Troublantes Usurpations
Entretien avec Patrick Bonté
Abstract
This text is an interview with Patrick Bonté, cofounder with Nicole Moussoux of the Cie Mossoux-Bonté. The interview was conducted through email from March to April 2021 by Emeline Jouve and Nathalie Vincent-Arnaud, Professors at Université Toulouse-Jean Jaurès. Patrick Bonté retraces the company’s work and, especially, on their show Histoire de l’imposture created in 2013. He lays emphasis on their major influences and on the various figures of ambiguity, tension and dissociation at work in the show, all of which contribute to draw a portrait of the impostor as a man of our time, according to Roland Gori’s definition in his seminal book La Fabrique des imposteurs.
Full text
1Emeline Jouve : Cher Patrick Bonté, nous tenions tout d’abord à vous remercier de nous accorder un entretien en cette période des plus troublées et particulièrement difficile pour le monde de la culture. Vous êtes auteur, metteur en scène, co-fondateur de la Cie Mossoux-Bonté1 et, depuis 2010, vous dirigez les Brigittines, Centre d’Art contemporain du Mouvement de la Ville de Bruxelles2. Comment, en tant qu’artiste et directeur de structure, vivez-vous la situation liée à la crise sanitaire ?
2Patrick Bonté : La situation est dramatique pour beaucoup d’artistes, la précarité s’est accrue et la disparition du lien avec le public est un vecteur de déstabilisation, de non-sens et de désespoir. Et puis la pandémie bouleverse les cartes de vie, elle nous attaque sur le symbolique : la création est le lieu de toutes les audaces et des prises de risque et voilà que sur scène l’on se retrouve bridé avec des choses permises ou non, possibles ou non ! Je l’ai vécu comme une censure intime, un poison insidieux qui s’insinue dans la moelle des os.
3Quant à la fermeture de nos lieux de représentation et à la méfiance ou à l’indifférence des gouvernants vis-à-vis des scènes et des cinémas... Tous les lieux que je connais, a fortiori le nôtre, suivent des protocoles sanitaires extrêmement stricts (masques, gel, distances, ventilation…). Il est invraisemblable qu’ils soient frappés d’interdit et non de nombreux commerces ni certains transports en communs bondés, qui sont infiniment plus sujets à contamination. Bien sûr, nous sommes dans le tout économique… Mais c’est un indice cru de la façon dont nos responsables politiques considèrent l’art et la culture.
4Emeline Jouve : En dépit de l’incertitude ambiante, vous travaillez à un nouveau spectacle ayant pour titre Les Arrière-Mondes. Cette pièce met en scène des « créature ébouriffées […] à face d’ange » qui sont des « rescapés de l’Histoire » ayant « traversé les plaisirs et les jours, mais aussi les chaos, les guerres et les pestes » (Cie. Mossoux-Bonté 2020). Le descriptif en ligne sur votre site fait écho à notre nouveau monde. Est-ce que cette création est née du contexte sanitaire ?
5Patrick Bonté : Elle a été très influencée par ce dernier en tout cas. En avril 2020, alors que le spectacle se préparait de loin en loin depuis juin 2019 et avait déjà connu une dizaine de jours de répétitions, nous avons, comme beaucoup de créateurs, été arrêtés net dans notre élan. Les danseurs étaient dans une constante contiguïté en scène, nous ne pouvions continuer dans cette voie en pleine pandémie.
6Nous avons alors décidé de changer complètement le dispositif scénique afin de mettre les interprètes à distance les uns des autres et en laissant le spectateur faire les liens visuels et gestuels.
