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Car poétique rime avec musique

Résumé

Musicologue et compositeur amateur des plus éclairés, le linguiste et poète américain Ezra Pound (1885-1972) a défini les liens dynamiques entre les caractères rythmiques et prosodiques de l’occitan médiéval et la musique des troubadours qui l’ont diffusée. Mettant en avant la pureté originelle d’une lignée poétique qui s’étendrait de Sappho à François Villon, Pound a également incité les jeunes poètes de son temps à écrire des poèmes « comme pour être chantés ». Après avoir été critique musical à Londres, où il s’est rapproché du groupe de Bloomsbury et pris de passion pour les recherches d’Arnold Dolmetsch autour de la musique ancienne, il voyage à Paris et met en musique Le Testament de Villon avec le concours du pianiste et compositeur américain George Antheil (1900-1959). Dans Treatise on Harmony (1924), il tente de définir la dimension dynamique de l’harmonie en illustrant ses incidences au plan rythmique. La réflexion politique et idéologique qui sous-tend la plupart des travaux de Pound constitue la toile de fond de nombre de ses Cantos, vaste cycle qui apparaît comme le miroir scriptural du devenir funeste de l’humanité, ainsi que du rôle de révélateur joué par la musique dans un parcours chaotique et controversé.

Abstract

As a high-ranking amateur composer and musicologist, American linguist and poet Ezra Pound (1885-1972) highlighted some dynamic links between rhythmic / prosodic hallmarks in medieval Occitan language (or Langue d’Oc), and the music of the troubadours by whom it was circulated through Western Europe. Pointing out the original purity of an ideal poetic tradition from Sappho to François Villon, he would encourage young poets of his time to write poems “as if to be sung.” After working as a music critic in London where he was drawn to the Bloomsbury group, he was also captivated by Arnold Dolmetsch’s research on early music, he then travelled to Paris where he made an opera out of Villon’s Testament with the participation of American pianist and composer George Antheil (1900-1959). In his 1924 Treatise on Harmony, he defined a dynamic dimension of harmony by highlighting its rhythmical repercussions. The political and ideological reflection underpinning most of Pound’s literary work serves as a backdrop to many of his Cantos, a vast poetic cycle mirroring the gruesome destiny of mankind as well as the significant role of music at large in his chaotic and controversial experience.

Texte intégral

1Si un certain nombre de grandes figures de la littérature occidentale ont brillé par leur implication active dans la vie musicale de leur temps, bien plus rares sont celles dont le talent de compositeur fut retenu par la postérité au même titre que leur œuvre musicale. Après Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), dont la musique ne fit jamais la plus petite ombre à celle de Rameau, qu’elle prétendait pourtant battre en brèche ; après Friedrich Nietzsche (1844-1900) et ses Lieder, Mélodrames et Méditations pour piano, dont l’esthétique ne s’embarrasse pas des contingences du wagnérisme, après l’unique et très scriabinienne Sonate pour piano de Boris Pasternak (1890-1960), on ne peut considérer utilement le parcours chaotique et controversé du poète américain Ezra Pound (1885-1972), véritable paria des lettres modernes, sans rappeler le rôle primordial et fondateur qu’y joua la musique, principalement entre 1920 et 1935.

  • 1 Antheil and the Treatise on Harmony a été to...

2L’amateur particulièrement éclairé qu’était Pound s’est formé à l’écoute de son père violoniste et de sa mère, pianiste et organiste. Alors qu’il étudiait les langues occitanes à l’University of Pennsylvania, il s’est lié d’une amitié durable avec son compatriote, le poète William Carlos Williams (1883-1963), qui venait régulièrement jouer du violon avec sa mère. C’est à travers l’étude approfondie de l’occitan que Pound prit conscience que les caractères prosodiques et rythmiques de cette langue méridionale ancienne étaient intrinsèquement liés à la musique des troubadours qui l’avaient chantée et diffusée aux XIIe et XIIIe siècles. Dans Antheil and the Treatise on Harmony, ouvrage paru en 19241, Pound rappelle à point nommé que :

  • 2 Les passages cités de Antheil And The Treati...

la musique et la poésie avaient partie liée au XIIe siècle, que le divorce entre les deux n’avait profité ni à l’une, ni à l’autre, et que l’invention mélodique a décliné simultanément et progressivement au fil de leur divergence. Les rythmes poétiques s’y sont abêtis, affectant, ou infectant, à leur tour, les musiciens qui mettaient des poèmes en musique (Pound 2015, 42)2

3L’éloignement fondamental des langues occitanes par rapport à l’anglais de ses pères ne pouvait manquer de séduire le jeune homme, curieux de tout jusqu’à l’excentricité. C’est du reste pour tenter de retrouver par lui-même les qualités spécifiques des langues vernaculaires qu’il délaissa finalement la recherche appliquée pour se faire poète, et publia A lume spento, son premier recueil, à Venise, en 1908. Le titre de son plus fameux cycle, composé de 1915 à 1962, The Cantos, l’un des manifestes poétiques les plus commentés et les plus influents du XXe siècle, n’évoque-t-il pas – tout en proposant une juxtaposition linguistique digne du polyglotte qu’était Pound – ce tout premier réflexe musical qu’est le chant ? Et Pound ne reprenait-il pas à son compte la définition que donnait Dante de la poésie, à savoir une composition de mots mis en musique ? (Murray Schafer 42)

La musique du texte

  • 3 « The inventors, discoverers of a particular...

