Aller à la navigation  |  Aller au contenu  |  FR  |  EN

Troublantes Usurpations

Christelle Centi

“The words on this page are not the story”: douleur, torture, imposture du langage dans The Water Cure (2007) de Percival Everett

Abstract

In his 2007 novel The Water Cure, Percival Everett introduces a narrator whose multiple identities embody ontological instability and reinforce an aesthetics built on fragments. Ishmael Kidder, aka Estelle Gilliam, frames his narration by questioning the very possibility of identity and identification. Ishmael’s daughter was indeed murdered by a man he then captured in order to keep him in his basement and torture him; the novel however does not provide the reader with closure regarding the question of the man’s guilt, therefore displacing the definition of imposture as one subject impersonating another subject towards the idea that the gesture of assigning any kind of identity is, in itself, an imposture. By switching around the parts of victim and tormentor, and making it obvious that it is contradictory to make the presumed murderer be "forced" to play this very part, Everett’s novel demands that we reconsider what constitutes identity, authenticity, and the possibility for language to express personal pain and political anger in a country where responsibility is a vanishing concept. The real imposture is the one that is foregrounded thanks to the internal organization of The Water Cure: it sets the experiences that are paramount to the process of subject-making at the center of the novel, in order to turn the reader into a witness to their collapse, thanks to a metafictional commentary on the possibilities offered by the lies of fiction.

Texte intégral

1La publication de The Water Cure en 2007 faisait suite à une période qui aux États-Unis fut marquée par le basculement dans une politique post-9/11 : contrôles renforcés aux aéroports, Patriot Act, prépondérance de l’antiterrorisme dans l’espace et le discours publicss, et importance croissante d’une rhétorique justifiant toutes les actions possibles dans cette lutte contre l’ennemi extérieur. « Acte d’accusation de l’ère Bush » comme il le nomme dans un entretien avec Martine Laval pour Télérama en 2009, The Water Cure (en français Le Supplice de l’Eau, traduction d’Anne-Laure Tissut) est imprégné de politique, qu’il s’agisse des critiques explicites du mensonge que les États-Unis se racontent sur leur propre identité de nation libre et éclairée, ou qu’il s’agisse de l’évocation en filigrane de la torture par waterboarding d’un homme dont on ne saura pas s’il est bien coupable de l’assassinat de la fille du narrateur. Ishmael Kidder, auteur de romans qui publie sous pseudonyme, se pose en effet plusieurs questions : celle de son identité en tant que père après la mort de sa fille Lane, celle de l’identité du coupable de ce meurtre, de sa propre place physique dans l’univers, voire celle, plus inattendue, de la race du chien qui se trouvait sur place au moment de la découverte du corps. L’imposture s’y dessine ainsi comme à la fois structurelle et diffractée, et se décline à l’infini : d’une poétique de la place qu’occupe un individu dans l’espace géométrique, au pseudonyme de l’écrivain, figure récurrente chez Everett, en passant par une économie de la citation et de la répétition des fragments qui sont organisés dans le texte, ainsi qu’une expérimentation orthographique de l’inversion de la place des lettres dans les mots. L’ampleur de la douleur, physique et émotionnelle, est montrée comme se heurtant alors aux limites du langage : toute tentative de l’exprimer est vouée à l’échec, et par cette mise en valeur de l’échec à exprimer la douleur, le lecteur se trouve alors confronté à l’imposture consciente et mise en performance des mots et de la narration. La dimension expérimentale du roman, qui brise continuités et rythmes rassurants du rapport entre langage et sens, combinée à cette mise en scène d’un domaine particulier dans lequel le langage se trouve toujours impuissant, la douleur, est alors une manière, comme l’évoque Sylvie Bauer dans son article « Nouns, names, verbs », de dévoiler l’imposture du langage qui est liée au sens, et d’en faire un fil conducteur : « What happens when the unutterable surfaces and denies the illusion that language and meaning are one and the same ? » (Bauer 99).

2Dans The Water Cure, rien ne reste à sa place. Des mots (déjà figés, ou bien inventés pour l’occasion) se substituent à d’autres mots pour opacifier certaines phrases ; une petite fille disparaît et sa place dans le monde se trouve inoccupée, les considérations politiques font corps avec l’expérimentation formelle, les noms se multiplient et les identités sont instables. Un innocent qui remplace (peut-être) un coupable, une victime qui devient (peut-être) bourreau ; poétique et politique de l’identité dans les États-Unis de George W. Bush se construisent ainsi sur des sables mouvants. L’imposture se trouve vidée des récompenses qu’elle peut procurer, puisque personne ne retire quoi que ce soit de la situation. L’intention d’usurper disparaît également, en particulier dans le cas de W., nom attribué par Ishmael au suspect (en écho à George W. Bush), à qui on assigne son rôle de meurtrier ; ne demeure que l’omniprésence de l’imposture comme matrice structurelle que l’on déploie. C’est, dans The Water Cure, le processus qui fait avancer ou stagner le roman, pour en arriver à la plus grande imposture de toutes : celle du langage auquel on prétend pouvoir faire dire la douleur et le monde, et leur assigner un sens. Si la douleur est indicible, une des manières de la rendre palpable par la littérature serait alors de l’aborder de biais, selon une pratique de diffraction, de répétition, et de différance assumée de son arrivée : en montrant la destruction par la douleur de l’illusion selon laquelle langage et sens feraient corps, il est possible, paradoxalement, de la donner à voir de façon indirecte. La torture qu’inflige Ishmael Kidder à sa victime est une version différée et répétée de celle que le meurtrier de Lane lui a infligée, de même que la torture qu’inflige Everett à son lecteur en distordant le langage, l’organisation de la page, et le cours temporel du roman, est une version différée et répétée de cette douleur indicible. Elaine Scarry, dans son livre The Body in Pain, met en valeur cette capacité mimétique et diffractive de la torture :

[T]orture inflicts bodily pain that is itself language destroying, but tortures also mimes (objectifies in the external environment) this language destroying capacity in its interrogation, the purpose of which is not to elicit needed information but visibly to deconstruct the prisoner’s voice. (Scarry 19)

  • 1 « When expressions of its effects are multip...