7Bien que la problématique du spectacle ait gardé son substrat métaphysique, l’enjeu scénique est devenu totalement différent. Cette orientation inattendue nous a imposé une radicalité à la fois stimulante et très contraignante : les interprètes, n’étant pas en contact physique et s’entrapercevant à peine sur le plateau, il a fallu construire toute la partition du mouvement de l’extérieur pour constituer une structure qui maintienne de bout en bout la tension de la pièce, alors que, d’habitude, c’est l’interaction directe entre les interprètes qui enrichit les improvisations et les matières gestuelles qui serviront, dans l’écriture, à porter le spectacle. Un autre langage s’est imposé alors, une logique d’apparitions et de disparitions, de liens indirects ou induits à distance, de variations et d’associations fantasmatiques.
8Emeline Jouve : Revenons au monde d’avant et tout d’abord à la création de votre compagnie, la Cie Mossoux-Bonté, co-fondée par vous-même et votre complice Nicole Mossoux. Pouvez-vous rapidement revenir sur la genèse de la troupe ?
9Patrick Bonté : Nous nous sommes rencontrés sur un ensemble de désirs et de refus, Nicole vis-à-vis de la danse, moi par rapport au théâtre. Tous deux, nous cherchions à atteindre des zones troubles, à interroger la présence en scène, à s’intéresser à ce qui se passe dans les marges, dans les arrière-pensées, dans les délires intimes. Il nous semblait que nous n’y arriverions pas avec la forme chorégraphique seule ou les seuls moyens de l’expression théâtrale (et certainement pas avec le texte qui propose une interprétation immédiate des actes scéniques). Il fallait chercher notre voie à travers un langage hybride qui emprunte aux deux disciplines.
10Nous avons eu beaucoup de chance de nous croiser et de pouvoir articuler nos différences de façon dynamique. Souvent, j’ai l’impression que les matières abordées et cet entre-deux de langage que nous avons délibérément choisi d’explorer forment un ensemble tellement complexe que nous n’y serions jamais arrivés seuls. Nous avons besoin de nous relancer constamment les questions pour avancer. Et peut-être aussi pour dépasser le caractère déstabilisant d’une création qui est en constant déséquilibre, qui cherche sans arrêt ses points d’ancrage, sa méthode, son sens...
11On pourrait dire aussi que ces spectacles, par leur nature, ne visent pas essentiellement la faculté de compréhension ou la rationalité du spectateur. Ils s’adressent en priorité au souvenir de situations, de traces sensorielles, de figures qui semblent l’habiter depuis toujours sans qu’il en comprenne forcément la nécessité ni la signification.
12Nathalie Vincent-Arnaud : Vos spectacles sont qualifiés de « théâtre-danse ». Lors d’un entretien avec Anne Longuet Marx, vous expliquez que « si le jeu tend vers le mouvement, on parlera plus spécifiquement de ‘théâtre-danse’ ». Vous précisez qu’il « y a d’autres possibles (la musicalité, l’image) qui libèrent de l’imitation ou de la figuration » (Bonté, Mossoux et Longuet Marx 69). Vos créations cherchent donc à s’émanciper de la tradition réaliste. Selon vous, l’imitation est-elle une forme d’usurpation ?
13Patrick Bonté : Je ne serais pas aussi catégorique. L’imitation réserve des surprises quand elle pervertit la réalité en faisant semblant de s’y appliquer. Mais le réalisme m’a toujours paru limité et ennuyeux. Sa prétention à l’objectivité et à parler du monde tel qu’il est me paraît à l’opposé de ce que j’attends de l’art : qu’il crée un univers distinct, même s’il s’appuie, comme sur scène, sur des personnes et des objets réels. Désir que ce monde soit radicalement différent, qu’il ouvre des voies de perception inédites, qu’il crée ses propres règles et sa propre mesure, qu’il s’abreuve à notre singularité la plus étrange, qu’il ne reproduise pas ce que nous connaissons si bien dans notre vie quotidienne, « l’éternel reportage » de nos petites affaires. Alors oui, donner à voir ceci en l’imitant me semblerait usurper la fonction essentielle de la création : l’invention, le partage d’imaginaire.