4Chez les poètes anciens, « inventeurs, découvreurs d’un processus linguistique particulier », Pound reconnaît avant tout l’énergie nouvelle, la nouvelle pulsation dans l’expression d’une langue natale (Pound 1968, 23)3. À travers la musique, Pound cherche en effet à remonter une lignée poétique qui s’étendrait de Sappho (VIIe siècle av. JC) à Villon (1431-ap.1463) et se singulariserait comme étant la dernière à pouvoir revendiquer une forme de pureté originelle, avant la longue migration septentrionale que les influences méditerranéennes devaient entreprendre en direction des langues saxonnes.

  • 4 « The grand bogies for young men who want re...

  • 5 « Rhythm is the hardest quality of a man’s s...

5Ayant traduit en anglais des poèmes provenant d’une dizaine de langues dont le Chinois, Pound estimait également que la traduction ne servait pas toujours l’art poétique. « Les seuls passages obligés, pour tous ceux qui veulent vraiment apprendre l’écriture strophique, sont Catulle et Villon. En ce qui me concerne, si j’en suis venu à les mettre en musique, c’est que je me suis trouvé incapable de les traduire » (Pound 1960, 104-105)4. Cette renonciation à trahir en traduisant se retrouve en creux dans le rappel qu’il faisait implicitement aux traducteurs : « Le rythme propre à chaque style poétique est ce qu’il y a de plus difficile à contrefaire [counterfeit] par la traduction » (Pound 1910, 89)5.

  • 6 « Beyond which we will never recover the art...

  • 7 Dans le célèbre essai « A Retrospect », Poun...

6Pound a régulièrement incité les poètes de son temps à versifier comme s’ils s’adressaient à des chanteurs, à écrire « pour être chanté (…), à accorder une grande attention aux séquences – ou gammes – vocaliques » (Pound 1960, 206)6 et à « composer chaque vers à la manière d’une phrase musicale » (Pound 1968, 3)7 tout en les mettant en garde contre une mise en musique à proprement parler. On ne peut omettre de rapprocher cette posture créatrice, sorte de mi-partie entre verbe et musique dans laquelle la profération mélodique accentuée – voire mélodramatique – jouerait un rôle-clé, de celle défendue au XVIIe siècle par un Marin Mersenne à propos du récitatif lulliste qu’il qualifie très justement d’« orateur harmonique » (Haskell 2013, 337).

7On voit clairement l’importance quasi paradoxale des motifs purement littéraires (analyse poétique, préservation d’un héritage ancien, popularisation par la profération : le but ultime de toute recherche, selon lui) qui ont attiré Pound vers la musique à un niveau inédit dans l’histoire des lettres modernes. De son propre aveu, pourtant, et selon les souvenirs de William Carlos Williams ou de W.B. Yeats, une véritable carrière de musicien interprète n’aurait pas été à la portée de Pound. En effet, une certaine incapacité à maitriser la conduite mélodique faisait de lui, comme le formula ironiquement son ami George Antheil, jamais à court de provocations ou de paradoxes, « le compositeur idéal ». C’est probablement ce qui incita le poète à venir à la musique par le biais de la transcription de chansons médiévales, discipline dont il s’était fait une spécialité à l’occasion de son premier voyage d’étude en Europe, à l’été 1906. Le Canto XX relate, non sans autodérision, la visite qu’il rendit cette année-là à un expert allemand de la langue provençale à qui il fut incapable de restituer vocalement les deux chansons du troubadour périgourdin Arnaut Daniel (1150-1210), qu’il venait de copier à la Biblioteca Ambrosiana de Milan (Fischer 2010, 300).

8La musique dont il ne pouvait chanter motz el sons, Pound allait l’écrire et contribuer à sa diffusion au siècle de l’enregistrement sonore. Versé dans l’étude approfondie des neumes médiévaux et des théories musicales de la Renaissance, il se fit conseiller linguistique de plusieurs éditions modernes de chants de troubadours, avant de traduire les travaux de Boris de Schloezer sur Stravinsky, le compositeur contemporain – avec George Antheil –, dont il se sentait le plus proche. Après avoir assisté à la quasi intégralité de la saison lyrique 1916 de Covent Garden, l’opéra londonien, il se fit critique musical pour l’hebdomadaire The New Age, puis correspondant du périodique communiste américain New Masses, prêtant une oreille éclairée à toute manifestation musicale propre à ouvrir de nouvelles possibilités à la relation inépuisable entre verbe et musique. Désormais connu pour ses allures bohèmes et ses manières excentriques, le poète expatrié fréquentait assidûment les cercles progressistes les plus en vue de la capitale britannique, à la recherche de soirées musicales axées sur la redécouverte des répertoires anciens. C’est en de telles circonstances qu’il fit la connaissance, pour lui déterminante, d’Arnold Dolmetsch.

Ezra Pound et la musique ancienne vue par l’avant-garde londonienne

  • 8 Pound écrit : « Few contemporary composers h...

  • 9 « his appearance made him look more pre-Raph...

  • 10 La présence au sein du groupe de l’économis...

  • 11 « Dolmetsch strikes at the root of the trou...

