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Troublantes Usurpations

Delphine Louis-Dimitrov

L’usurpateur et son double : le trouble de la couleur dans The Tragedy of Pudd’nhead Wilson (1893-1894) de Mark Twain

Abstract

Mark Twain’s Tragedy of Pudd’nhead Wilson (1893-1894) denounces the racial laws of the antebellum and post-Reconstruction periods through a usurpation plot in which the identities of master and slave prove interchangeable. Through the reinterpretation of a gothic intertext, the usurpation plot acts as a counter-fiction exposing racial laws and practices as “fictions” while deconstructing the underlying racialist ideology. On a satirical mode, the aristocratic obsession with “blood purity,” origins and genealogical lines serves as an idiom expressing the pseudo-biological rules of “descent” and of the “drop of black blood” – a motif which the text explores by articulating it with traces and fingerprints. The usurpation plot gives way to a naturalist reading of origins which the text subversively converts into gothic terms. The deconstruction of racial laws reaches a climax with the seeming restoration of order, as the court turns into a theater of the absurd where racial, social and legal categories establishing the color line prove to be performative.

Full text

  • 1 L’arrêt ne sera rendu qu’en 1896, mais Sundq...

  • 2 La présence métaphorique de la juridiction r...

1Sur les eaux troubles du Mississippi et sur ses rives prospèrent usurpateurs et autres imposteurs, aux marges d’une Amérique dont les lois voudraient pourtant établir la lisibilité des identités et des origines. Dans l’œuvre de Mark Twain où les jeux de masques viennent troubler les lignes de démarcation sociales et raciales tracées par le droit, les usurpateurs sont légion. Dans The Tragedy of Pudd’nhead Wilson, conte qu’il publie en 1893-1894 après l’avoir séparé de son double farcesque, Those Extraordinary Twins, il met en scène un usurpateur et son double inversé pour démontrer l’absence de fondement des définitions raciales du Sud esclavagiste, contexte de référence du récit, et de l’Amérique des années 1880-1890 (des lois dites de Jim Crow aux débats qui entourent le cas Plessy v. Ferguson)1, que le récit convoque métaphoriquement dans un jeu de superposition des contextes2. Située dans une petite ville du Missouri des années 1830-1850, Dawson’s Landing, au bord du Mississippi, l’intrigue repose sur l’échange au berceau de deux enfants de grande ressemblance, l’un (dénommé Valet de Chambre, alias « Chambers ») fils d’esclave de peau blanche, et l’autre (du nom de Thomas à Becket Driscoll) fils du maître et « aristocrate » issu de la plus haute caste du lieu (« the First Families of Virginia », dites « FFV »), orphelin de mère. La permutation est effectuée par Roxana (dite Roxy), mulâtre de peau blanche, mère du premier et nourrice du second, dans l’espoir d’arracher son fils à son destin d’esclave. Usurpateur malgré lui, hanté par une origine qui lui est révélée deux décennies plus tard, le nouveau Tom Driscoll (ex-Chambers) est aussi un personnage vil et cupide, auteur d’un quasi-parricide lors duquel il imprime son empreinte dans une goutte de sang, tandis que le nouveau Chambers est docile et craintif. L’ordre est finalement rétabli par l’intervention d’un détective amateur venu du Nord, David Wilson, juriste devenu géomètre-arpenteur qui a pour marotte depuis deux décennies le relevé des empreintes digitales, et qui démasque le meurtrier en révélant du même coup ses origines d’esclave. Le déchiffrement des empreintes digitales inspiré du traité de Francis Galton, Finger Prints (1892), tout en permettant la résolution de l’intrigue, aboutit à une dénonciation satirique de la juridiction raciale. Le récit intègre dans sa trame l’hypotexte du drame élisabéthain et du roman gothique anglais pour en proposer une interprétation sudiste autour de l’obsession du « sang pur », de l’origine et des lignées, métaphores des définitions pseudo-biologiques de la race fondées sur l’ascendance lointaine (descent rule) et sur le principe de la « goutte de sang noir » (one-drop rule) qui définissent juridiquement le statut de l’esclave et permettent l’établissement de la ségrégation raciale dans les années 1880-1890. En manifestant la réversibilité du blanc et du noir, du maître et de l’esclave, du juste et de l’injuste, de la fiction et de la réalité établie par le droit, l’intrigue de l’usurpation permet de dénoncer les classifications raciales de l’esclavage et de la ségrégation. La manipulation théâtrale et carnavalesque des identités jette le trouble en brouillant les lignes de démarcation entre ces catégories, en suggérant la dimension performative des définitions de couleur, et en désignant la juridiction raciale comme une construction fictionnelle. Par un renversement ontologique, l’usurpation sert ainsi de révélateur à l’imposture mise en œuvre par les lois et la pratique sociale.

La réinterprétation raciale de l’intertexte anglais : l’obsession du « sang pur », de l’origine et des lignées

  • 3 Sundquist voit dans le terme to outvote une ...

  • 4 La critique des fictions juridiques chez Jer...

2L’intrigue de l’usurpation qui sous-tend Pudd’nhead Wilson fait intervenir le motif du double, motif cher à Twain qui inscrit la gémellité jusque dans son nom de plume. Elle procède de la permutation au berceau de deux enfants de grande ressemblance, nés le même jour et tous deux porteurs des mêmes marqueurs de l’identité blanche, bien que l’un soit désigné comme noir et donc comme esclave : » He had blue eyes and flaxen curls like his white comrade » (13). Comme celle de sa mère Roxana, la prétendue couleur de Chambers vient défier les lois de l’optique pour se définir en fonction de critères juridiques : » [...] Roxy was as white as anybody, but the one sixteenth of her which was black outvoted the other fifteen parts and made her a negro. She was a slave […]. Her child was thirty-one parts white, and he, too, was a slave and, by a fiction of law and custom, a negro. » (13) Tout en renvoyant aux définitions raciales de la période esclavagiste, le passage convoque en filigrane l’idéologie des lois dites de Jim Crow, permettant ainsi la superposition des contextes3. La métaphore juridique (to outvote) ainsi que la quantification de la couleur témoignent de l’infiltration de la loi dans la sphère biologique. Elles expriment en outre l’arbitraire des définitions raciales et réduisent celles-ci à des « fictions juridiques », écho à Jeremy Bentham chez qui la notion de legal fiction désigne une imposture, une non-entité à laquelle le droit confère néanmoins un statut réel4.