14Le théâtre-danse, tel que nous le pratiquons, pourrait se définir comme un genre de spectacle qui part d’intentions théâtrales et qui les développe ensuite par le mouvement. L’intention de jeu et le mouvement sont véritablement fondus l’un dans l’autre et donnent naissance à une forme abstraite qui cependant renvoie à des significations très concrètes. C’est cette forme, ce langage qui permettent (à notre sens) d’éviter le mime, l’imitation, l’incitation à reconnaître dans le geste des moules préexistants ou des reproductions psychologisées qui limiteraient son propos et sa liberté d’expression. Le geste doit donc être lisible et concret – et en même temps répondre à un langage abstrait qui lui assure sa cohérence et sa force.
15Nathalie Vincent-Arnaud : Toujours à l’occasion de l’échange avec Longuet Marx, vous expliquez préférer l’expression « théâtre-danse » à « danse-théâtre ». Dans La Danse dans tous ses états, Agnès Izrine écrit : « le mouvement dansé signifie toujours l’aspiration à être ce que nous ne sommes pas » (Izrine 8). Suivant cette idée, la danse, tout comme un théâtre de la figuration, serait-elle pour vous le manifeste par excellence de l’imposture ? Et, c’est en transcendant la danse, en tendant vers du « théâtre-danse » (plutôt que de la « danse-théâtre ») que le vrai, c’est-à-dire une sorte de présence incarnée, émergerait alors ?
16Patrick Bonté : L’objectif serait plutôt de toucher à des états d’être, à des actes qui révéleraient, si peu que ce soit, une personnalité enfouie en soi, je ne dirais pas « vraie » mais « autre » et qui témoigne de l’étrangeté de la présence. Dans notre expérience, ce processus et cette hybridation fusionnelle se sont trouvés (sans qu’on l’ait cherché) au service des explorations de l’intime et des univers du doute et du fantasme. Comme si, pour nous, le théâtre-danse était lié à une certaine nature d’états et de situations qui créent chez l’acteur-danseur une disposition à faire surgir de lui des éléments de l’ordre de l’informulable, de l’indéfinissable, de l’inconscient. C’est la concentration qui permet à l’acteur-danseur de plonger dans ses profondeurs et de nager en eaux troubles. Extrêmement présent à lui-même, il en est aussi absent, toujours ailleurs, immergé dans le monde de la scène comme on dirait « pris dans la couleur du tableau ». Mais il n’est pas enfermé dans une bulle, il interagit sans cesse avec autrui et avec la situation, il est traversé par des forces qui le dépassent, qui nous le rendent proche et, dans le même temps, inaccessible. Ses mouvements répondent à une fabula intérieure, ils sont naturels et transposés, et l’on pourrait voir dans ce mélange de tension dramatique et de mise en avant du langage gestuel, au fond, un théâtre de comportement.
17Quant à la danse… Ce qu’on entend par danse est composé d’écritures et de langages tellement différents, et qui souvent ne cherchent rien d’autre que créer des formes, parfois très complexes. Par contre, le ballet joue constamment avec l’imposture du corps montré dans sa beauté, du corps magnifié, le corps-chromo à qui on attribue parfois en même temps une histoire ou un rôle. Mais ces images kitsch que nous avons tous en tête, la danse contemporaine les a depuis longtemps recyclées et digérées pour en tirer des effets et des formules intéressantes.
18Emeline Jouve : En 2013, vous créez un spectacle autour de l’imposture dont le titre est Histoire de l’imposture qui revient sur la question fondamentale du vrai et du faux.
Tout navigue sous de faux pavillons, disait Kafka, et les « personnages » du spectacle sont les premiers à en témoigner… Et à ironiser sur la parfaite adaptation à l’artifice des postures sociales, des jeux de rôles, des normes conformistes qui nous façonnent et nous coulent dans des personnalités d’emprunt, aujourd’hui peut-être plus que jamais. Le temps ne fait rien à l’affaire et toute l’histoire est recyclable dans notre monde des apparences et des vérités formatées. (Cie Mossoux-Bonté 2013)
19Ce spectacle qui raconte l’histoire de nos sociétés semble aussi être une sorte de « méta-spectacle » réfléchissant votre propre démarche. Est-ce le cas ?