9« Peu de compositeurs contemporains ont fait plus que Dolmetsch pour la musique d’aujourd’hui », écrit Pound en 1917 (Murray Schafer, 46)8 dans un élan critique qui vise clairement à faire de la redécouverte de la musique et de la facture instrumentale anciennes des vecteurs de la modernité musicale. Dans la personne atypique et excentrique du musicologue, collectionneur et luthier franco-helvétique Arnold Dolmetsch (1858-1940), c’est de toute évidence l’esprit encyclopédique, la capacité à épuiser un sujet d’étude pour en illustrer la permanence et l’inscrire dans la postérité face à l’emballement du progrès perpétuel, qui suscite l’admiration de Pound. Que l’excentrique Dolmetsch, qui « ressemblait plus aux [peintres] préraphaélites que les préraphaélites eux-mêmes » (Campbell 1975, 41)9, soit devenu l’une des tocades du cercle dit ‘de Bloomsbury’ (lequel regroupait des figures aussi considérables que les écrivains Vita Sackville-West, Virginia Woolf, E.M. Forster, ou l’essayiste Litton Strachey) devait sembler révélateur des ambitions de l’homme et de ses pareils : parvenir à l’en-avant par une manière de renaissance et par la restauration sélective d’options artistiques et esthétiques héritées des siècles précédents10. Les implications sociétales de la démarche de Dolmetsch séduisent beaucoup Pound – d’autant plus qu’elle est alors minoritaire – et pour cette raison même, excentrique. Cette démarche visait à prendre le contrepied de l’attitude dominante vis-à-vis de la musique des XVIIe et XVIIIe siècles, jugée inintéressante parce que passée de mode, et consistait à lui appliquer les méthodes et le style interprétatif disproportionnés utilisés pour le répertoire « digne d’intérêt », qui allait, dans les grandes lignes, de 1780 à 1914, soit de Mozart aux contemporains, tels Elgar ou Mahler. Pour ces milieux dominants, la musique commençait avec Bach ; pour Dolmetsch, c’est avec Bach qu’elle finissait. Aux yeux de Pound, un tel irrédentisme - doublé d’une passion pour un héritage injustement négligé au prétexte qu’il ne rentre pas dans les grilles de lecture du « progrès » tel qu’on le concevait alors - avait valeur de garantie. « Dolmetsch, [poursuit Pound], prend le mal par la racine en démontrant que la musique a été écrite, de plus en plus, pour des esprits imbéciles ; comment la notation musicale, ou plutôt les copistes, ont-ils progressivement cessé de s’en remettre à l’intelligence et à la perspicacité des interprètes » (Murray Schafer, 47)11 en multipliant, sur les partitions modernes, les consignes et indications d’interprétation qui, au cours des siècles précédents, allaient d’elles-mêmes et n’avaient nullement besoin d’être précisées noir sur blanc, entérinant par là une déperdition progressive des traditions stylistiques et des règles non-écrites de l’interprétation. « Sic transit gloria mundi », semble regretter Pound à l’unisson de Dolmetsch. Ce compagnonnage quasi idéologique avec le chantre de la musique ancienne confortera Pound dans sa passion pour la chanson médiévale et l’art des troubadours.

10L’autre versant temporel du dégoût manifeste de Pound pour le présent est évidemment sa passion pour l’avant-garde. À ses yeux, seuls le passé et l’avenir trouvent grâce, telles les deux figures de proue habilement jumelées d’une modernité ayant pour vocation d’encadrer un présent jugé par trop tyrannique. À ce titre, l’apparition, fût-elle furtive, du nom de Dolmetsch dans un ouvrage aussi déterminant pour l’avant-garde qu’Ulysses de James Joyce, avait une valeur symbolique évidente, et Pound lui fit écho en le citant à son tour dans ses Cantos « Pisans » LXXX, LXXXI et XCIX.

  • 12 «Poetry must be read as music and not as or...

11A l’image de W.B. Yeats, dont il partageait largement les vues, Pound trouvait dans le regard que Dolmetsch portait sur la musique un écho à ses propres théories poétiques. Dans Vers libre and Arnold Dolmetsch, un essai paru en 1917, il écrit en particulier que « la poésie doit être lue comme de la musique, et non comme un exercice oratoire » (Murray Schafer, 42)12. Les mots ne viennent au secours de l’invention thématique que dans la mesure où les musiciens sont sensibles aux nuances des différentes quantités verbales. Le charme d’un Mozart semble tenir en une rare combinaison de notes qui, au-delà de leur structure et de leur ligne musicale, suggèrent un pas de danse et un langage parlé.

12Pound se passionna également pour une étude que Dolmetsch avait consacrée à la question du tempo et du rythme de la musique ancienne, y trouvant, là encore, un écho transposé de ses propres préoccupations prosodiques. Longtemps, Dolmetsch inspirera à Ezra Pound des visions saisissantes, quasi surréalistes, bien que teintées de nostalgie :

  • 13 « ‘I have seen the God Pan.’ ‘Nonsense.’ I ...

- J’ai vu le dieu Pan. - Balivernes ! – J’ai vu le dieu Pan et c’était de cette manière : j’ai entendu une musique bouleversante et pénétrante qui, à l’intérieur d’elle-même, allait de précision en précision. Puis j’ai entendu une autre musique, creuse et hilare. Je levai alors la tête et vis deux yeux comme ceux d’une créature des bois, me regardant par-dessus un tube de bois brun. Puis quelqu’un a dit : « Oui : une fois, j’étais dans les bois, jouant du violon, puis me suis cogné contre un nid de guêpes. [. . .] Lorsqu’un homme est capable, par une succession de notes ou un agencement de plans ou de couleurs, de nous renvoyer à l’ère de la vérité, quelques rares parmi nous […] honorent le charme qui a agi, la sorcellerie, l’artifice ou quelque nom qu’on lui veuille donner. Aussi, dis-je et je n’en démords pas, que j’ai vu et entendu le dieu Pan. Très peu de temps après, j’ai vu et entendu M. Dolmetsch » (Pound 1915)13.