3Ce sont ces fictions légales qu’il s’agira dès lors pour le récit de mettre en scène pour mieux les déconstruire. La permutation effectuée par Roxana prend l’allure d’une contre-fiction, fiction que le récit oppose à la première dans un jeu de mise en abîme et de reflets inversés, et qui permet à l’esclave d’agir sur le destin de son fils, d’y apposer son empreinte et, dans les termes de Kara A. Johnson, d’en « réviser » le cours (Johnson 46-47). À l’image d’un deus ex machina, la mulâtre rebelle, bien qu’illettrée, se pose ici en double de l’instance auctoriale et s’arroge une position démiurgique pour subvertir les identités raciales et sociales, faisant de l’esclave un maître et du maître un esclave, et devenant du même coup esclave de son propre fils (« by the fiction created by herself, he was become her master » 24). Non sans ironie et comme pour mieux brouiller le rapport de l’histoire et de la fiction, Roxana convoque en guise de justification un autre conte de Mark Twain, The Prince and the Pauper (1882), dont l’intrigue fait office de précédent historique justifiant la permutation qu’elle opère : « “Tain’t no sin—white folks has done it ! […] Dey’s done it—yes, en dey was de biggest quality in de whole bilin’, too—kings!” » (19). L’échange des vêtements et les jeux de mise en scène (« practising », « her practice », 20) par lesquels s’effectue la subversion théâtrale et carnavalesque des identités raciales confèrent à celles-ci une dimension purement performative qui les réduit à une sémiotique, à un jeu de signes qu’il s’agit donc de savoir manipuler. La permutation brouille la distinction entre le vrai et le faux, entre l’original et sa contrefaçon, si tant est qu’une telle distinction ait encore un sens dans une société où toute identité raciale semble se réduire à l’imitation d’un original qui n’est localisable que dans les constructions idéologiques de la couleur, ainsi que le suggère la boutade que Chambers lance à Roxana : « Bofe of us is imitation white […]—en pow’ful good imitation too—yah-yah-yah !—we don’t ’mount to noth’n’ as imitation niggers […] » (45).

  • 5 L’intrigue de Pudd’nhead Wilson évoque celle...

4L’intrigue du pouvoir et de l’usurpation qui s’ensuit vient s’inscrire dans un intertexte littéraire qui est celui du gothique anglais et, en deçà, du drame élisabéthain où celui-ci plonge ses racines, de ses formes premières aux avatars victoriens du genre5. Le conte de Twain réinterprète cet intertexte pour en faire l’idiome d’une transgression raciale. Désigné d’emblée comme usurpateur—the usurper (21, 22), the false heir (26), the impostor (28)—le nouveau Tom Driscoll s’apparente aux scélérats du gothique anglais. En aristocrate décadent, il prépare ses crimes avec art et se révèle raffiné dans sa cruauté et sa tyrannie mêmes. Nombre de conventions du gothique anglais interviennent par ailleurs dans le fonctionnement de l’intrigue, à commencer par le mouvement d’oscillation qui conduit le personnage de bas en haut, ou de haut en bas de l’échelle sociale, au gré de la découverte de ses véritables origines—procédé qui dans le roman gothique implique déjà un questionnement sur la relation entre l’identité de l’individu et son milieu. De même, le mélange de farce et de tragédie, qui subsiste tout au long du récit en dépit de l’opération par laquelle l’auteur affirme avoir séparé le jumeau farcesque du conte en gestation, rejoint les revendications d’un Walpole qui, dans la préface à la seconde édition de The Castle of Otranto (1764), justifie le mélange des genres par l’exemple de Shakespeare.

  • 6 « She has an easy, independent carriage—when...

  • 7 Déjà présente dans le Vieux Sud, cette idéol...

  • 8 « For North American lawyers there was only ...

5À l’image des sociétés hiérarchisées de l’Ancien Continent où se déploient les fictions du gothique anglais, la communauté de Dawson’s Landing dont le récit présente la « chronique » (5) est une société d’ordres régie par une aristocratie. Celle-ci se présente comme un univers de « castes », terme que le narrateur emploie pour désigner la communauté noire6, d’autant plus ironiquement qu’il renvoie étymologiquement à un principe de pureté (casto) qui sous-tend l’idéologie raciale dont ce récit dresse la satire. La noblesse issue des « FFV » entretient un rapport mimétique avec l’aristocratie anglaise, à laquelle elle emprunte jusqu’à ses patronymes —ainsi de York Leicester Driscoll, Pembroke Howard, Cecil Burleigh Essex, Percy Northumberland Driscoll, ou Thomas à Becket Driscoll. Cette caste décadente dont les lignées se tarissent domine le cercle des Virginiens de vieille souche, qui eux-mêmes règnent sur le reste de la population blanche : » In Missouri a recognised superiority attached to any person who hailed from Old Virginia ; and this superiority was exalted to supremacy when a person of such nativity could also prove descent from the First Families of that great commonwealth » (73). Par un jeu de polysémie, l’obsession aristocratique du « sang pur », de l’origine et des lignées se mue ici en idiome de domination raciale. La domination sociale d’une caste se fait métaphore de l’idéologie de la suprématie raciale (white supremacy) qui nourrit dans le Nouveau Sud la nostalgie de l’esclavage7. Le terme de descent, qui désigne ici les lignées chères à l’aristocratie, renvoie aussi au principe juridique de l’ascendance lointaine (descent rule), principe de classification raciale suivant lequel les individus de « sang mêlé » étaient considérés comme noirs. Comme l’explique Werner Sollors dans Beyond Ethnicity : Consent and Descent in American Culture (37), par le principe de descent, le droit veut imposer un schéma binaire opposant deux catégories, le pur blanc et son contraire, qui est donc noir8. L’aristocratie des « FFV » s’auto-désigne de plus comme « race » et assoit son code d’honneur sur une mythologie du « sang pur » entendu comme principe de noblesse sociale et morale– » it’s the true old blood » (74), « He is of the best blood of the Old Dominion » (75), « that blood of my race » (76)–contrepoint à la « goutte de sang noir » qui définit l’identité de l’esclave suivant les lois de Jim Crow. Par le jeu de glissements symboliques, l’obsession aristocratique de la pureté de l’origine et de la noblesse des lignées se mue en hantise de la « goutte de sang noir » et du « sang mêlé » (miscegenation), dont la lisibilité potentielle met l’usurpateur en péril.

La hantise de la lisibilité de l’origine

  • 9 « This was a two-story log house which had a...