20Patrick Bonté : Oui et non. Sans l’affronter de front, nous avons voyagé depuis longtemps dans cette problématique de la vérité et de ses masques déformés, du semblant et de ses profondeurs. Elle est implicite dans plusieurs de nos précédents spectacles. Des titres en témoignent : Simulation, Rien de réel…
21Ici, le sujet est plus directement avoué, mais il y a un paradoxe : pour parler de l’imposture il nous fallait la mettre à distance afin de la donner à voir et ne pas se mettre en cause soi en tant que danseur ou en tant que personne. Les danseurs sont dans la mise en question de ce qu’ils montrent, ils interpellent le spectateur sur un sujet et le trouble qu’il est susceptible de susciter en lui. Le théâtre n’est pas visé, les relations intimes et sociales le sont et, à travers elles, certainement les conventions psychologiques et naturalistes de la scène. Une mise en abyme aurait flouté les choses.
22Emeline Jouve : Quelles ont été vos sources d’inspiration pour ce travail ?
23Patrick Bonté : Avant tout : notre saisissement devant le triomphe, aujourd’hui, des apparences et du mensonge, le travestissement des valeurs et des idées, les paroles masquant l’inertie des actes… Saisissement également que des individus prennent le rôle et la fonction d’autres personnes en des lieux d’autorité. Et qu’ils sont suivis, comme l’atteste un certain nombre de dirigeants dans le monde ! D’ailleurs, un des éléments déclencheurs lointains a été l’élection, en 2007, de Nicolas Sarkozy : soudain, la fonction présidentielle elle-même se voyait vidée en un clic de son aura et de sa stature.
24Tout au long du processus de travail, nous nous sommes évidemment beaucoup informés sur le sujet : il était important de bien en labourer le champ et d’en connaître la dimension, la nature et les ressources. Nous avons lu avec un intérêt passionné l’ouvrage de Roland Gori, La fabrique des imposteurs, qui dissèque les fonctions de l’imposture à travers les conformismes et les simulacres. Il voit même dans l’imposteur le modèle, la figure anthropologique de l’homme de notre temps. C’était très porteur de s’adosser à ses analyses.
25Nathalie Vincent-Arnaud : Toujours dans votre note d’intention, vous écrivez :
Mais le spectacle évoque aussi le sentiment de ne pas être entier dans ses intentions et ses désirs, de ne pas faire corps avec soi, de se sentir constamment divisé et faisant semblant de vivre, de ne pas être à sa place et finalement d’être un imposteur (Cie. Mossoux-Bonté 2013).
26« Ne pas faire corps avec soi », c’est ce qui se manifeste à travers les figures de dissociation, de fragmentation qui jalonnent votre pièce : la tension permanente entre groupe et individu, mais aussi entre les parties du corps, les situations d’isolement, les rapports incongrus entre costumes et postures, par exemple. Tout cela tend-il plutôt vers l’histoire d’une libération ou d’un emprisonnement ?
27Patrick Bonté : Cette tension a un rapport direct avec le « sentiment d’imposture », que nous avons aussi voulu évoquer dans le spectacle et cette dimension névrotique décrit peut-être le lieu où nous sommes le plus sincères et où les choses nous échappent le plus, et d’où nous ne pouvons nous échapper. Cependant, au fil de l’action, des éclats et des signes court-circuitent le groupe et conduisent progressivement (et physiquement) à la sauvagerie d’une libération.
28Emeline Jouve : Comment avez-vous travaillé avec les artistes au plateau afin qu’ils arrivent à incarner cette désincarnation, en quelque sorte, cette dissociation ?