13Si Pound connut sa véritable éclosion musicale au cours les années de guerre passées à Londres, c’est dans l’insouciance de l’après-guerre parisien qu’il franchit une nouvelle étape. La Ville lumière s’était donnée tout entière à l’esthétique roborative et rassurante d’Erik Satie et du groupe des Six, fortement marquée par le jazz, mais également à celle, plus directement moderniste, de Stravinsky et de Bartók. Le poète partageait l’attrait de ces artistes pour les formes et les sonorités franches, épurées, volontiers futuristes, gorgées de jeunesse et d’esprit d’avant-garde, et y trouvait le reflet contemporain de son propre intérêt pour l’art poétique médiéval, idéalement incarné selon lui par les troubadours du sud de la France. C’est précisément cet art courtois, ce « parler ancien », et la musique monodique qui lui est consubstantielle, dont on réalisait alors l’existence, de même que celui de Pérotin, Clément Janequin, Carlo Gesualdo. Ou, bientôt, celui du Vénitien Antonio Vivaldi, le « prêtre roux », dont Pound serait l’un des principaux vecteurs, notamment par le biais des nombreux concerts qu’il organiserait dans la cité ligurienne de Rapallo, dès la fin des années 1920. En mettant en musique des poètes tels que François Villon (dès 1923) ou Guido Cavalcanti (dix ans plus tard), et en faisant de sa propre poésie le réceptacle de sa passion pour la musique et la poétique médiévales, Pound ne faisait qu’anticiper de deux ou trois décennies leur redécouverte par le grand public, après 1945.

  • 14 Sous le pseudonyme de William Atheling.

14On a vu quelle part d’impuissance strictement musicale a paradoxalement conduit Ezra Pound à une relation épique à la musique, à l’image de toute sa vie. Et c’est l’auto-épitaphe (marquée par une allusion désabusée à Villon) au roman Mauberley, écrite en 1920 à la veille de quitter Londres pour Paris, qui lui sert en quelque sorte de rite de passage scriptural, de la position de critique musical londonien14 à celle de compositeur parisien :

E.P. Ode pour l’élection de son sépulchre (sic)

Trois années durant, déphasé de son temps,
Il s’acharna à faire revivre l’art défunt
De la poésie ; à maintenir « du sublime »
Le sens ancien. Erreur dès le début –
[…]
Flaubert étant sa vraie Pénélope,
Il pêcha auprès des îles obstinées ;
Observa de Circé l’élégante chevelure
Plus que les devises des cadrans solaires.

  • 15 Sauf indication contraire, les traductions ...

Insensible à « la marche des événements »,
Il quitta la mémoire des hommes en l’an trentiesme
De son eage ; sa démarche n’ajoute
Nulle perle au diadème des Muses. (Pound 1920, 9)15

  • 16 Thomas Campion (1567-1620) poète, médecin e...

15Si, en « l’an trentiesme de son eage », l’heure a sonné pour Pound d’un premier testament, il lui apparaît clairement qu’il lui faudra le chanter. Le compositeur américain Virgil Thomson, critique avisé et parisien d’adoption, ne s’y trompera pas, qui, en 1926, après la première représentation du Testament, l’opéra d’Ezra Pound d’après François Villon, résume d’une simple phrase tout le paradoxe du poète-musicien : « La musique, certes, n’était pas celle d’un musicien. Il pourrait pourtant s’agir de la meilleure musique de poète depuis celle de Thomas Campion » (Murray Schafer, 312)16.

George Antheil, bad boy du piano

16À la fin de 1923, Pound pria le pianiste-compositeur George Antheil (1900-1959) d’adapter les innombrables subdivisions rythmiques du Testament en notation fractionnelle, ce qui donna, sur la partition éditée, des mètres allant d’un simple 1/8 à l’inextricable 25/32, mais devait permettre, en théorie, toutes les durées syllabiques et vocaliques envisagées dans la mise en musique des vers de Villon. Antheil, qui venait de faire sensation à Paris par quelques concerts à scandale en tant que virtuose-compositeur, devenait du jour au lendemain l’une des valeurs montantes des milieux d’avant-garde. Comme pour défier Stravinsky sur son terrain, celui du rythme, le ‘bad boy’ du piano n’aura aucune difficulté à imposer les outrances mécanistes et futuristes de sa Sonate « Airplane », de sa Sonate sauvage, ou de ses étonnants Mechanisms, pour ne rien dire de son bruitiste Ballet mécanique, aussitôt encensés par Erik Satie, Marcel Duchamp, Jean Cocteau et toute la planète Dada. Le 11 décembre 1923, il créait deux nouvelles sonates en duo, commandées par le poète pour le violon virtuose d’Olga Rudge, muse et maitresse de toute une vie. Ce soir-là, dans la salle de l’ancien Conservatoire, le tourneur de pages s’appelait Ezra Pound.

17Dans son préambule à la partition du Testament, revue par ses soins, Antheil ne pourrait éviter, tant par amitié envers son bienfaiteur que par provocation envers d’hypothétiques interprètes, d’enfoncer le clou de l’intransigeance dont il se faisait le relais :

  • 17 « As the opera is written in such a manner ...