6Si l’usurpation suppose une conscience de l’imposture chez celui à qui elle profite, elle se parachève alors au moment même où tombe l’illusion de l’identité usurpée pour celui-ci. Usurpateur malgré lui, Tom Driscoll prend connaissance de son origine près de deux décennies plus tard, lorsque Roxana, en guise de châtiment pour le mépris qu’il lui témoigne, met fin à l’illusion de sa blancheur dans une maison hantée, et symboliquement située à la lisière du village9. Par une déclaration performative qui voudrait inverser son geste inaugural, elle lui assigne par le verbe une désignation raciale qui ne cesse dès lors de le hanter— » “You’s a nigger !—bawn a nigger en a slave ! —en you’s a nigger en a slave dis minute [...]” » (52). Elle fait ainsi de lui un être scindé, hybride, étranger à lui-même, condamné à habiter les marges.

7La menace d’une lisibilité de l’origine acquiert dès lors une force spectrale qui vient troubler la conscience de l’imposteur en exploitant les ressources d’un gothique intériorisé, veine américaine du gothique dont Leslie Fiedler a souligné la capacité à exprimer les tourments de l’âme aussi bien que de l’histoire » the hidden blackness of the human soul and human society » (Fiedler xxii). Le trouble opéré par ce second renversement carnavalesque qu’est la découverte par l’usurpateur de son origine vient se couler dans le registre du grotesque tel qu’il se constitue au Moyen Âge et à la Renaissance. Semblable à un cataclysme, la révélation met sa conscience sens dessus dessous et l’assimile à un paysage de damnation :

A gigantic irruption […] changes the face of the surrounding landscape beyond recognition, bringing down the high lands, elevating the low […]. The tremendous catastrophe which had befallen Tom had changed his moral landscape in much the same way. Some of his low places he found lifted to ideals, some of his ideals had sunk to the valleys, and lay there with the sackcloth and ashes of pumice-stone and sulphur on their ruined heads. (56)

8La « catastrophe », renversement qui, dans la Poétique d’Aristote définit la tragédie, est ici transposée dans le registre de l’inversion carnavalesque, mouvement intrinsèquement grotesque dont Bakhtine a souligné la corrélation symbolique avec une topographie infernale d’inspiration biblique dont on trouve l’exemple dans l’esthétique de Bosch et de Brueghel (Bakhtine 383-406). Les pluies de cendres et de soufre rappellent ici celles qui s’abattent sur Sodome et Gomorrhe (« fire and brimstone »), ou encore le châtiment des damnés dans l’Apocalypse (19-21), scène de la Révélation par excellence. L’inversion entre le haut et le bas se corrèle au passage du dedans vers le dehors, double mouvement par lequel Bakhtine définit l’esthétique grotesque du carnavalesque (upside down / inside out) et qui renvoie ici à la perception d’une résurgence de la couleur noire.

  • 10 Le narrateur désigne Roxana comme l’héritiè...

9Une fois la révélation effectuée, la supposée « goutte de sang noir » acquiert chez l’usurpateur une présence obsédante. L’expression « the “nigger” in him », dès lors, revient telle une litanie pour désigner une instance servile qui usurpe la capacité d’action du personnage, figure intériorisée du double qui matérialise ici la résurgence d’un déterminisme biologique que le récit met cependant en débat en le confrontant à l’affirmation d’un déterminisme de milieu10. Intégrant les perceptions racialistes de la communauté blanche, Roxana inscrit ce déterminisme dans un grand récit d’envergure mythologique et épique où le retour d’une origine enfouie et latente coexiste avec une logique de dégénérescence, elle aussi issue d’un imaginaire post-darwinien (Beer 2000, 130-134) :

“Whatever has come o’ yo’ Essex blood? [...] En it ain’t on’y jist Essex blood dat’s in you, not by a long sight— ’deed it ain’t! My great-great-great-gran’father en yo’ great-great-great-great-gran’-father was ole Cap’n John Smith, de highest blood dat Ole Virginny ever turned out, en his great-great-gran’mother or somers along back dah, was Pocahontas de Injun queen, en her husbun’ was a nigger king outen Africa—en yit here you is, a slinkin’ outen a duel en disgracin’ our whole line like a ornery low-down hound! Yes, it’s the nigger in you !” (89)

10Par l’évocation de ces lignées, ce sont aussi les lignes des partitions raciales que Roxana semble vouloir tracer, comme pour assigner à la perversion du personnage une origine clairement identifiable et localisée. Partitions que son discours contredit en creux puisque l’expression de la « pureté » du sang, « de highest blood dat Ole Virginny ever turned out » (89), laisse ironiquement transparaître dans ses inflexions dialectales et dans son vocable les effets d’un mélange qui en font tourner ou virer la couleur par la résurgence de l’origine enfouie (« turned out »).

11De cette hantise naît l’idée d’une malédiction originelle de l’esclave, elle aussi issue des discours racialistes : » Why were niggers and whites made ? What crime did the uncreated first nigger commit that the curse of birth was decreed for him? And why is this awful difference made between white and black? » (55-56). On retrouve ici le thème de la malédiction de Cham, épisode biblique qui fut utilisé comme justification de l’esclavage et qui fait du « mélange des sangs » le fruit d’une transgression originelle commise par ses ancêtres : » He presently came to have a hunted sense and a hunted look, and then he fled away to the hill-tops and the solitudes. He said to himself that the curse of Ham was upon him » (57). Mêlée à l’idée du péché originel et à l’image de Caïn, cette thématique se trouve ici transposée dans un idiome gothique d’inspiration calviniste qui confère une force spectrale au motif de la « goutte de sang noir ». Signe de l’emprise de ces perceptions sur l’esclave, Roxana voit dans cette goutte le principe d’une corruption de l’âme: » “Thirty-one parts o’ you is white, en on’y one part nigger, en dat po’ little one part is yo’ soul” » (88); » “Ain’t nigger enough in him to show in his finger-nails [...]—yit dey’s enough to paint his soul” » (89). Wilson de même y voit l’explication du comportement de Roxana (« “The drop of black blood in her is superstitious [...]” », 29). Contrairement à la tache de naissance du conte de Hawthorne, « The Birthmark », ladite « goutte de sang noir » est un signe dépourvu d’évidence, signe dont l’existence procède des seuls discours, apte par conséquent à hanter l’imaginaire collectif, à faire retour partout où la raison se heurte à une quelconque résistance.

12Signe invisible d’une malédiction supposée, la « goutte de sang noir » acquiert, de par son invisibilité même, une dimension fantomatique par laquelle elle ressurgit à maintes reprises dans le récit pour incarner la faute— faute dont le large spectre s’étendrait du péché originel au crime du meurtrier en passant par la transgression de l’usurpateur, qui porterait finalement la culpabilité de sa mère, tout comme Cham qui porta celle de ses ancêtres. La « goutte de sang noir » rejoint dès lors la tache de confiture rouge (« stain » 22) que Roxana applique sur le visage des deux enfants pour mieux masquer la permutation de leur identité. Elle se prolonge dans la trace de sang fatale où Tom laisse son empreinte de meurtrier (« crimson sign » 138) et où transparaît aussi la lettre écarlate de Hester Prynne. Elle ressurgit enfin dans ce grimage paradoxal où se réfugie l’usurpateur, ultime masque qui exhibe la couleur pour mieux la masquer (« “I blacked my face” » 113), écho ironique au blackface. Le spectre du noir, qui suivant la juridiction raciale s’étend jusqu’au blanc voire jusqu’à l’invisible, se mêle inextricablement au spectre rouge du sang et de la faute.