3L’expression, le langage, semblent pris chez Everett dans ce double mouvement : le langage est une imposture, mais seule cette imposture est disponible, et en la déployant sous toutes ses variations, The Water Cure crée cet espace interstitiel dans lequel le lecteur s’installe, entre plusieurs identités, entre différentes langues et références littéraires, sans jamais trouver de point stable, solide, et unique, sur lequel se fixer. The Water Cure, en tant que roman qui se ferait passer au premier abord pour exclusivement expérimental, permet en réalité une réflexion sur la possibilité de faire surgir le politique au sein de l’intimité, par une approche de biais. Le politique (la mise en accusation de la politique états-unienne post-9/11) comme la souffrance ne peuvent surgir que dans le virtuel, selon l’approche développée par Brian Massumi dans son livre Parables for the Virtual1.

4Selon les mots de Maxime Decout dans Pouvoirs de l’Imposture, « deux motifs sont étroitement associés au paradigme de l’indice : le savoir et l’identité » (Decout 17). Chez Everett, l’expérience de lecture est celle d’une déstabilisation de ces deux formes : l’identité est brisée en mille morceaux, et le fait qu’elle ne soit jamais reconstruite permet le déploiement d’une poétique de la diffraction et du virtuel qui culmine dans l’utilisation du moyen de torture privilégié par Ishmael Kidder, à savoir l’installation de miroirs tout autour de sa victime. L’imposture telle que mise en cause dans The Water Cure est bien celle qui conduit à penser comme possible une identité stable sur laquelle on pourrait s’établir pour usurper une autre identité, elle aussi stable et délimitée. Aucun remède (cure) n’est accessible, cependant, pas plus qu’il ne semble désirable d’en trouver un. C’est un processus sans fin, et voulu comme tel, qui implicitement permet de mettre en accusation ce qui se trouve être au cœur de nombreux romans d’Everett, et selon moi au centre de son œuvre : l’imposture des États-Unis et les mensonges nécessaires à la vision que le pays a de lui-même dans la construction de sa propre mythologie.

Identités flou(t)ées

5Le jeu du roman repose en grande partie sur l’instabilité revendiquée d’Ishmael Kidder, narrateur, père, auteur, victime au second degré puisque père d’une enfant assassinée, bourreau au premier degré du coupable présumé ou choisi arbitrairement. Son nom même instaure cette instabilité, par référence à la fois à Ishmael de Moby Dick, dont la performative première phrase « Call me Ishmael » permet en disant l’identité de l’inscrire dans un pseudonymat et une mise en doute, d’une part, et d’autre part de placer le narrateur dans une lignée littéraire historique que le roman ne cessera par la suite de nourrir à partir de références, fragments, et mentions éclectiques. Le nom de famille, Kidder, réactive ce mouvement de mise en doute par l’établissement même et la saturation de l’espace littéraire : ce nom n’est-il qu’une plaisanterie ? C’est en tout cas le seul dont nous disposons lors de la lecture de la première page. Ishmael Kidder amorce ainsi le geste de l’imposteur sans jamais le conclure : dès l’installation du remplacement, de la prise de sa place, la mise en garde quant au caractère fuyant de son identité fait de l’imposture, plutôt qu’un événement ponctuel ayant un début (se mettre à la place) et une fin (l’abandon de l’imposture), un ethos de lecture et d’écriture. Chaque élément de l’identité de Kidder, de même que son nom, se trouve diffracté, et l’identité et le concept d’impostures sont ainsi retravaillés par le glissement de la possibilité même de penser une identité stable, condition même de l’usurpation : au lieu d’une bivalence entre soi-même et celui ou celle dont on prend la place, l’imposteur everettien ne peut rien soutenir, ne doit rien soutenir, puisque chaque geste met en péril le point de départ et le point d’arrivée du geste d’usurpation. Son statut de père vacille à la mort de son enfant :

To say that I am a father entails a necessary conjunction with a child, but given the negation of that child, am I to understand a negation of my fatherhood? Am I to imagine an alteration of the conjunctive relationship and a reconfiguring, therefore, of my relationship to the world. Without an and, am I in this place, at this time, in this body? Am I at all ? (Everett 85)

6Temporalité, place et identité se nourrissent et entrent en conflit dans ce passage entièrement au présent : la lecture ne permet pas d’aborder l’idée d’identité d’un point de vue linéaire, qui impliquerait qu’Ishmael ne soit plus père, bien qu’il l’ait été par le passé. La négation de la paternité se produit dans un absolu temporel, tout en étant justifiée par l’absence de lien, de conjonction, que l’on peut lire à la fois linguistiquement et spatialement (« without an and », « this »). Ishmael écrit ses romans sous un pseudonyme, Estelle Gilliam: » I simply am of course who I am, Ishmael Kidder, but I am better known as Estelle Gilliam, the romance novelist. No one knows that I am Estelle Gilliam, not around here » (Everett 25).