L’ouvrage étant écrit d’une manière qui ne laisse aucune latitude aux chanteurs, l’éditeur se sentirait obligé si ces derniers voulaient bien ne pas laisser la moindre licence interprétative affecter en quoi que ce fût la façon dont les rythmes sont conçus et écrits. Cet opéra est écrit tel qu’il doit sonner. Merci, par conséquent, de ne pas nous enquiquiner par un soudain accès d’intelligence !  (Ibid., 474)17

18À bon entendeur, serait-on tenté d’ajouter au vu des exigences de la partition. Le principe des « durées rimiques » [duration rhymes] implique une proportionnalité prosodique d’un vers à l’autre, de nature à permettre, moyennant une restitution rigoureuse, de retrouver paradoxalement une relative souplesse dans la « métrique quantitative » de l’anglais poétique chéri par Pound. Il est probable que la notion de « durée rimique » telle que l’entendait Pound n’était pas strictement réductible aux schémas rythmiques conçus par Antheil pour la synthétiser. Le travail de mise au point rythmique réalisé pour son aîné allait toutefois déteindre sur Cyclops, son propre essai lyrique (laissé inachevé en 1926) d’après un épisode de Ulysses, roman-phare de James Joyce.

19Entre temps, cette collaboration avait inspiré à Pound un bref mais dense volume intitulé Antheil and The Treatise on Harmony, dans lequel le poète, sur un mode futuriste des plus provocants, devait étendre sa réflexion sur les rythmes à des considérations d’ordre politique :

  • 18 « Three years ago Antheil was talking vague...

La musique qu’on enseigne dans les académies s’occupe de l’organisation de particules sonores, de sons qui présentent certaines variations à l’intérieur de la seconde, […] de la minute ou de dix minutes, ou, dans les grandes formes, d’une demi-heure. Mais, en nous emparant de durées plus longues, nous voyons la possibilité de tempo-spatialiser le cliquetis, le grincement, le whang-whang et le gnnrrr d’une salle des machines, de sorte que la journée de huit heures ait son rythme, que les ouvriers, aux machines, soient démécanisés et ne travaillent pas comme des robots, mais comme les membres d’un orchestre. […] Et c’est bel et bien un nouvel acte musical ; une nouvelle saisie de la vie par l’art, une nouvelle époque, une rupture avec les habitudes d’assentiment plus grande qu’aucune rupture accomplie par Bach ou par Beethoven (Pound 2015, 130)18.

20Dans ce Traité, Pound entend également – et c’est une démarche inédite – souligner la dimension dynamique de l’harmonie en introduisant les éléments temporels que sont les rythmes et les durées :

  • 19 « The early students of harmony were so acc...

Les premiers à étudier l’harmonie étaient tellement habitués à penser à la musique comme à une chose dotée d’un puissant mouvement latéral ou horizontal, qu’ils n’ont jamais songé que quelqu’un, QUI QUE CE SOIT, serait assez bête, un jour, pour la croire statique ; jamais il ne leur est venu à l’idée que d’aucuns écriraient de la musique pareille à de la vapeur montant d’un marécage.  (Ibid., 12-13)19

21Autant pour Claude de France ! Pour Pound, on le voit, nourrir une conception statique de l’harmonie revient peu ou prou à étudier la circulation sanguine sur un cadavre (Pound 2015, 23). De l’art, aussi, de recycler les restes pour devancer les tendances et dépouiller l’art de ses scories, pour le rendre à son essence propre et singulière, et lui permettre de jouer son rôle de catalyseur au cœur des temps nouveaux.

22La réflexion sur le lien entre rythmes et hauteurs avait donné lieu à une première synthèse éloquente dès 1912, dans l’introduction à la traduction par Pound des Sonnets and Ballate de Cavalcanti :

  • 20 « [. . .] music is, by further analysis, pu...

la musique […] n’est que rythme, dans la mesure où toute variation dans les hauteurs de son se réduit à une variation dans la fréquence des vibrations qui les constituent. Partant de quoi, l’harmonie n’est somme toute qu’une superposition de différents rythmes. Lorsque nous aurons maitrisé le principe des harmoniques naturels, nous verrons enfin que le tempo implicite de chaque pièce est prédéterminé de façon absolue et précise par des lois ayant trait à la coïncidence rythmique […] On peut en déduire que le rythme impliqué par un vers poétique connote sa symphonie [au sens premier de « sonner ensemble »], chose que, moyennant une maitrise suffisante, nous devrions être en mesure d’orchestrer. (Pound 1912, 11-12)20

  • 21 pour les seules mesures 57 à 67 : 7/16, 1/2...