13C’est cette « goutte de sang » toute spectrale qui unit la hantise de la couleur noire (to haunt) à la traque (to hunt), et qui suscite la fuite de l’usurpateur— tel Caïn, l’éternel fugitif —dans un espace sauvage (« the solitudes » 57), comme pour signifier la tentative d’échapper à ce double en lequel s’incarnent la culpabilité et la faute. Fuite vaine, à l’image de celle du narrateur de « William Wilson » (1839) qui tente d’échapper à son double— » From his inscrutable tyranny did I at length flee, panic-stricken, as from a pestilence; and to the very ends of the earth I fled in vain » (Poe 445). Comme plus tard avec Christmas dans Light in August (Faulkner 1932), l’idée du « sang mêlé » identifie le personnage à ces marges qu’habitent les créatures gothiques, et la ligne de couleur invisible qui le scinde intérieurement fait finalement de lui un être de la lisière. Dans le symbolisme qui investit la « goutte de sang noir » se noue déjà l’union étroite de la culpabilité, de l’esclavage et du sang qui hantera l’œuvre de Faulkner. Simulacre de parricide, le meurtre abject que commet Tom contre son oncle et père adoptif se présente, suivant des perceptions raciales qu’intègrent les personnages et que répercute avec ironie l’instance narrative, comme la résurgence d’une faute ancestrale indélébile qui serait inscrite dans le sang, dans la terre et dans l’histoire, faute dont hériterait l’esclave mais que le récit étend au Sud tout entier.

Le déchiffrement des empreintes et la lecture naturaliste de l’origine

  • 11 « Serait unheimlich tout ce qui devrait res...

  • 12 Lettre de Clemens, destinataire non identif...

  • 13 Lettre de Clemens à Gertrude Darrall, 23 fé...

  • 14 Twain reprend notamment la classification d...

14Dans ce conte où prolifèrent les traces, où les surfaces s’apparentent à des pages et où une « goutte de sang » se fait encre, l’imposteur donne à lire tout à la fois son origine et sa faute. Une relation étroite se tisse ainsi entre la trace que l’on porte en soi (la supposée « goutte de sang noir ») et celle que l’on laisse derrière soi (l’empreinte), comme si la seconde pouvait rendre la première lisible. La possibilité du basculement de l’occulte dans le visible unit l’identité cachée de l’usurpateur et le secret du meurtre dans une même horreur que la répétition de awful teinte de surnaturel—terme qui fait écho aux désignations du voile noir du révérend dans le conte de Hawthorne, et à celles du spectre de Hamlet. L’inquiétante étrangeté de cette « goutte de sang » est celle d’une présence spectrale, à la lisière du visible et de l’invisible ; celle aussi qui tient à la mise au jour de ce qui devrait rester caché11. Le lien métaphorique de cette « goutte de sang » et de l’empreinte fait intervenir une perspective naturaliste simultanément galtonienne et darwinienne qui met à mal l’usurpation en introduisant la possibilité d’un déchiffrement de l’origine. Le traité positiviste de Galton, Finger Prints (1892), que Twain découvre peu après sa publication, est un tournant majeur dans la rédaction du récit : » Mr Chatto sent [Finger Prints] to me when I was writing Pudd’nhead Wilson ; & that accident changed the whole plot & plan of my book », écrira-t-il en 189512. Et de réaffirmer sa dette en 1897: » The fingermark system of identification […] has been quite thoroughly & scientifically examined by Mr Galt. [sic], & I kept myself within the bounds of his ascertained facts. »13 Le récit, de fait, reprend de nombreux éléments sémantiques et méthodologiques du traité de Galton14. S’inspirant par exemple de sa vision de l’empreinte comme signature (« […] they are self-signatures » Galton 168), l’exposé du détective présente celle-ci comme l’instrument d’une lecture de l’identité individuelle supposée infaillible: » These marks are his signature, his physiological autograph […], and this autograph cannot be counterfeited, nor can he disguise it or hide it away, nor can it become illegible by the wear and the mutations of time » (136). Loin de s’en tenir cependant aux « faits » établis par Galton, le récit place l’empreinte dans un cadre darwinien permettant à celle-ci de rendre lisible l’origine raciale de l’usurpateur. Lors de l’exposé de sa démarche dans la scène du tribunal à la fin du récit, la désignation des personnages par « A » et « B », empruntée à Galton, peut ainsi faire glisser l’identification effectuée par le détective vers une classification générique (« “A was put into B’s cradle in the nursery ; B was transferred to the kitchen and became a negro and a slave” » 142), glissement que le récit prépare insidieusement sur un mode symbolique, mais qui reste tenu à distance par la satire.

15L’enquête du détective consiste à « examiner et classer » (133) des empreintes en les ordonnant suivant une séquence chronologique et logique qui mêle à l’approche galtonienne une méthodologie darwinienne. Sa démarche suit la logique de la théorie de l’évolution qui inspire nombre d’intrigues de la période victorienne et en particulier celles du roman policier (Beer 1996, 117). Afin d’identifier l’auteur de l’empreinte écarlate laissée sur le manche du couteau, le détective reconstitue des « séries » (131) ordonnées séquentiellement (« he arranged its results according to a plan in which a progressive order and sequence was a principal feature » 133), à l’instar d’un biologiste retraçant rétrospectivement la longue chaîne de l’évolution à partir de spécimens qui en forment les maillons, ce qui lui permet tout à la fois de rétablir l’identité des deux personnages et d’identifier l’auteur du crime. Sa collection d’’empreintes (records) est à son enquête ce que les croquis de pinsons étaient aux recherches de Darwin. Le détective-naturaliste remonte ainsi du crime à son origine, comme le biologiste qui remonte de l’état présent d’une espèce à un état antérieur, ou de l’homme à ses origines simiesques, convergence qui tend à éluder, en apparence du moins, la distinction cruciale entre les deux démarches, à savoir que le détective classe des empreintes d’individus, tandis que Darwin classait des espèces.

  • 15 « It is no accident that the fascination wi...

  • 16 « “Confederate” was the term [Wilson] had lo...