29Patrick Bonté : Nous commençons toujours un projet en proposant aux danseurs et aux acteurs des situations, des intentions, des problématiques assez concrètes parfois que nous travaillons à travers des improvisations. C’est la base du travail, qui consiste pour les interprètes à devenir poreux, à se laisser traverser par ce qu’ils ne savaient pas qui était en eux. Aller dans l’irrationnel, les comportements déconcertants. Ensuite, nous retenons les matières les plus singulières et les plus « parlantes » et nous les écrivons avec les interprètes pour qu’elles deviennent lisibles pour le spectateur.
30C’est ce que nous avons fait ici. Le sujet était clair mais nous l’avons abordé par des propositions qui se sont transformées à travers l’invention des interprètes. Ensuite, l’écriture fait des choix bien sûr et accentuer tel ou tel caractère, tel mouvement de dissociation ou de contamination. Nous revenons au sujet, d’une certaine manière. Mais en arrivant beaucoup plus loin ou ailleurs que ne le laissait prévoir la proposition de départ.
31Nathalie Vincent-Arnaud : Dans votre définition de la « danse-théâtre », vous évoquez la musique. Dans Histoire de l’imposture, on assiste sur le plan musical à l’émergence de deux éléments contraires mais complémentaires, qui donnent à la pièce son énergie particulière. Le premier est évidemment la logique de la rupture, du collage, du fragment, qui s’accorde aux phénomènes de dissociation observés dans la chorégraphie ; le second est la présence de « boucles » électroniques sans cesse répétées. Quels effets avez-vous voulu produire avec ce contraste ?
32Patrick Bonté : La fragmentation du son, ses bouffées explosives et soudain rompues correspondent, dans la toute première partie du spectacle, au bombardement des injonctions sociales, des comportements stéréotypés et des rôles de tous ordres à quoi répondent sur-le-champ les « figures-personnages ». La musique ensuite se diversifie beaucoup tout en suivant certaines obsessions répétitives. Elle est dans le ludique et le décalage.
33Nathalie Vincent-Arnaud : Toujours à propos de la musique, Thomas Turine a été décrit comme un « sculpteur de son » pour rendre compte de son travail en collaboration avec des chorégraphes (Psarolis). Comment est pensée cette « sculpture » du son en rapport avec cet autre matériau qu’est le corps ?
34Patrick Bonté : L’enjeu est de créer une interaction, un dialogue entre la musique et les danseurs. Thomas est en direct avec eux, le canevas musical est toujours le même mais il suit les fluctuations des actions, des mouvements et des scènes. Le tout est de garder la relation vivante, d’être comme dans l’impromptu d’une musique bien qu’elle soit très écrite. Comme si nous avions à redécouvrir dans l’instant les choses, à tous égards.
35Nathalie Vincent-Arnaud : Outre la référence évidente aux derviches tourneurs et à la transe (le tout étant accompagné par le succédané de musique orientale), on perçoit aussi l’influence du voguing (qui devient ici parodié) en raison de certaines postures, des bruits de déclic photographique qui occupent à certains moments tout l’espace sonore, mais aussi peut-être de May B de Maguy Marin en raison des trajectoires erratiques, des contrastes entre unité et scission, des regards. Que pouvez-vous en dire, et comment cela cadre-t-il avec votre propos ?
36Patrick Bonté : J’aime beaucoup Maguy Marin, que je considère comme une très grande artiste. Mais les trajectoires erratiques et les regards que vous évoquez viennent uniquement des improvisations des danseurs et des motivations de jeu propres à la problématique du spectacle.
37La composante théâtrale est présente chez Maguy Marin comme chez nous, mais elle revêt un sens et une fonction bien différents. On pourrait imaginer que, dans notre travail, les rapprochements ne sont pas tellement à faire avec d’autres chorégraphes (les démarches sont souvent tellement distinctes et précises) mais bien avec des plasticiens ou des écrivains comme Michaux, Bellmer, Marlène Dumas, les peintres maniéristes ou Lynch, par exemple.