23En dépit de l’idéal de clarté qu’il manifeste, Le Testament n’est pourtant pas exempt d’une complexité – voire d’une opacité – que le seul enregistrement existant ne parvient pas à surmonter de façon convaincante. La mélodie de timbres [Klangfarbenmelodie] qui caractérise l’accompagnement de l’air « Dictes moi où, n’en quel pays… » est à cet égard révélatrice d’un métissage entre archaïsme prosodique et modernité sonore, que son originalité met toutefois à l’abri des banales comparaisons néoclassiques empruntées au Stravinsky d’Oedipus Rex. Eu égard aux difficultés particulières de mise en place, l’agencement rythmique et timbrique de l’air de la mère de Villon « Dame du ciel, régente terrienne… » échappe à toute classification. Tout au plus rappelle-t-il assez cruellement la contradiction inhérente au voisinage d’une pâte orchestrale opaque, tendue par l’intervalle dominant de quarte augmentée (diabolus in musica) joué tremolando, et d’une vocalisation contrainte par là-même à renoncer aux mille subtilités prosodiques d’une écriture hérissée de changements de mètres. Il en va de même pour la succession de cellules métriques tout aussi injouables qui caractérisent l’air de la vieille prostituée Heaulmière, pleurant des ans l’irréparable outrage sur ses appâts flétris21. Ici, la surenchère de difficultés liées aux archaïsmes ou à l’influence mal maîtrisée de l’avant-garde vorticiste, quand elle ne tient pas aux nombreux sous-textes de Villon, relève de la conjecture conceptuelle. La dimension fantasmatique du chœur des pendus, « Frères humains, qui après nous vivez… », qui referme l’ouvrage sur une note moralisatrice quasi surnaturelle, repose quant à elle sur des chromatismes récurrents et des mouvements parallèles qui ne sont pas sans évoquer l’art tourmenté d’un Gesualdo. Encore faudrait-il, pour le délivrer de ses longueurs, qu’il fasse l’objet d’un enregistrement digne de l’enjeu musical. L’identification évidente de Pound à la figure du réprouvé François Villon semble, quant à elle, préfigurer le bannissement prochain du poète américain.

24Ici se pose l’éternelle question des moyens stylistiques à employer : faut-il interpréter les pastiches médiévisants avec les outils retrouvés de la musique médiévale et les œuvres néoclassiques de l’Entre-deux guerres avec ceux, redécouverts depuis, de la musique baroque authentique ? En d’autres termes, Pound, Martinu, Hindemith, Stravinsky et tant d’autres, auraient-ils composé différemment s’ils avaient pu connaitre la phase finale du renouveau baroque des années 1970-1980 ? (Haskell 2013, 331)

  • 22 En 1932, il laissait inachevé un troisième ...

25Entre 1931 et 1933, Pound devait consacrer un second opéra au poète Guido Cavalcanti, dont il avait traduit les Ballate avant-guerre. Incomparablement plus abordable que Le Testament, Cavalcanti est un ouvrage plus lyrique, sinon plus conventionnel, où une italianitá affleure constamment sous les allusions aux canzone renaissantes22.

Pound et le Vivaldi Revival

  • 23 Ardent admirateur du fascisme et de Mussoli...

26L’accent mis sur le répertoire baroque, dans les concerts que Pound programma dès les années 1930 entre Venise et Rapallo, reflétait son admiration ancienne pour Dolmetsch plus que le caractère rétrograde de ses opinions politiques. C’est ainsi, également, que fut posée la première pierre du Vivaldi Revival, qui devait connaître un premier apogée au tournant des années 1940 et 1950 et dont Pound et Olga Rudge seraient, avec le compositeur Alfredo Casella, les principaux artisans (avec, entre autres initiatives, la ‘Settimana Vivaldiana’ inaugurée à Sienne en 1939). Pound et Rudge n’eurent de cesse, en effet, de faire cataloguer, jouer et éditer la musique du « prêtre roux », qu’ils considéraient comme une survivance de l’ancienne autarcie artistique italienne, antérieurement à la tutelle honnie de l’Amérique, pays natal dont lui-même rejetait partiellement l’héritage culturel. S’étonnera-t-on alors de ce que Pound ait reçu, en 1968, la visite de Pier Paolo Pasolini, le plus grand pourfendeur de l’hégémonie culturelle imposée par l’emprise économique, et que ce dernier lui ait lu le Canto [Pisan] LXXXI, l’une des pièces les plus implacablement lucides du recueil (où il est fait allusion à la cage de fer à ciel ouvert dans laquelle Pound fut emprisonné en plein soleil, au printemps 1945, après son arrestation par des partisans italiens à la solde de l’US Army, qui devait le juger pour haute trahison)23 ?

27On sait à quel point la figure de Vivaldi allait s’avérer décisive pour le succès de la seconde vague du renouveau baroque qui devait culminer dans les années 1970, après la véritable « fièvre vivaldienne » des années 1950, dont l’importance, pour la redécouverte de la musique baroque fut comparée par le très stravinskien Robert Craft à celle des manuscrits de la mer Morte pour les apprentis théologiens (Craft 1984, 125-141).

28Pound conçut et appliqua la notion de durée relative aux diverses composantes de ses poèmes (vocaliques, syllabes, mots, phrases, vers…), donnant à voir les principes proportionnels qui en résultent dans le cadre de ce qu’il nomma Great Bass (tentative de modélisation des durées à partir des fonctions structurantes d’une ligne de basse, déterminantes dans la polyphonie occidentale). Partant de l’importance fondamentale du rythme dans la structuration de la forme poétique et/ou musicale, Pound imagina un principe singulier et complexe de « fréquence proportionnelle » et de « rythme absolu » (en référence à l’ « oreille absolue » des personnes qui maîtrisent instinctivement les hauteurs réelles et non seulement les hauteurs relatives) propre à un type de scansion donné. Cette théorie revient à comparer l’influence des rythmes à celle des hauteurs dans la cognition musicale.