16Dans sa démarche, le détective-naturaliste se heurte par deux fois à un chaînon manquant— motif qui hante les fictions de la période post-darwinienne et dont Gillian Beer a montré qu’il s’incarne dans des figures de monstres potentiellement frauduleuses15. La première lacune de la série tient à une usurpation de genre qui se superpose à l’usurpation initiale. Tom Driscoll s’étant travesti pour accomplir son larcin, le détective se fourvoie, obnubilé par cette inconnue (« the mysterious girl » 125) entre-aperçue au moment du crime, coupable ou complice présumée du meurtrier que le narrateur, disant suivre ici la terminologie utilisée par le détective, associe ironiquement au Sud esclavagiste— » the missing confederate » (125)16 : » Nothing but a girl would do me » (131), « He got out all the finger-prints of girls and women in his collection of “records,” and pored gloomily over them […] trying to convince himself that that troublesome girl’s marks were there somewhere and had been overlooked » (129). Une fois cette lacune comblée, Wilson se trouve confronté au second chaînon manquant, temporellement premier. En reliant les empreintes du présumé coupable à trois moments de son existence, il constate que l’un des éléments de la série ne s’accorde pas avec les autres, conséquence de la permutation des enfants, dont il avait incidemment relevé les empreintes au berceau. Suivant la méthode expérimentale des scientifiques naturalistes, la résolution procède d’une hypothèse ensuite confrontée à l’analyse des empreintes. Ainsi, le chaînon manquant est rétabli lorsque Wilson a l’intuition de replacer dans cette séquence des éléments d’une autre série, celle des empreintes de Chambers— dont le nom évoque non seulement la figure de Cham mais aussi Robert Chambers, théoricien de l’évolution contemporain de Darwin et auteur anonyme de Vestiges of the Natural History of Creation (1844).

  • 17 Galton a tenté en vain de déceler dans les ...

  • 18 « […] Twain goes even further than Galton, s...

17À la reconstitution des séries d’empreintes s’ajoute celle de la chaîne de causalité (« the chain » 134) menant au crime, où là encore le détective doit restaurer des chaînons manquants : » He had made up his mind to try a few hardy guesses, in mapping out his theory of the origin and motive of the murder—guesses designed to fill up gaps in it […] » (134). Par son écho au traité de Darwin, On the Origins of Species (1859), la « théorie des origines du crime » se trouve en apparence mise au service d’une interprétation biologique de la criminalité de l’esclave. Les désignations métaphoriques de l’empreinte (« natal autograph », « natal signature » 137-138) associent de plus l’origine biologique à des notions de perversion morale (« native viciousness », « vicious nature » 26-27) et de perdition (« fatal signature », « the finger-prints that will hang you » 140-142). En décryptant dans les traces du meurtre les signes de l’identité raciale, le détective-naturaliste semble faire aboutir la théorie de Galton, qui aurait voulu déceler dans les empreintes digitales des caractéristiques raciales17. Cependant, l’intrigue semble faire aboutir ce projet seulement pour mieux le mettre en question, en opposant au déterminisme biologique un déterminisme de milieu dont on perçoit l’indice dans cette cicatrice où est entaillée l’empreinte de Roxana—inscription métaphorique de son passé d’esclave (Johnson 41-42). Dans le récit de Twain, ce sont des identités construites par les « fictions » légales et sociales que l’empreinte donne à lire ; comme l’écrit Susan Gillman, « Twain […] out-Galtons Galton » (Gillman 1989, 91)18.

  • 19 Cette dégénérescence s’inscrit dans une pro...

18Loin de s’en tenir aux « faits » établis par Galton, le récit confère de plus à la lecture des séries d’empreintes une dimension gothique. Le chaînon manquant introduit le spectre post-darwinien de la monstruosité dans le récit, comme dans les fictions victoriennes (de Stevenson et de Doyle notamment) où il se confond avec une créature physiquement ou moralement monstrueuse (Beer 1996, 117). L’idée d’une monstruosité à la fois biologique et morale rejoint ici celle de « dégénérescence », réinterprétation raciale de la décadence aristocratique que le détective décèle dans le refus du duel (« “You degenerate remnant of an honourable line !” » 80)19. Dans le discours de Roxana elle coïncide cependant aussi avec la hantise de la résurgence d’une origine restée latente (« it’s de nigger in you ! » 89)—conversion raciale d’une thématique darwinienne : » […] man with all his noble qualities […] still bears in his bodily frame the indelible stamp of his lowly origin » Darwin 405). L’obsession des lignées aristocratiques et raciales (descent rule) se trouve ainsi transposée dans un imaginaire darwinien où l’origine acquiert une dimension potentiellement monstrueuse. On retrouve ici l’idée d’une monstruosité du « mélange des races » miscegenation) qui hante la culture sudiste.

19Le détective, scientifique aux allures de sorcier, est celui qui lit dans le noir, ainsi que Tom Driscoll en a l’intuition: » The man that can track a bird through the air in the dark and find that bird is the man to track me out [...] » (129). Sa démarche obéit à une logique épiphanique qui confère au vocable de l’enquête policière—detection, revelation, disclosure, exposure—le sens fort d’une mise au jour. Cette monstration, désignation comme monstre et révélation de l’imposture, s’inscrit dans une temporalité grotesque où le temps est gros de la révélation à venir. C’est la logique carnavalesque telle que la définit Bakhtine qui préside à l’évolution même du récit, puisque la révélation coïncide avec une (ré)inversion hiérarchique. La particule « out » est d’ailleurs récurrente dans les scènes de déchiffrement des empreintes. L’actualisation du sens (« bring it out » 65) se confond avec le déploiement d’une page pliée (« unfold » 65), reprise du terme par lequel le spectre de Hamlet désigne la révélation du meurtre commis à son encontre (I,V, 6,15). Il y a dans la révélation de l’identité occulte un faire-apparaître où les définitions raciales révèlent leur dimension spectrale, de même que les idéologies. Car celles-ci, souligne Derrida dans Spectres de Marx (202-203), s’incarnent dans un « corps artefactuel » qui correspond à l’objectivation d’une idée, incarnation paradoxalement spectrale qui unit l’invisible au visible.

Le tribunal, théâtre de l’absurde

20La scène du tribunal, qui en apparence rétablit l’ordre subverti, apporte en fait un tour d’écrou supplémentaire à la déconstruction des fictions juridiques. Le tribunal s’apparente à un théâtre de l’absurde, espace de mise en scène du non-sens où les catégories raciales, sociales et juridiques se révèlent n’être que pure performance. Le jugement, accompagné de la projection d’empreintes magnifiées par pantographe, est une mise en scène grandiloquente du droit qui prétend restaurer l’ordre de la communauté pour en fait le nier souterrainement, par une sentence absurde qui cyniquement se présente comme rationnelle. Tout comme dans les scènes d’usurpation et de révélation, les identités raciales et sociales affirmées dans la scène du tribunal se révèlent finalement performatives, objets d’un fait juridique sanctionné par la collectivité. La juridiction et les jeux de masques induits par les dénominations, le grimage et le travestissement se rejoignent dans un même artifice, montrant l’échec du jugement à établir une lisibilité des origines.