7Si Ishmael bénéficie d’une multiplicité d’identités et de tout le pouvoir que le statut de narrateur lui confère, il semble intégralement absorber le potentiel de prise de parole et de mise en mots pour son compte propre. L’interrogatoire auquel Ishmael soumet l’auteur désigné de l’assassinat de sa fille exclut constamment et systématiquement la parole dudit auteur désigné. Non content de lui verser de l’eau sur le visage et dans les voies respiratoires, selon le processus de waterboarding qui donne son titre au roman, les mots sont mis littéralement dans la bouche de W : « So what is it ? I’ll tell you what I think » (Everett 127). Ishmael prend la place de sa victime, puisqu’il devient bourreau à la place du bourreau, et détruit sa possibilité de s’exprimer à l’intérieur du texte. Il ne lui laisse ainsi ni nom, ni description physique, ni histoire personnelle qui ne trouve leurs origines et leurs fins dans ses propres mots de narrateur et bourreau.

8La question du nom dans The Water Cure, du processus d’appropriation ou de désignation, occupe une place considérable. Maxime Decout problématise le nom et son importance dans le concept d’imposture en ces mots : « L’imposture me contraint donc au nom. Elle me prive de verbe et d’adjectif. Elle m’impose des détours, des périphrases, des synonymes, des équivalences imparfaites. Mais si elle m’assigne au nom, elle ne m’assigne pas qu’à un nom » (Decout 15). Le jeu des équivalences, des répétitions et des détours qu’opère Ishmael autour de W. est perpétuellement annulé par le refus simultané de lui accorder une histoire. L’imposture imposée à sa victime aboutit ainsi à la transformation d’Ishmael en Verbe, mais en verbe destructeur, pris dans le processus d’assassinat lent et sans fin de l’identité de W. :

It is here in this story that I am supposed to pause and offer some kind of humanizing history for this creature, something about his wretched childhood and obscenely behaving parents, molesting uncles and priests, and bouts with alcohol and drugs, whether true or not. He gets no story. This, if I have perpetrated any evil at all, is my greatest evil, my greatest vengeance.
“How about that, W.? I mean Art, I mean Harvey, I mean Mort, I mean - Isn’t it wonderful? The naming of things? You get no story at all. But let me ask you this: Do you have a name?”
(Everett 91-92)

9W., c’est-à-dire « double you », ne se voit pas assigné un seul nom mais plusieurs. « Art » pourrait être vu comme rappelant l’idée de construction doublement fictionnelle de son identité de meurtrier et de personnage de roman, Harvey comme un rappel à Lee Harvey Oswald, ou encore Donald Harvey, ou bien Harvey Carrignan, tous tueurs américains plus ou moins connus du grand public, ou encore à George Harvey, pédophile et meurtrier dans le roman The Lovely Bones d’Alice Sebold. « Mort » en français permet de dédoubler le plan d’intelligibilité linguistique de la phrase, entre anglais et français. Peut-être qu’aucun de ces noms ne renvoie à quoi que ce soit. La multiplicité des connotations de tous les noms qu’Ishmael décline dans cette séquence permet un glissement, du nom comme entité stable, figée, vers les noms fuyants et instables, qui invitent au mouvement d’un signe à un autre.

10Le rôle dont Kidder se dédit est celui que la narration traditionnelle (« here in this story that I am supposed to pause ») tend à prendre en charge, celui d’explication externe au meurtrier, satisfaisante d’un point de vue narratif malgré sa mise en doute (« whether true or not »). Cette mise en histoire personnelle est caractérisée par une suite d’actions dont le meurtrier aurait fait l’objet, actions mises en verbe au participe présent, « obscenely behaving », « molesting », qui conduiraient à l’addiction, mise en nom, « bouts » ; sa progression logique conduit alors à la question du nom du meurtrier assigné. Est refusée au meurtrier, de façon préemptive, la possibilité de voir ses actions expliquées, sinon justifiées, par un enchaînement temporel de son histoire personnelle. Par là-même, se disloquent alors les rapports entre verbe et le nom, vers une conclusion qui met en jeu deux pôles linguistiques, le germanique via l’usage de l’allemand, et le latin, comme pour embrasser tout le spectre de ce qui est dicible par le langage entre les deux extrêmes de ces personnages : « And my name shall be Immer Weider, and your name shall be, let me see, yes, Negatio Omnis » (Everett 44). Immer Weider, « toujours plus » pour Ishmael, dont la logorrhée vise paradoxalement à anéantir, via une accumulation, l’existence et l’identité de sa victime ; pour W., « negatio omnis », la négation de toutes choses, celui qui tue mais aussi celui qui ne peut être et dont le nom est une absence, ainsi qu’un clin d’œil au « Personne » donné par Ulysse comme pseudonyme dans l’Odyssée. Le processus d’attribution du nom ne cesse de surgir à intervalles réguliers dans le roman, toujours repris, interrompu, et jamais achevé.