29Une autre dimension musicale allait fournir au compositeur amateur Ezra Pound l’occasion d’anticiper une nouvelle fois sur les préoccupations du monde artistique. L’orchestration du Testament, très précise au plan des timbres et des tessitures instrumentales, est pensée pour favoriser un certain type d’harmoniques naturels dans le but avoué de soutenir efficacement la prosodie de la ligne de chant qui doit primer sur les autres paramètres sonores à l’heure de toucher l’oreille et la mémoire de l’auditeur. Il n’y aurait là rien de bien original si Pound n’avait compris, avant tant de compositeurs plus aguerris que lui, que la généralisation du tempérament égal depuis le milieu du XVIIIe siècle avait eu entre autres conséquences de compromettre certains harmoniques naturels, alors même que le système ancien des tempéraments inégaux hiérarchisait nettement les tonalités, des plus pures – celles dont les harmoniques naturels ne rencontrent pas d’obstacles acoustiques à leur épanouissement – aux plus entravées qui, au contraire, « sonnent » peu, ou mal, du fait de la multiplication de ces contraintes acoustiques procédant du non-recoupement des fréquences. Il en allait de même, selon lui, des cadences et des progressions harmoniques les plus usuelles de la musique occidentale, imposées par le goût hégémonique de certaines époques en matière de style, lequel ne tenait guère compte, le plus souvent, des phénomènes acoustiques naturels. Il devait tirer de cette constatation un certain nombre d’analogies relatives à la bonne gouvernance des nations. Ainsi, de la qualité des individus et de leur conscience réelle de la liberté dont ils peuvent user, dépendrait la luminosité de la forme de gouvernement qu’ils se donnent. Tout comme la richesse des harmoniques naturels reflète un système solfégique et acoustique pensé en vue de leur libre épanouissement, ou, au contraire, pour les contraindre et les assourdir.

30Cette réflexion politique constitue la matière de nombreux Cantos. À ce titre, ce cycle singulier, porteur de tant d’énigmes, apparaît comme la mise en miroir scripturale de l’histoire morcelée du monde et de la personnalité fragmentée d’Ezra Pound, éclatée par les circonstances chaotiques d’une vie qui, par bien des aspects, à tout d’une épopée. C’est donc bel et bien dans et par le double champ poétique et musical qu’elles entrent en une « résonance cohérente » et fructueuse. La musique y joue un rôle plus qu’essentiel – révélateur.

Bibliographie

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CRAFT, Robert. « Evviva Vivaldi ! », Present Perspectives. New York: Alfred A. Knopf, 1984.

FISCHER, Margaret. Ezra Pound in Context. Ed. Ira B. Nadel. Cambridge: Cambridge University Press, 2010.

HASKELL, Harry. Les Voix d’un renouveau : la musique ancienne et son interprétation, de Mendelssohn à nos jours. Trad. Laurent Slaars. Arles : Actes Sud, 2013.

MURRAY SCHAFER, Raymond, ed. Ezra Pound and Music, The Complete Criticism. London: Faber & Faber, 1978.

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POUND, Ezra. Antheil et le traité d’harmonie. Trad. Philippe Mikriammos. Paris : Pierre-Guillaume de Roux, 2015.

Notes

1 Antheil and the Treatise on Harmony a été tout d’abord publié à Paris en 1924, puis à Chicago en 1927.

2 Les passages cités de Antheil And The Treatise on Harmony sont les traductions de Philippe Mikriammos (Pound 2015). « I pointed out that music and poetry had been in alliance in the twelfth century, that the divorce of the two arts had been to the advantage of neither, and that melodic invention declined simultaneously and progressively with their divergence. The rhythms of poetry grew stupider, and they in turn affected or infected the musicians who set poems to music. » (Pound 1927, 43)

3 « The inventors, discoverers of a particular process or of more than one mode and process. »

4 « The grand bogies for young men who want really to learn strophe writing are Catullus and Villon. I personally have been reduced to setting them to music as I cannot translate them. »

5 « Rhythm is the hardest quality of a man’s style to counterfeit ».

6 « Beyond which we will never recover the art of writing to be sung until we begin to pay some attention to the sequence, or scale, of vowels in the line, and of the vowels terminating the group of lines in a series. »

7 Dans le célèbre essai « A Retrospect », Pound dicte les principes de la poésie imagiste dont le suivant : « As regarding rhythm : to compose in the sequence of the musical phrase, not in sequence of a metronome ». 

8 Pound écrit : « Few contemporary composers have given more to today’s music than has Arnold Dolmetsch. » The Egoist (August 1917): 104-105.

9 « his appearance made him look more pre-Raphaelite than the pre-Raphaelites themselves ».

10 La présence au sein du groupe de l’économiste John Maynard Keynes (1883-1946), tenant d’une pensée libérale, progressiste et redistributive, dont devaient s’inspirer certaines politiques publiques de l’Etat providence après la Seconde guerre mondiale, ne semble pas avoir dérangé le très conservateur Pound. C’est davantage l’implication de Keynes dans la mise en place du système financier international, finalisé à Bretton Woods en 1944 et aboutissant à la création du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale, qui semble avoir rebuté ses convictions, devenues franchement réactionnaires au cours de la seconde moitié des années 1930.

11 « Dolmetsch strikes at the root of the trouble by showing how music has been written, more and more, for the stupid; how the notation or rather the notators have gradually ceased to trust to, or to expect, intelligence on the part of interpreters ».