21David Wilson, juriste dont les premières pages du récit indiquent incidemment qu’il s’est reconverti en géomètre-arpenteur, trace ici des lignes de démarcation entre le blanc et le noir, les maîtres et les esclaves, l’héritier et l’imposteur, le juste et l’injuste—partitions qui se lisent comme la métaphore de cette ligne de démarcation que voudrait imposer la doctrine ségrégationniste du cas Plessy v. Ferguson, que le narrateur convoque plus tôt par une allusion implicite au principe « separate but equal » : » the ‘‘nigger in him’’ […] was afraid to enter and sit with the dread white folk on equal terms » (56). La rigueur taxinomique avec laquelle Wilson prétend distinguer les catégories du juste et de l’injuste, et celles du blanc et du noir, est contredite par l’absurdité d’un verdict qui, en dépit de sa prétendue rationalité (« Everybody saw that there was reason in this » 144), mêle inextricablement ce qu’il prétend séparer.

  • 20 « [The creditors] rightly claimed that “Tom...

  • 21 L’obsession de la partition des couleurs s’...

22Fondement de l’ordre civique, les notions de culpabilité et d’innocence se trouvent dépouillées de leur sens. L’imposteur (« the false heir » 144), d’abord condamné à l’emprisonnement à vie, est ensuite absout en vertu du sophisme suivant lequel la responsabilité du meurtre incombe non pas à l’assassin mais à une erreur d’inventaire20. En effet, ce dernier n’est que « propriété » et son châtiment léserait donc ceux à qui il revient. Aussi se trouve-t-il finalement vendu comme esclave (« As soon as the Governor understood the case, he pardoned Tom at once, and the creditors sold him down the river » 145)—absolution qui vaut en fait condamnation et qui sanctionne l’identité noire plus que le meurtre commis. En guise de clôture, cette résolution opère un retour au point de départ, puisque c’est la menace d’une telle punition qui avait initialement donné lieu à la permutation des nourrissons. Quant au double inversé de l’usurpateur (« the real heir » 144), que la cour prétend rétablir dans son droit, il est en fait condamné par les déterminismes sociaux à une vie aux marges des communautés blanche et noire— » aristocrate » au parler d’esclave, inapte à vivre parmi les maîtres et intérieurement scindé. La ligne de démarcation imposée par la doctrine ségrégationniste se convertit en partition intérieure pour faire de lui tout à la fois un paria et un hybride. Celui que tous voyaient noir mais qui est en fait plus blanc que blanc (« the pure-white slave » 46) se trouve donc condamné à habiter cet entre-deux des créatures gothiques. Les catégories définies par le droit apparaissent ainsi comme des constructions arbitraires qui masquent la création d’êtres hybrides, figures de l’entre-deux condamnées à habiter cette zone trouble où s’entremêlent le blanc et le noir, le maître et l’esclave, le coupable et l’innocent, soi-même et l’autre, et où se délitent du même coup ces catégories21.

  • 22 Et d’ajouter: » The defect turned out to be...

23Par son incapacité à séparer le juste de l’injuste, le jugement de Puddn’head Wilson annonce celui de Those Extraordinary Twins qui avoue son échec à rendre justice— » We cannot convict both, for only one is guilty. We cannot acquit both, for only one is innocent » (190) —et est finalement suivi d’une décision populaire qui, sous couvert de rationalité, mène à l’issue absurde de la pendaison de l’un des frères siamois. À l’image de ces jumeaux désignés comme monstrueux— » freak(s) » (Extraordinary Twins 150)—la tragédie et son double farcesque se révèlent indissociables, quand bien même l’auteur prétend avoir voulu les séparer : » I pulled one of the stories by the roots, and left the other one—a kind of literary Cæsarean operation » (Extraordinary Twins 150)22. Outre les nombreux autres liens qui les unissent, les deux contes se rejoignent dans une même faillite du droit, « a miscarriage of justice » (Extraordinary Twins 183), faillite à la fois tragique et grotesque qui suggère celle des fictions légales bâties autour de la ligne de couleur et de la supposée « goutte de sang noir ».

  • 23 Il y a ici un point de convergence avec les...

  • 24 Le roman policier implique une dialectique ...

24L’absurdité du jugement désigne l’incapacité de la communauté à contenir la culpabilité dans une incarnation monstrueuse du chaînon manquant23. Réciproquement, la réaffirmation de l’innocence de la collectivité—fonction archétypale du roman policier selon W.H. Auden24 —n’est ici qu’illusoire. L’élection de David Wilson comme maire de la ville coïncide en effet avec la désignation métaphorique d’une culpabilité collective, « It rained all day long, and rained hard, apparently trying its best to wash that soot-blackened town white, but of course not succeeding » (107), contrepoint à l’image, certes ironique, des façades blanchies (« whitewashed » 5) et des eaux claires du fleuve au début du récit (« The hamlet’s front was washed by the clear waters of the great river », 6). La « goutte de sang noir » se mue ainsi en souillure de suie, emblème de la culpabilité indélébile du Sud où transparaît aussi la tache de sang maudite de la main de Lady Macbeth (« Out, damned spot ! […] » Macbeth V,1, 139). Mais le récit livre également les indices de la complicité du Nord, qu’incarne Wilson, Yankee issu de l’État de New York et diplômé d’une faculté de droit de la côte Est. Instrument du rétablissement de l’ordre racial, ce dernier est une figure de l’autorité juridique et politique de ce Nord qui, avec le compromis Hayes-Tilden de 1877, se fait le complice de l’instauration d’un ordre ségrégationniste dans le Sud.

  • 25 Sundquist, qui rapproche cet épisode du ver...

  • 26 « He made fine and accurate reproductions o...