11Si l’on peut voir l’imposture réussie comme un état de fait, un processus à la conclusion identifiable, définissable par le fait que l’imposteur a réussi à se « faire passer pour » avant de se voir démasquer, l’imposture infligée par Ishmael ni le meurtre de W. n’atteignent jamais leur fin :

My destruction of you, dear W., dear Art, dear Frenhofer, must finally be a fiction, a thing I approach, like Zeno to the far wall, like the arrow to its target, the asymptote to the line, a nearing to perfection never reached. (Everett 117)

12L’emploi ici du paradoxe de Zénon comme métaphore pour exprimer ce qui dans les mots ne peut être dit, la destruction de W., est emblématique du mécanisme privilégié de The Water Cure, à savoir la substitution comme manière de pouvoir non pas dire mais suggérer l’indicible, ce qui touche aux limites du langage et donc met en valeur son imposture. C’est en créant W. comme meurtrier qu’Ishmael le détruit, et son identité ne sera parachevée qu’à sa mort. Loin d’être négative, cette imposture est présentée au sein du roman comme la seule pratique acceptable, de même que le fait de torturer quelqu’un, n’importe qui (ou en tous les cas de raconter l’histoire de sa transformation en bourreau), semble être la seule façon pour Ishmael Kidder d’appréhender son chagrin.

Somewhere behind the illusory transparency of words was my understanding of the novels that I made using the name of another person, a person I refuse to consider an alter ego. Also lurking behind these symbols, signs, marks is some clue to how my chosen medium might actually allow me to process or make peace with the world2. (Everett 65)

13La dimension sensorielle et matérielle du langage utilisé pour discuter du concept de pseudonyme dans le passage qui suit réinscrit le pseudonyme dans le corps.

  • 3 Italiques ajoutées.

It turns out that pseudonymity is not only a herniation from family and social origins, but a rupture from artistic ones as well. My alter ego, or as I liked to refer to her, my alto ego, was in way over my head. She lit my candle at both ends and scratched my monetary itch. What she wrote offended me because I apparently wasn’t offended by it, my sadness being, finally, that she had talent, talent in a world of her making and artistic comfort while I was painfully out of stride with how I might have wanted to be, artistically. Perhaps I didn’t really want to be, artistically or any other way for that matter3. (Everett 115)

14Le glissement de alter ego vers alto ego défamiliarise l’expression, de même que l’accumulation des métaphores corporelles: « in way over my head », « lit my candle at both ends and scratched my monetary itch ». L’idée de hernie, connotant une impression intensément physique et douloureuse, fait surgir l’inconfort de l’identité qui se dissout d’un dédoublement à l’autre : quelque chose qui n’est plus à sa place, qui a fuité d’une cavité vers une autre, inappropriée. Cependant, ici, Kidder semble davantage perturbé par le fait même de n’être pas dérangé par l’autonomie, la supériorité, que semble avoir acquise son alter ego/alto ego, Estelle Gilliam, sous la plume de laquelle il publie ses romans à l’eau de rose. C’est bien ici sa propre absence d’identité qui le rend triste, comme si le rapport d’importance et de subordination entre lui-même et son alter ego avait été inversé.

15L’imposture ici se trouve inversée dans sa dynamique, aussi bien que condensée en un seul endroit : au lieu de prendre la place de quelqu’un d’autre, Ishmael Kidder se retire systématiquement, s’absente de sa position de narrateur et de personnage substantiel, laisse sa place à d’autres. Son identité est usurpée, sans qu’aucune des conséquences qui accompagnent normalement cette usurpation ne se fasse jour : il disparaît. Un passage dans lequel la narration bascule de la première personne à la troisième permet de mettre en valeur une dynamique de retrait permanent, qui paradoxalement donnerait par la distance instaurée un sentiment de proximité au lecteur :

I shook my head. Rather, he shook his head as I now shift to third person (because I can) to convey a sense of distance and at once, ironically (as all things are ironic), to offer this intrusion that makes me and so you even closer to the narration and so to the story and so to the pain. He shook his head, glancing only briefly again at the little girl. Her father was getting her situated in a booster seat, his large hands wrapping nearly all the way around her. (Everett 153-54)

16Entre pseudonymes, noms, et jeux narratifs, l’esthétique de The Water Cure se trouve être celle de sauts répétés entre identités, et permet de contribuer à l’impression de processus inachevable, de déstabilisation temporelle, qui est nécessaire à l’architecture du roman comme remise en cause performative de l’illusion du langage. De même qu’il n’est jamais possible d’être sûr du statut de W., et que sa mort est sans cesse différée, le lecteur n’est jamais autorisé à trouver une forme de stabilité linguistique.

Remplacements, mensonges, et questions d’authenticité

17Quelle histoire est racontée ? Est-elle vraie ? Pouvons-nous nous fier aux mots écrits sur la page ? Au fil du Supplice de l’eau, Everett choisit de jouer avec le glissement d’un mot à un autre, en misant sur les similarités graphophonémiques pour qu’avec un effort de lecture le tout reste compréhensible. Les mots se ressemblent et parviennent ainsi à se faire passer pour d’autres mots dans une imposture linguistique : les tiroirs deviennent prétexte à un remplacement lexical basé sur des ressemblances visuelles (opine au lieu de open) puis sonores (a nether au lieu de another) : « opine it, thin a nether, thin a nether, a nether, a nether » (Everett 98). La déstabilisation désolidarise ainsi le mot conventionnel de son sens, crée un écart que le lecteur doit combler par son travail de reconstitution pour démasquer l’imposture.