12 «Poetry must be read as music and not as oratory. »

13 « ‘I have seen the God Pan.’ ‘Nonsense.’ I have seen the God Pan and it was in this manner: I heard a bewildering and pervasive music moving from precision to precision within itself. Then I heard a different music, hollow and laughing. Then I looked up and saw two eyes like the eyes of a wood-creature peering at me over a brown tube of wood. Then someone said: Yes, once I was playing a fiddle in the forest and I walked into a wasp’s nest. [. . .] When any man is able, by a pattern of notes or by an arrangement of planes and colours, to throw us back into the age of truth, a certain few of us [. . .] gives honour to the spell which has worked, to the witch-work or the art-work, or to whatever you like to call it. Therefore I say, and stick to it, I saw and heard the God Pan; shortly afterwards I saw and heard Mr. Dolmetsch. » La traduction est de Catherine Rolfe, Philippe Bolton et Albert Flant, consultable sur la page « L’Histoire des Dolmetsch » : http://www.dolmetsch.com/Dolworksfrench.htm

14 Sous le pseudonyme de William Atheling.

15 Sauf indication contraire, les traductions sont miennes. « For three years, out of key with his time,/He strove to resuscitate the dead art/Of poetry; to maintain “the sublime”/In the old sense. Wrong from the start— [. . .]//His true Penelope was Flaubert,/He fished by obstinate isles; Observed the elegance of Circe’s hair/Rather than the mottoes on sun-dials,//Unaffected by “the march of events,”/He passed from men’s memory in l’an trentiesme/De son eage; the case presents/No adjunct to the Muses’ diadem. »

16 Thomas Campion (1567-1620) poète, médecin et compositeur anglais, auteur, en 1613, d’un Traité sur le Contrepoint. « The music was not quite a musician’s music, though it may well be the finest poet’s music since Thomas Campion ».

17 « As the opera is written in such a manner so that nothing at all is left to the singer, the editor would be obliged if the singer would not let the least bit of temperament affect in the least the correct singing of this opera, which is written as it sounds! Please do not embarrass us by suddenly developing intelligence! »

18 « Three years ago Antheil was talking vaguely of ‘tuning up’ whole cities, of ‘silences twenty minutes long in the form,’ etc. [. . .] With the performance of the Ballet Mecanique one can conceive the possibility of organizing the sounds of a factory, let us say of boiler-plate, or any other clangorous noisiness, the actual sounds of the labour, the various tones of the grindings; according to the needs of the work, and yet, with such pauses and durées, that at the end of the eight hours, the men go out not with frayed nerves, but elated—fatigued, yes, but elated. [. . .] And this is definitely a new musical act; a new grip on life by the art, a new period, a bigger break with the habits of acceptance than any made by Bach or by Beethoven » (Pound 1927, 146).

19 « The early students of harmony were so accustomed to think of music as something with a strong lateral or horizontal motion that they never imagined any one, ANY ONE could be stupid enough to think of it as static ; it never entered their heads that people would make music like steam ascending from a morass. » (Pound 1927, 11)

20 « [. . .] music is, by further analysis, pure rhythm; rhythm and nothing else, for the variation of pitch is the variation in rhythms of the individual notes, and harmony the blending of these varied rhythms. When we know more of overtones we shall see that the tempo of every masterpiece is absolute, and is exactly set by some further law of rhythmic accord. Whence it should be possible to show that any given rhythm implies about it a complete musical form, fugue, sonata, I cannot say what form, but a form, perfect, complete. Ergo, the rhythm set in a line of poetry connotes its symphony, which, had we a little more skill, we could score for orchestra. »

21 pour les seules mesures 57 à 67 : 7/16, 1/2, 1/4, 3/4, 9/8, 1/2, 1/4, 13/32, 7/16, 3/8… A chaque mesure, ou presque, est associé un affect émotionnel (simple, tragique, implorant, pompeux, presque parlé, douloureux, violent, déchirant, élégiaque, résigné, etc.) Ce rôle de caractère a été créé en 1926 par le baryton français Yves Tinayre, l’un des premiers chanteurs spécialisés dans la musique ancienne. Pour l’exécution de 1931, retransmise par la BBC, Pound dut renoncer au concours d’Yvette Guilbert qui, au vu de la partition, exigea un cachet dont le montant dépassait le budget total de la production…

22 En 1932, il laissait inachevé un troisième ouvrage, Collis O Heliconii, sur des poèmes de Catulle.

23 Ardent admirateur du fascisme et de Mussolini, Pound avait passé les années de guerre à fustiger l’Amérique et son président, Franklin D. Roosevelt, à l’occasion de causeries hebdomadaires sur les ondes d’une radio romaine. Voir un extrait de l’entretien avec Pasolini : https://www.youtube.com/watch?v=qnHbjIAILtY&index=133&list=WL

Pour citer ce document

Laurent Slaars, «Ezra Pound et la musique, des Cantos à George Antheil», TIES [En ligne], TIES, Car poétique rime avec musique, mis à jour le : 27/07/2018, URL : http://revueties.org/document/486-ezra-pound-et-la-musique-des-cantos-a-george-antheil.

Quelques mots à propos de :  Laurent  Slaars

Laurent Slaars est historien de la musique et traducteur. De 2003 à 2006, il a conçu et présenté les « Avant-concerts du Théâtre du Châtelet. Intervient régulièrement en en France et en Europe à l’occasion de séminaires de recherche, ainsi que sur les ondes d’Espace2 (Radio-Télévision Suisse). Nombreux articles sur Bruckner, Mahler, Busoni, Prokofiev, Chostakovitch, Reger, Kodály, Schubert, Prokofiev, Scriabine… Traducteur de ‘The Rest is Noise : à l’écoute du XXè siècle’, d’Alex Ross (Actes Sud), ouvrage distingué par la fondation Singer-Polignac (Grand Prix des Muses 2011), il a également traduit et actualisé le livre de Harry Haskell, Les voies d’un renouveau : la musique ancienne et son interprétation, de Mendelssohn à nos jours (Actes Sud, 2013).