38Emeline Jouve : La référence aux derviches tourneurs renvoie à la transe. Est-ce à cette énergie expiatrice que vous faites référence à la fin de votre « journal de création » inclus dans le magnifique dossier de présentation du spectacle Retours sur l’imposture ? Vous écriviez que les « figures » (plutôt que les « personnages ») qui peuplent la pièce « ne sortent pas de la question du semblant » : « Que faire ? » vous interrogez-vous avant de répondre : « peut-être se laisser posséder et emporter par la sauvagerie d’une énergie qui libère de ce qui n’est qu’une comédie humaine – et qui les déborde : hors d’eux, de leurs doutes et de leurs petites impostures sans histoire… » (Cie. Mossoux-Bonté 2015, 19). Est-ce une manière de dire, in fine, que l’art est cathartique ? L’énergie incarnée sur scène agirait-elle comme un révélateur libérateur pour le public ?
39Patrick Bonté : Pour le public, nous l’espérons bien sûr ! Pour ces « figures » que l’on voit sur scène empêtrées dans leurs ambiguïtés, c’est une évidence. Elles n’ont que cette solution-là : laisser leur corps se débrider pour échapper aux incertitudes et aux tourments. Ce n’est pas très original. Nous n’avons pas pu aller plus loin, peut-être parce que nous avons aussi en nous ce trouble qui entretient le plus grand doute sur sa cohérence et son unité. Et qui ne prétend pas à la certitude ni à s’illusionner en rien, finalement. La catharsis viendrait pour nous par l’humour, l’énergie, et le mystère qui les noue.
Bibliographie
BONTÉ, Patrick, MOSSOUX, Nicole et Anne LONGUET MARX. L’Actuel et le singulier. Entretiens sur le théâtre et la danse. Manage : Lansman, 2006.
Cie Mossoux-Bonté. « Les arrières-mondes » (spectacle), 2020 http://mossoux-bonte.be/fr/spectacles/52_les-arriere-mondes (page consultée le 15 octobre 2020).
Cie Mossoux-Bonté. « Histoire de l’imposture » (spectacle), 2013 https://www.mossoux-bonte.be/fr/productions/17_histoire-de-l-imposture#view (page consultée le 15 octobre 2020).
Cie Mossoux-Bonté. Retours sur une impostures, Bruxelles : Editions Vice-Versa, 2015.
IZRINE, Agnès. La Danse dans tous ses états. Paris : L’Arche, 2002.
PSAROLIS, Alexia. « Entretien avec Thomas Turine, sculpteur de son ». Revue.be, 2019, https://www.revues.be/nouvelles-de-danse/304-ndd-74/784-entretien-avec-thomas-turine-sculpteur-de-son (page consultée le 8 juillet 2021).
Notes
1 http://mossoux-bonte.be/ (page consultée le 15 octobre 2020)
2 http://www.brigittines.be/fr/ (page consultée le 15 octobre 2020)
References
Quelques mots à propos de : Patrick Bonté
Patrick Bonté a écrit pour le théâtre, la radio et le cinéma. Il a réalisé de nombreuses mises en scène à Bruxelles, Anvers et au Québec. Sa découverte du travail de Tadeusz Kantor et de Jerzy Grotowski l’orientent vers des pratiques plus gestuelles et une recherche scénique qui place le corps, la présence et l’image au centre de la dramaturgie. Il rencontre la chorégraphe et danseuse Nicole Mossoux en 1985 et crée avec elle plus d’une trentaine de spectacles et de films. Ensemble, inlassablement, ils recherchent des formes nouvelles, que l’étroite collaboration artistique qu’ils ont avec leurs équipes. Leurs spectacles ont été vus sur les cinq continents.
Patrick Bonté est aussi directeur des Brigittines, Centre d’Art contemporain du Mouvement de la Ville de Bruxelles.