18Cette imposture linguistique se diffuse dans le roman grâce à l’inventivité typographique qui permet de brouiller les limites entre locuteurs. Le ventriloquisme comme esthétique de la citation chez Everett, ainsi que l’emploi de ce ventriloquisme dans les scènes réunissant bourreau et victime, donnent naissance à un texte dans lequel les frontières même entre les points d’origine de la parole et la possibilité de remonter à une source ou bien de se poser la question de la véracité sont brouillées. L’annonce par les policiers à Ishmael de l’arrestation du suspect, page 111, n’est pas présentée comme provenant d’un locuteur différent, pas plus qu’elle ne comprend de signes de ponctuation, mais occupe un paragraphe entier et est reformulée par Ishmael lui-même. Le ventriloquisme d’Ishmael permet de réécrire l’annonce factuelle de l’arrestation en un tourbillon dans lequel les verbes s’emballent d’autant plus que le passage évoque l’impossibilité de faire quoi que ce soit, de retenir le suspect.

  • 4 Italiques ajoutées.

[B]ut what can we say because we cannot kill him hold him keep him lock him up throw away the key because he is the man the monster but he might not be the man the scoundrel how do you like that word that euphemism and we will keep looking scouring the ground […]4. (Everett 111)

19À l’accumulation des verbes qui créent une oscillation et non une gradation dans la gravité des châtiments fantasmés, allant du meurtre à la détention à l’enfermement définitif, s’ajoute le problème de la manière d’identifier l’homme. La ressemblance entre scoundrel et scouring permet une relance morbide de la phrase, dont la saturation linguistique montre des tentatives d’approcher sans pouvoir le toucher l’affect qui caractérise l’épisode dans l’esprit du narrateur.

20Si l’on considère une définition de l’authenticité comme la qualité de ce dont « l’origine est indubitable » ou qui est d’une « totale sincérité » (dictionnaire Larousse), The Water Cure ne cesse de remettre en question les critères de cette authenticité, et de la véracité des mots qui sortent de la bouche ou de la plume du narrateur. C’est l’illusion du langage et de sa prétention à l’adéquation à la réalité qui est ici détruite par Ishmael et par l’histoire qu’il raconte, une réalité multidimensionnelle vers laquelle les signes ne peuvent faire signe que de façon incomplète, comme on le voit dans la citation ci-dessous : le geste choisi ou inconscient, la quantité de détails et leur placement, la passion dans la narration, le regard.

What are the qualities of the truthful, more compelling rendering? Is it in the chosen or unconscious gestures? Is it an appeal to a great many details? Or to fewer well-placed details? Is it the cast of my or his eyes? Is it the presence or absence of passion in the telling? and finally, is it true that if my telling of the events is more believable then what I say is true. (Everett 98)

21La différence établie entre ce qui est crédible (« believable ») et ce qui est vrai, réactive la notion d’imposture : ce qui compte n’est pas l’adéquation, mais de pouvoir faire croire à la véracité d’une histoire, véracité donc rendue caduque.

22La réflexion métatextuelle sur la valeur de l’histoire racontée fait alors résider cette valeur dans le mensonge, un mensonge qui serait raconté selon une métaphore musicale sur la bonne « clé » (« the correct key »). Une double attention est portée dans The Water Cure d’une part à l’authenticité d’une histoire (ainsi que sur les critères de cette authenticité) et d’autre part à la cohérence interne de l’histoire ; de ces deux éléments, la primauté est donnée au dernier élément. Cette hiérarchie invite ainsi à considérer ce que l’agencement des éléments internes à l’histoire racontée permet de dire, et à voir dans l’instabilité des identités, noms, éléments linguistiques, non pas un symptôme de son invalidité mais au contraire le cœur de ce qui est donné dans le roman, à savoir une réflexion sur cette même instabilité et par là même sur la notion de culpabilité et responsabilité qui en découle.

  • 5 Italiques ajoutées.

It might well be that insinuation is the lifeblood of fiction or perhaps more to the point the finger of its fate. The logic of the story is enough, always a predicative, if distinguishable from propositional, logic that at least sings with a familiar voice, a voice that is learned in childhood, a voice that can lie all day and night, and still it is a true voice. Premises of arguments need not be right or wrong, they need only be in the correct key. It is not necessary to prove that the premises are inconsistent with the negation of a story, only that there is dissonance; that is enough to prove validity, if not truth. We are humans ; our standards are low5. (Everett 162)

Le contraste entre l’emphase placée sur l’idée de voix et celle sur l’écrit, la graphie, qui marque le roman, nourrit la mise en valeur de l’écart et de l’interstitiel comme lieu de surgissement de la douleur et de l’authenticité.

23L’emprise totale d’Ishmael Kidder sur sa victime (ou le bourreau de sa fille) passe par l’appropriation de la démarche de mise en narration d’une expérience traumatisante qui justifierait son crime ; une forme d’imposture inversée se met alors en place, puisque Kidder lui enjoint de prendre en charge une histoire qui n’est pas la sienne, et par là-même, rend cette histoire caduque avant même qu’elle ne puisse être prononcée. « Tell me a story of a cheerless and disconsolate and pathetic childhood » (Everett 108-109), par son rythme et ses anaphores, fait résonner des échos homériens dans un texte dont le but est de priver W. de toute possibilité de locution. Le bourreau énonce les éléments de l’histoire que la victime pourrait utiliser pour se justifier, et lui interdit ainsi de façon préemptive leur utilisation : ils seront frappés du sceau de la suspicion et de l’inauthenticité. Cette logique est reproduite à l’échelle du roman : les mots page 108-109 se font l’écho de ceux déjà analysés pages 91-92 :

  • 6 Italiques ajoutées.