25Bien qu’il réhabilite Wilson, le jugement fait finalement écho à la boutade incomprise qui valut jadis à celui-ci le sobriquet moqueur de « Pudd’nhead », boutade qu’il avait lancée à propos d’un chien « invisible » dont les aboiements troublaient la tranquillité de Dawson’s Landing : « “I wish I owned half of that dog […] because I would kill my half” » (8). En démasquant le coupable, Wilson condamne de fait une moitié (noire) du chien— » I have to begin with you, miserable dog that you are ! » (131)—mais ce faisant condamne également son autre moitié (blanche), ici incarnée par Chambers25. Emblème du cynisme de cette communauté, l’histoire du chien (kunos) en dit aussi la cécité intellectuelle (« […] irony was not for those people ; their mental vision was not focussed for it » 31), dans un conte où la lisibilité des identités raciales— comme celle des empreintes amplifiées (magnified) par le pantographe et retracées à l’encre noire sur fond blanc dans la scène du tribunal26 —se confond avec des jeux de perception.

26Ce que la scène du prétendu rétablissement de l’ordre révèle est finalement cette mauvaise foi qui consiste à présenter l’arbitraire ou l’intérêt particulier comme rationnel et juste : » Everybody saw that there was reason in this. Everybody granted that if “Tom” were white and free it would be unquestionably right to punish him—it would be no loss to anybody; but to shup up a valuable slave for life—that was quite another matter. » (144-145) Mauvaise foi collective que Forrest G. Robinson, dans In Bad Faith. The Dynamics of Deception in Mark Twain’s America, définit comme une culture du mensonge et de la tromperie permettant de faire perdurer les illusions sur lesquelles repose la communauté et d’assurer la stabilité de celle-ci, quand bien même ces illusions contredisent les fondements de la démocratie : « I define bad faith […] as the reciprocal deception of self and other in the denial of departures from public ideals of the true and the just. Bad faith functions to bridge the gap between codes and actual day-to-day behavior. » (Robinson 2) L’intrigue de l’usurpation, dès lors, sert de révélateur à l’imposture sous-jacente à la culture sudiste, si ce n’est à toute une nation.

27Par ses jeux de masques, de mots et de mises en scène, par l’emboîtement de ses reflets et de ses inversions, et par le franchissement constant des lignes de démarcation, l’intrigue de l’usurpation sème le désordre dans une Amérique qui tente d’établir des partitions au sein du corps social et des identités biologiques pour mieux les contrôler. La ligne de partage qui hante l’Amérique de la fin du xixe siècle s’infiltre ici dans un imaginaire gothique qui, bien au-delà d’une simple conversion de l’hypotexte anglais, mêle ses héritages grotesque et calviniste avec des formes post-darwiniennes pour dire le tourment d’une conscience scindée et, au-delà, d’une nation obnubilée par une goutte de couleur qu’elle cherche à circonscrire et à contenir. L’idiome gothique déploie ainsi sa capacité à troubler, déstabiliser et désordonner les représentations collectives. Comme le souligne Teresa Goddu dans Gothic America (10), il offre un contre-discours permettant le retour de ce que les lois, les discours et les idéologies répriment pour assurer l’ordre et la stabilité de l’édifice national. Par sa capacité à interroger les définitions de couleur, le récit rejoint d’autres fictions de la période, à commencer par « Désirée’s Baby » de Kate Chopin, qui paraît également en 1893, tragédie dont l’intrigue joue aussi avec les codes de l’aristocratie sudiste (lignées, origine, nom, vêtements) pour dire l’interchangeabilité du blanc et du noir, la résurgence d’une couleur invisible, et la hantise d’une origine dont la lisibilité est ici matérialisée par la lettre qui apporte la révélation finale. Comme dans Pudd’nhead Wilson, la figure du nouveau-né y met au jour les angoisses latentes de la communauté. Qu’il manifeste l’illisibilité de la couleur en deçà de ses mises en scène sociales, ou au contraire la résurgence supposément monstrueuse d’une couleur enfouie que les catégories sociales et légales ne parviennent pas à contenir, qu’il soit jumeau ou hybride, et finalement blanc ou noir, il cristallise les hantises liées à la ligne de couleur dans l’Amérique du « separate but equal ».

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Notes

1 L’arrêt ne sera rendu qu’en 1896, mais Sundquist souligne qu’il est l’aboutissement d’un contexte juridique très prégnant dans les années qui précèdent, suite au non-respect par Homer Plessy en juin 1892 du règlement en vigueur dans les transports depuis 1890. « […] Homer Plessy’s case had been pending since January of 1893 […]. Plessy brought to a climax the series of Supreme Court decisions, legislative maneuvres, and developments in sociological theory that had already created the atmosphere in which [Twain’s] wrenching text was composed » (Sundquist 47).

2 La présence métaphorique de la juridiction raciale des années 1880 et 1890 dans le récit a fait l’objet de plusieurs études ; voir notamment Gillman 1989, Gillman et Robinson (eds.) 1990.

3 Sundquist voit dans le terme to outvote une allusion aux mesures visant dans les années 1890 à « désaffranchir » (to disfranchise) la population noire et à la priver de toute protection légale (Sundquist 46).

4 La critique des fictions juridiques chez Jeremy Bentham a pour objet le procédé juridique par lequel un élément fictif est supposé vrai pour devenir le fondement d’une action ou d’une construction juridique. Ces fictions constituent à ses yeux des non-entités artificiellement considérées comme vraies, qui s’infiltrent par le biais du droit dans l’appareil public si bien que c’est l’ensemble du corps politique (body politic) qui est contaminé par la fiction. « […] a Fiction of Law may be defined in general as the saying something exists, which does not exist, and acting as if it existed; or vice-versa. » (Ogden xvii)

5 L’intrigue de Pudd’nhead Wilson évoque celle de The Master of Ballantrae (1889) de Stevenson, fiction victorienne d’inspiration gothique où la rivalité entre deux frères fait intervenir une problématique du double et de l’usurpation, et où l’arbitraire se révèle déterminant dans l’établissement des hiérarchies sociales.

6 « She has an easy, independent carriage—when she was among her own caste—and a high and “sassy” way withal; but, of course, she was meek and humble enough where white people were. » (13)

7 Déjà présente dans le Vieux Sud, cette idéologie se renforce à partir de la période de la Reconstruction, dans les milieux esclavagistes du Sud et dans l’arène politique, où elle est défendue par le parti démocrate (Blight 97).

8 « For North American lawyers there was only a pure-white category and its negation—black—which was constituted by the famous “one-drop” rule, even if that one drop had to be traced way back in the descent line. » (Sollors 37)

9 « This was a two-story log house which had acquired the reputation […] of being haunted […]. It stood three hundred yards beyond Pudd’nhead Wilson’s house, with nothing between but vacancy. It was the last house in the town at that end. » (51)

10 Le narrateur désigne Roxana comme l’héritière de deux siècles d’oppression raciale (« the heir of two centuries of unatoned insult and outrage », 49), et explique la propension des esclaves au larcin en termes de circonstances, (« They had an unfair show in the battle of life [...] », 15).

