacrée à l’œuvre et l’envie de croire en l’éventualité « de carrés blancs différents d’autres carrés blancs » (Frémon 51) nous permettent de ne pas « les percevoir comme des objets de scandale ou de provocation, ou encore comme des surfaces nulles, vides, sans existence » (51). Et du sentiment d’imposture, se laisser aller au plaisir de la berlue.
46En 1913, certaines œuvres exposées à l’Armory Show à New York amènent le critique Charles Caffin à énoncer : « Can There Be Fakers in Art ? » (Leja 227). Considérer les manifestations historiques des phénomènes d’impostures a permis de vérifier leur contemporanéité dans les dispositifs artistiques contemporains. Parce que le public se joue de ce qu’il voit, le mode de vision actuel reste inchangé par rapport au passage du siècle : « A modern self, knowing well the perils presented to modern vision, looked askance » (Leja 12). L’art contemporain exploite ou remet en question les conditions de perception d’une période socio-culturelle toujours marquée par le scepticisme.
47Les impostures artistiques étudiées, qu’elles s’appuient sur le surnuméraire – telle la queue d’une sirène – ou sur l’absence comme le font les œuvres invisibles, ont montré qu’elles complexifient la lecture des œuvres en invitant les publics à affiner leur esprit critique et leur envie de croyance. Néanmoins, les codes des œuvres restent complexes et, entre « poudre aux yeux » (les sirènes) et cécité (les œuvres invisibles), mettent à l’épreuve les publics qui peinent à discerner leurs sens derrière l’hypothèse – fausse ou avérée – de l’imposture. Au rapport de confiance en partie sabordé par la dérision des artistes envers le système artistique, répondent potentiellement la distance et la défiance des publics non-spécialistes à l’égard de l’art contemporain. Il est possible que les impostures artistiques contribuent au désenchantement de l’art auprès des publics, qui s’en détournent en le délégitimant.
48Remarquons que la problématique et l’étude des cas ne sauraient résumer à eux-seuls l’ensemble des liens existants avec la magie de spectacle. Cette assimilation assèche la générosité du corpus des propositions artistiques tournées vers la magie et dessert en outre la discipline magique qui tend vers son « artification » (Jones 113-131). Quitter le mode de la tromperie ouvrirait la magie à d’autres possibles, ainsi que l’explique Jim Steinmeyer : « As magicians, we’ve traditionally misled ourselves for years by thinking of conjuring as the art of deception. […] It takes little imagination to realize that there is not much art in deception » (Steinmeyer 1997).
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Notes
1 http://www.jonathanallen.info/bobby.html, dernière consultation 18/04/2022
2 En France, le jeu du bonneteau est soumis à l’article L324-1 du code de la sécurité intérieure dédiée aux jeux de hasard et d’argent.
3 Il partage néanmoins ce goût pour la magie, comme en témoigne la série Mental Escapology (1994-2015).
4 Présenté à la Pinault Collection (Palazzo Grassi et Punta della Dogana) à Venise en 2017 : https://www.palazzograssi.it/fr/expositions/passees/damien-hirst-a-palazzo-grassi-et-punta-della-dogana-en-2017-2/, dernière consultation 18/04/2022.
5 Par la figure des sirènes professionnelles et de leurs avatars virtuels.
6 https://us.miltonagency.com/joel-harlow/3g-joel-harlow-pirates-of-the-caribbean-on-stranger-tides-hero-mermaid/, dernière consultation 18/04/2022
7 L’artiste prend néanmoins sous son vrai nom la fonction du journaliste contemporain à l’origine de la redécouverte des sirènes.
8 L’œuvre Ida (2018) de l’artiste Olivia Erlanger, composée d’une queue de sirène sortant d’une machine-à-laver, est qualifiée de particulièrement « instagrammable » lors de son exposition au Frieze New York en 2019 (Dafoe).
9 Sirenomena de l’artiste Dgino Cantin.
10 L’article traite d’une imposture politique : sa candidature au Congrès des États-Unis d’Amérique.
11 Nous traduisons de l’anglais : « Art that doesn’t lie isn’t really a great piece of art. »
12 En lien avec son œuvre The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living (1991), constituée d’une vitrine présentant un requin-tigre.
13 http://www.martincreed.com/site/works/work-no-227, dernière consultation 18/04/2022.
14 Nous traduisons de l’anglais : « images seem to appear and vanish at the displayer’s will ».
15 Terminologie de notre fait.
16 Motti y a réellement projeté de l’encre invisible et a fait de même en d’autres occasions (Motti 6).
17 Magicien nommé Mister RG, lors du projet The Big Illusion (1994-1995).
18 https://www.perrotin.com/fr/exhibitions/gianni_motti-plausible-deniability/1445, dernière consultation 18/04/2022
19 L’auteur commente l’entretien mené par Bruce Glaser avec Judd et Stella (1964).
20 Certaines affiches signalent que des instruments optiques grossissants peuvent être employés pour voir les cirques de puces (Jay 42).
21 http://www.lenkaclayton.com/#/typewriterdrawings/, dernière consultation 18/04/2022.
22 Ce paradoxe constitutif du travail de Robert Ryman est à l’origine du titre de l’ouvrage de Jean Frémon.
23 https://www.artbasel.com/catalog/artwork/70553/Robert-Ryman-Untitled, dernière consultation 18/04/2022.
References
Quelques mots à propos de : Mathilde Galinou
Mathilde Galinou prépare un doctorat d’Histoire de l’art à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sous la direction de M. Pascal Rousseau et de Mme Véronique Perruchon intitulé Art et prestidigitation. La magie de spectacle dans les pratiques artistiques contemporaines des années 1980 à nos jours. Ses recherches s’inscrivent dans les études visuelles, l’archéologie des médias et les études transdisciplinaires. En 2018-2019, elle a collaboré avec la Friche la Belle de Mai et la Biennale Internationale des Arts du Cirque pour l’exposition de magie nouvelle Traversée des apparences (commissariat Raphaël Navarro). Elle a été intervenante lors du Festival d’Histoire de l’art 2018, à l’Université Aix-Marseille en mai 2019 et aux Beaux-Arts de Paris en janvier 2021. Elle travaille comme chargée des relations avec les publics et comme médiatrice dans diverses institutions culturelles (Briqueterie CDCN, Institut des Cultures d’Islam, Fondation Louis Vuitton…).