It is here in this story that I am supposed to pause and offer some kind of humanizing history for this creature, something about his wretched childhood and obscenely behaving parents, molesting uncles and priests, and bouts with alcohol and drugs, whether true or not6. (Everett 91-92)

  • 7 Italiques ajoutées.

“Tell me a story”, I said. “Tell me a story of a cheerless and disconsolate and pathetic childhood, tell me of your beatings and abuse and debasement, tell me who shoved a swollen dick up your sorry little ass. Make me cry. Make me cry7.” (Everett 108-109)

24Là où Ishmael parlait de W. dans le premier extrait, il s’adresse directement à lui dans le deuxième, avec toutes les marques habituelles du dialogue mais le contraste demeure au sein des deux extraits entre l’assignation par les adjectifs possessifs (his, your) et la privation totale par Ishmael du statut de locuteur de W., syntaxiquement incarnée par le glissement vers son objectification. Oncles, parents, et prêtres, au pluriel pour mieux exprimer le caractère générique du cliché, sont seuls doués de la possibilité d’être sujets d’une action (behaving, molesting), rendue plus concrète dans le deuxième extrait (« who shoved a dick up your sorry little ass »). L’injonction même d’Ishmael, « Make me cry », proférée en même temps qu’il prive W. de toute voix, crée une tension permanente qui rend visible l’impossible clôture du processus.

25La multiplicité des situations dans lesquelles une entité reste bloquée dans un processus où elle est mise à la place d’une autre entité se traduit dans une course, tristement vaine, à la confection d’un agencement des mots capable de traduire l’horreur que représente la perte d’un enfant dans de telles circonstances. La douleur qui circule sans pouvoir se fixer au fil du roman et qui se présente par des moyens détournés nous permet de localiser, dans The Water Cure, une poétique de l’affect qui donne une forme à ce qui est indicible et incompréhensible, précisément par l’accumulation de ce qui met en évidence les insuffisances du langage et d’une notion traditionnelle, figée, de l’identité du sujet. L’idée de fiction, d’un mensonge qui trouve sa valeur dans sa cohérence interne, offre ainsi la possibilité d’un détachement du critère d’authenticité et d’adéquation univoque entre les mots et le réel. La souffrance, la douleur, le traumatisme, en tant qu’inexprimables directement par un langage articulé, surgiraient dans les fragments, « it is not simply that fragmentation expresses the traumatic, but that the novel proposes a poetics of trauma that gives shape to incomprehensibility » (Richardson 135).

L’imposture interrompue comme prisme de diffraction : surgissement du politique

26Le supplice de l’eau est en lui-même une manifestation physique de l’idée d’imposture : il s’agit bien de faire croire au supplicié qu’il est en train de se noyer, de tromper son organisme en lui donnant l’impression qu’il est en train de mourir, et de répéter le processus à l’infini.

27De même que Kidder est présenté comme diffracté en de multiples identités passant à travers le prisme de l’écriture, son mode de torture se décline en plusieurs mises en place. Il installe des miroirs tout autour de W. dans une littéralisation du processus par lequel la torture détruit l’identité :

I stood them [the mirrors], nailed them, and taped them around my work in the basement. I arranged them so that my subject could find his face no matter where he looked, and then I removed the hood from his head. […] “When I hurt you, and I will, […] I want you to see all these other people and wonder which one of you is feeling the pain and feeling nothing” […]. Since I had the mirrors configured to offer him reflections of himself and reflections of his reflection I could not see him in any of the mirrors […]. I wanted him to have the company of infinite incidence and refraction, unending repetition, the forever drip drip drip of his own image. (Everett 107-108)

28Le centre absent en la personne de W. constitue une variation sur la réflexion géométrique construite tout au long du roman. En effet, nombreux sont les moments où Ishmael se pose la question de ce qui en dernier lieu, une fois que l’on s’est débarrassé du superflu, permet d’identifier : si ce qui définit l’identité est la place prise par une entité donnée, place qui ne peut être occupée par une autre entité (qu’il s’agisse d’un point, d’un objet, d’une personne), il apparait que la place est toujours définie par rapport à ce qui l’entoure, à ce qu’on inflige ou fait subir à cette entité (ou à l’inverse à ce qu’elle fait subir à son environnement), et à ce qu’elle est en relation avec d’autres entités.

Any number of men have my same birthday, were married on the same day, in the same city, had a child on the same day, perhaps even lost a child on the very same day, but, finally, not to the same predator, not in the shade of some shrub, not sniffed by the same dog. (Everett 51)

29Alors qu’Ishmael est multiple, et force W. à endosser la place de meurtrier de son enfant, se dessine une poétique de la culpabilité et de l’identité comme déterminée de l’extérieur : le coupable serait celui à qui on fait subir un châtiment, peu importe sa culpabilité réelle, un père ne serait pas un père sans enfant vivant, et l’enfant qui hurle dans la forêt n’émet pas un son si personne n’est présent pour l’entendre : « if your child screams in the forest and there is no one around to hear, does she make a sound ? It turns out that she does not. » (Everett 10)