11 « Serait unheimlich tout ce qui devrait rester un secret, dans l’ombre, et qui en est sorti. » (Freud 222)

12 Lettre de Clemens, destinataire non identifié, 25 juin 1895. Archives, Mark Twain Papers, Bancroft Library, UC Berkeley (#04900).

13 Lettre de Clemens à Gertrude Darrall, 23 février 1897. Archives, Mark Twain Papers, Bancroft Library, UC Berkeley (#05179).

14 Twain reprend notamment la classification de Galton (« arches, loops, and whorls », Galton 78) pour décrire les empreintes, ainsi que certaines désignations (« signature », « record »). Sont aussi issues du traité de Galton les notations « A » et « B » pour désigner les personnages que les empreintes permettront d’identifier, ainsi que la méthode consistant à se graisser des doigts en les passant dans ses cheveux puis à les presser sur une vitre pour y imprimer ses empreintes (Galton 30). A propos de l’influence de la lecture de Galton sur ce récit, voir notamment Wigger 518-520 et Rogin 78-80.

15 « It is no accident that the fascination with the missing link and the rise of the detective novel occur in the same historical period. The phrase “the missing link” suggests a heuristic search for a lost link in a chain of reasoning, as much as the search for the evidence of physical remains. It came also rapidly to signify outlandish, even monstrous creatures, as yet undiscovered and, quite probably, fraudulent. The search for the missing link therefore frequently shifts from the interpretation of physical vestiges to the detection of human agents. » (Beer 1996, 117)

16 « “Confederate” was the term [Wilson] had long ago privately accepted for that personnot as being unquestionably the right term, but as being at least possibly the right one […] ». (125) Michel Imbert souligne que la désignation de « confederate », associée au travestissement, assimile Tom à Jefferson Davis, le président des Confédérés, qui avait tenté de s’échapper en revêtant les vêtements de sa femme (Imbert 249).

17 Galton a tenté en vain de déceler dans les empreintes des caractéristiques raciales et des traits de tempérament : » […] a branch of the subject of which I had great expectations, that have been falsified, namely, their use in indicating Race and Temperament. I thought that any hereditary peculiarities would almost of necessity vary in different races, and that so fundamental and enduring a feature as the finger markings must in some way be correlated with temperament. […] It is doubtful at present whether it is worth while to pursue the subject [race] […], for the chance of discovering some characteristic and perhaps a more monkey-like pattern. »; » I was misled at first by some accidental observations, and as it seemed reasonable to expect to find racial differences in finger marks, the inquiries were continued in varied ways until hard fact had made hope no longer justifiable. » (Galton 17-18, 193). Il avait de plus pour ambition d’inscrire son étude des empreintes digitales dans le cadre d’un eugénisme qui est une lecture abusive de la théorie darwinienne (Tort 19).

18 « […] Twain goes even further than Galton, showing that though fingerprints do indeed, establish racial difference, those categories are not biologically fixed but rather culturally defined. »; « […] fingerprints point toward the culture that appropriates nature as the basis of socially constructed identities. » (Gillman 91)

19 Cette dégénérescence s’inscrit dans une problématique scientiste qui tente à la fin du xixe siècle de donner un contenu positiviste à la notion de race (Imbert 246).

20 « [The creditors] rightly claimed that “Tom” was lawfully their property […]; that they had already lost sufficiently in being deprived of his services during that long period […]; that if he had been delivered up to them in the first place, they would have sold him and he could not have murdered Judge Driscoll, therefore it was not he that had really committed the murder, the guilt lay with the erroneous inventory » (144). La question du statut de l’esclave comme « propriété », qui était déjà au cœur du cas Dred Scott v. Sandford (1857), reste une composante centrale des lois ségrégationnistes de Jim Crow et des débats qui entourent le cas Plessy v. Ferguson. Voir Sundquist (111, 114) et Gillman 1990 (89), qui souligne la dimension satirique de la contradiction entre le statut de l’esclave comme propriété (non responsable) et comme sujet (pouvant être jugé).

21 L’obsession de la partition des couleurs s’accroît sous l’effet de l’abolition de l’esclavage (Gillman 1989, 92).

22 Et d’ajouter: » The defect turned out to be the one already spoken of—two stories in one, a farce and a tragedy. So I pulled out the farce and left the tragedy. » (Those Extraordinary Twins, 152)

23 Il y a ici un point de convergence avec les romans policiers de l’époque victorienne, qui révèlent l’impossibilité d’enclore le chaînon manquant dans le passé et déstabilisent les partitions étanches entre l’humain et le monstrueux, et donc entre le bien et le mal (Beer 1996, 119-122).

24 Le roman policier implique une dialectique de l’innocence et de la culpabilité où la transgression par laquelle le crime met à mal l’innocence de la communauté est suivie de la restauration par le détective de cette innocence par la désignation du coupable— ce que Auden appelle la restauration d’un « état de grâce » éthique et esthétique (Auden 262, 266-267).

25 Sundquist, qui rapproche cet épisode du verdict final, y voit une métaphore de l’idéologie de la partition des couleurs dans l’Amérique de la fin du xixe siècle (Sundquist 117).

26 « He made fine and accurate reproductions of a number of his “records,” and then enlarged them on a scale of ten to one with his pantagraph. He did these pantagraph enlargements on sheets of white cardboard, and made each individual line of the bewildering maze of whorls or curves or loops which constituted the “pattern” of a “record” stand out bold and black by reinforcing it with ink. » (132).

References

Delphine Louis-Dimitrov, «L’usurpateur et son double : le trouble de la couleur dans The Tragedy of Pudd’nhead Wilson (1893-1894) de Mark Twain», TIES [En ligne], TIES, Troublantes Usurpations, mis à jour le : 23/11/2023, URL : http://revueties.org/document/1271-l-usurpateur-et-son-double-le-trouble-de-la-couleur-dans-the-tragedy-of-pudd-nhead-wilson-1893-1894-de-mark-twain.

Quelques mots à propos de :  Delphine  Louis-Dimitrov

Delphine Louis-Dimitrov est ancienne élève de l’ENS et maître de conférences en littérature américaine à l’Institut Catholique de Paris. Elle a rédigé une thèse sur l’écriture de l’histoire dans l’œuvre de Mark Twain (Université Paris III – Sorbonne Nouvelle, 2009, à paraître) et poursuit depuis ses recherches sur la littérature américaine du XIXème et de la première moitié du XXème siècle. Ses publications portent sur la façon dont l’écriture reconfigure les domaines de l’histoire et du politique, interroge les représentations de la nation et redéfinit la place de l’individu dans l’espace commun. Elle s’intéresse également aux influences transatlantiques qui interviennent dans ces représentations.