30L’identité, telle que pensée à travers la lecture du roman The Water Cure, paraît ainsi pouvoir être fondée non pas sur un centre que l’on pourrait atteindre à force de réduction à un point certain, stable, absolument authentique, mais à la superposition de toutes les versions variables et diffractées, qui permettent de faire apparaître une forme inatteignable directement. La dimension spatiale de The Water Cure paraît ainsi pouvoir être approchée de manière plus fournie par une démarche topologique, qui prenne en compte le changement, la déformation, la variation continue, telle que définie par Brian Massumi dans Parables for the Virtual :

Take the images by their virtual centers. Superpose them. You get an overimage of images of self-varying deformation: a unity of continuous separation from self. It is there that the virtual most literally, parabolically appears. This is to say that the virtual is best approached topologically. Topology is the science of self-varying deformation. A topological figure is defined as the continuous transformation of one geometrical figure into another. Imagine a pliable coffee cup. Join the surfaces on the brim, enlarge the hole in the handle, and then stretch it so that all its sides are equally thick. You get a doughnut. You could then tie this doughnut into complex knots. All of the geometrical figures you can create in this way are versions of the same topological figure. Topological is, in and of itself, multiple. (Massumi 134)

31Approcher le centre politique ou la douleur au cœur du roman d’Everett, serait donc accepter de passer par des chemins détournés, prendre en compte les multiples dimensions de l’écriture et du langage sans tenter de les réduire, aplatir, ou figer en une figure monolithique. Gwen Le Cor, dans son article « “At any rake,” angles of “linguistic condensation” and shock in Percival Everett’s The Water Cure””, analyse le fonctionnement de cette multiplicité comme éminemment paradoxal : l’accumulation de clarté produit, in fine, l’obscurité.

Reading The Water Cure requires a movement “away from the center of clarity”/gravity and into the unexpected plural “clarities”, where “clarities” collide with one another and expend “indefinitely away.” In other words, the novel blurs our traditional modes of representation with an excess of clarity, or, to put in Everett beautifully paradoxical phrasing, “Clearly too much clarity.” The only thing that is clear then (“that much was clear”), is that clarity, as it is multiplied and pluralized, plunges the reader in a “fog of clarity.” (Le Cor 2-3)

32On propose ici que le surgissement du politique est ce corps obscur, ce centre absent rendu palpable par le phénomène de diffraction, et cette approche métaphorique d’un phénomène physique pour appréhender une poétique littéraire pourrait paraître abusive s’il ne s’agissait pas ici de mettre en lumière la démarche d’Everett : circuler entre discours philosophiques, littéraires, mathématiques, logiques, pour faire apparaître par contraste toute l’horreur de l’indicible. La colère du narrateur contre son propre pays, visible lors d’apartés qui surgissent à intervalles réguliers dans le roman, rejoint la problématique de la douleur privée, intime, puisque la problématique de la responsabilité, de l’identité, est centrale dans ces deux cas. Dans The Water Cure, l’identification de W. comme coupable du meurtre n’est jamais avérée ; à l’inverse, aux États-Unis, d’après Ishmael, les raisons et les identités des coupables sont bien connues, mais obscurcies par les mensonges successifs et le déni des individus. La prise de responsabilité, absente dans le paysage politique et culturel de la nation, semble ainsi se transmuter en une double assignation de culpabilité dans la fiction : celle de W., qui pourrait être innocent, et celle d’Ishmael, qui de victime certaine et indirecte revendique avec enthousiasme le rôle de bourreau. La colère d’Ishmael face à l’impossibilité d’agir politiquement (« no recourse but to go along with it all »), colère exprimée ci-dessous à la troisième personne, provient de l’impossibilité de localiser un coupable, de distribuer les responsabilités.

Ishmael Kidder respects, has come to respect his culture’s chosen method of genocide, so slowly cooked, so slowly wrought as to have it appear benign, no slashing machetes, no gas chambers, no ovens, and never in the name of hate (no, never anything so honest as hate), but in the pursuit of security (national), in the pursuit of that religion called democracy, of freedom supposedly for others, for all, the freedom we all know, the freedom that allows Ishmael Kidder to stand witness with no recourse but to go along with it all, like decent Germans standing by and watching the parade in 1939. Because at whom will he point, if he chooses to point, what will his complaint sound like, as no one is pulling the trigger, no one is swinging the blade, flipping the switch, turning the valve? (Everett 105)

33La mise en italiques de « no one » joue sur l’ambiguïté de l’expression : personne n’appuie sur la gâchette, parce que la responsabilité est multiple et la localisation d’un coupable unique impossible.

Conclusion

34L’imposture, dans The Water Cure, n’est jamais simple ou bivalente : se défausser des responsabilités, tout comme les assumer, ne peut être qu’une affaire collective, et nul ne peut se faire passer pour innocent ou coupable sans être imbriqué de la sorte dans le tissu collectif, qu’il soit littéraire ou politique. Si les limites du langage dans l’expression simple d’un élément donné sont mises en valeur, il s’agit ici plutôt que de renoncer à toute tentative de les multiplier, les diffracter, et espérer que de ces impostures multiples surgisse, en creux, par contraste, et par approches successives, une possibilité d’expression malgré tout. Le fait qu’Everett mette au centre d’un roman fragmenté et complexe un sujet qui, dans le paysage médiatique et les échanges courants sur le sujet, est souvent traité comme simple et évident (« les tueurs d’enfants méritent la peine capitale », l’annihilation de l’innocence absolue entraînant une culpabilité maximale et justifiant ainsi la peine maximale), enracine dans un terreau fertile la remise en question du principe d’identité et réfute les arguments de déresponsabilisation avancés habituellement par un citoyen lambda. Cette diffraction des identités dans une remise en cause des catégories fondatrices de l’expérience de lecture, à commencer par le nom et l’identification, évoque le travail de Derrida dans Glas : Derrida y met en scène la dislocation de l’écriture et la multiplicité instable des ancrages référentiels (de Genet à Hegel, de la nomination à la dispersion sur la page). Les deux colonnes repoussent le cadre habituel de lecture et forcent à une impossible simultanéité, tandis que l’absorption par le texte de son dehors (notes, textes additifs) semble répéter cette dissolution des limites et de l’identification du texte. Shaul Setter, dans son article « Political Glas », met en valeur la dimension politique de Glas grâce à cette poétique de l’insoluble dont l’art permet la performance.

Through the many homologous oppositions created by the two columnsphilosophy vs. literature, dialectic vs. galactic, absolute knowledge vs. proper names, family vs. queer sociality, bourgeois society vs. marginal subculture, Derrida seeks to follow the thread of the remainsle restein both of them: he takes the remains from Genet’s 1967 essay on Rembrandt to articulate anew Hegel’s system starting from its remains: “What always remains irresoluble, impracticable, nonnormal, or nonormalizable is what interests and constraints us here.” (Setter 84-85)

35Glas retravaille à l’échelle d’un texte philosophique dont les différents plans s’entrechoquent et se confrontent l’idée du nom, du nom propre ou du nom commun, et par là même, de l’identité comme cœur du langage. Le titre de Glas évoquait en même temps l’imbrication et la dissociation du signe et du signifié, la mort et le son de cloche qui l’annonce, la disparition et ce qu’il en reste comme son dans le monde. Dans The Water Cure, Ishmael Kidder, celui qui joue et qui trompe, sonne un glas incertain pour W. à qui il refuse la certitude de la mort ou de l’enterrement, de même que l’assignation et la stabilité d’un nom propre, prolongeant ainsi à l’infini un deuil personnel et collectif, celui de Lane, du langage, et de la responsabilité.

Bibliographie

BAUER, Sylvie. “Nouns, names, verbs in The Water Cure by Percival Everett, or, “Can a Scream Be Articulate?” Revue française d’études américaines 128 (2e trimestre 2011) : 99-108.

DECOUT, Maxime. Pouvoirs de l’imposture. Paris : Éditions de Minuit, 2018.

DERRIDA, Jacques. Glas. Paris : Galilée, 1974.

EVERETT, Percival. The Water Cure. Minneapolis : Graywolf Press, 2008.

LAVAL, Martine et EVERETT, Percival. « Percival Everett : « Après huit ans de Bush, n’importe qui aurait élevé le débat politique » » https://www.telerama.fr/livre/percival-everett-apres-huit-ans-de-bush-n-importe-qui-aurait-eleve-le-debat-politique,49130.php (page consultée le 7 mars 2021).

LE COR, Gwen. « “At any rake,” angles of “linguistic condensation” and shock in Percival Everett’s The Water Cure: “All this while we play and pain with a language that is private” ». Lectures du Monde Anglophone / LMA 1, 2015. Publications Electroniques de l’ERIAC, 2015 https://eriac.univ-rouen.fr/at-any-rake-angles-of-linguistic-condensation-and-shock-in-percival-everetts-the-water-cure-all-this-while-we-play-and-pain-with-a-language-tha/ (page consultée le 27 avril 2022).

MASSUMI, Brian. Parables for the Virtual: Movement, Affect, Sensation. Durham: Duke University Press Books, 2002.

RICHARDSON, Michael. Gestures of Testimony: Torture, Trauma and Affect in Literature. New York & London: Bloomsbury, 2016.

SCARRY, Elaine. The Body in Pain: The Making and Unmaking of the World. Oxford: Oxford University Press, 1985.

SETTER, Shaul. “Political “Glas”: Derrida, Genet, and the form of decolonial textuality.” Diacritics 44. 1 (2016): 78-99.

Notes

1 « When expressions of its effects are multiplied, the virtual fleetingly appears. Its fleeting is in the cracks between and the surfaces around the images. (…) The virtual can perhaps best be imaged by superposing these deformational moments of repetition rather than sampling differences in form and content. Think of each image receding into its deformation, as into a vanishing point of its own twisted versioning. That vanishing into self-variety is the fleeting of the virtual » (Massumi 133).

2 Italiques ajoutées.

3 Italiques ajoutées.

4 Italiques ajoutées.

5 Italiques ajoutées.

6 Italiques ajoutées.

7 Italiques ajoutées.

Pour citer ce document

Christelle Centi, «“The words on this page are not the story”: douleur, torture, imposture du langage dans The Water Cure (2007) de Percival Everett», TIES [En ligne], TIES, Troublantes Usurpations, mis à jour le : 23/11/2023, URL : http://revueties.org/document/1282--the-words-on-this-page-are-not-the-story-douleur-torture-imposture-du-langage-dans-the-water-cure-2007-de-percival-everett.

Quelques mots à propos de :  Christelle  Centi

Christelle Centi est docteure en littérature américaine contemporaine et ATER à l’université Rennes 2, auteure d’une thèse sur les romans de Percival Everett, avec des intérêts de recherche portant entre autres sur les interactions entre littérature et culture de l’écran, les réécritures des mythes antiques en littérature américaine, et le genre du true crime.